La responsabilité pour faute simple de l’Etat peut être engagée pour carence fautive du préfet dans l’exercice de sa mission de police des cours d’eau non domaniaux

Catégorie

Domanialité publique, Droit administratif général, Environnement

Date

September 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 22 juillet 2020, SCI Les Vigneux, req. n° 425969 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par un arrêt du 22 juillet 2020, le Conseil d’Etat juge qu’en cas de dommages causés aux propriétaires, riverains de cours d’eau non domaniaux, résultant de l’action naturelle des eaux, la responsabilité pour faute simple de l’Etat peut être recherchée.

En l’espèce, la SCI Les Vigneux propriétaire de terrains riverains d’un cours d’eau non domanial a demandé à être indemnisée suite à un débordement de la Seine sur une partie de son cours qui a causé l’inondation de ses terrains dont une partie avait été déclarée en zone constructible par le plan de prévention des risques d’inondation (PPRI).

Elle a fondé sa demande indemnitaire sur le régime de responsabilité pour faute de l’Etat sur trois moyens à savoir, d’une part, l’erreur de classement de ses parcelles dans le PPRI et le retard à réviser ce plan, d’autre part, la carence du préfet dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police des cours d’eau non domaniaux et, enfin, les défaillances de l’Etat en matière d’information des riverains.

Ses demandes ont été rejetées par un jugement du 1er août 2017 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et par un arrêt du 4 octobre 2018 de la cour administrative d’appel de Nancy. Le Conseil d’Etat n’a admis ce pourvoi que sur un seul des moyens développés  : celui concernant la responsabilité de l’Etat pour faute du fait de la carence fautive du préfet dans l’usage de ses pouvoirs de police administrative.

Dans cet arrêt du 22 juillet 2020, les 5ème et 6ème chambres de la section du contentieux du Conseil d’Etat rappellent tout d’abord, que l’entretien de ces cours d’eau appartient aux propriétaires riverains, selon les articles L. 215-2  et L. 215-4  du code de l’environnement. La commune, ou le groupement de communes ou syndicat compétent, n’intervient qu’en cas d’inaction des riverains après mise(s) en demeure restée(s) infructueuse(s) 1)Article L. 215-16 C. env..

Ensuite, le Conseil d’Etat précise que la police administrative des cours d’eau non domaniaux a été attribuée, selon l’article L. 215-7 du code de l’environnement, au préfet qui « prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux ». Il ajoute également que le préfet peut être secondé par les maires dans cette mission 2) Article L. 215-12 C. env..

Relevons que dans une affaire similaire, datant de 1984, le Conseil d’Etat s’était déjà prononcé sur la responsabilité pour faute de l’Etat du fait de l’inaction fautive de l’autorité administrative chargée de la police des cours d’eaux :

« Cons. qu’en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires les y contraignant, l’Etat et les communes n’ont pas l’obligation d’assurer la protection des propriétés voisines des cours d’eau navigables ou non navigables contre l’action naturelle des eaux ; qu’il ressort au contraire des articles 33 et 34 de la loi du 16 septembre 1807 que cette protection incombe aux propriétaires intéressés ; que, toutefois, la responsabilité des collectivités publiques peut être engagée lorsque les dommages subis ont été provoqués ou aggravés, soit par l’existence ou le mauvais état d’entretien d’ouvrages publics, soit par une faute commise par l’autorité administrative dans l’exercice de la mission qui lui incombe, en vertu des articles 103 et suivants du code rural, d’exercer la police des cours d’eau non domaniaux et de prendre toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux ;  3)CE 2 mars 1984, société Micasar, req. n°s 35524 et 25874.».

La décision de la Haute juridiction est similaire, malgré la modification des fondements normatifs :

« en cas de dommages causés aux propriétés voisines des cours d’eau non domaniaux du fait de l’action naturelle des eaux, sans préjudice de la responsabilité qu’il peut encourir lorsque ces dommages ont été provoqués ou aggravés par l’existence ou le mauvais état d’entretien d’ouvrages publics lui appartenant, la responsabilité de l’Etat peut être engagée par une faute commise par le préfet dans l’exercice de la mission qui lui incombe, en vertu de l’article L. 215-7 du code de l’environnement, d’exercer la police des cours d’eau non domaniaux et de prendre toutes les dispositions pour y assurer le libre cours des eaux ».

Le Conseil d’Etat prend soin, dans cet arrêt également de différencier ce régime de responsabilité de celui relatif à l’entretien des ouvrages publics.

Après avoir rappelé ce considérant de principe, le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy en ce qu’elle a commis une erreur de droit.

En effet, il ne s’agit pas là d’un régime de responsabilité pour faute lourde mais d’un régime de responsabilité publique pour faute simple :

« Il résulte des termes mêmes de l’arrêt attaqué que, pour juger que la responsabilité de l’Etat ne pouvait être engagée à raison d’une carence du préfet de l’Aube dans l’usage de ses pouvoirs de police, la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que celle-ci ne pouvait résulter que d’une faute lourde commise par le préfet en n’usant pas des pouvoirs généraux de substitution qu’il tient des dispositions de l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, à la suite d’un renoncement, par la collectivité territoriale compétente, d’utiliser elle-même la faculté de substitution aux obligations du propriétaire riverain qu’elle tient des dispositions de l’article L. 215-16 du code de l’environnement ».

Les pouvoirs du préfet, dans ces cas, ne sont effectivement pas ceux d’une autorité de contrôle vis-à-vis de l’action du maire mais ceux d’une autorité de police administrative spéciale des cours d’eau non domaniaux. Dans cette mission, attribuée par l’article L. 215-7 du code de l’environnement, le préfet ne peut qu’être secondé par le maire. Par conséquent, les actions, ou inactions, de l’administration dans ce domaine ne dépendent pas du régime, de plus en plus rare, de la faute lourde mais de la faute simple.

Dès lors, le Conseil d’Etat renvoie l’affaire à la cour administrative d’appel de Nancy afin qu’elle statue sur l’éventuelle responsabilité pour faute (simple) de l’Etat concernant une faute qu’aurait commise le préfet dans l’exercice de ses pouvoirs de police administrative spéciale des cours d’eau non domaniaux.

Il n’est cependant pas exclu que la responsabilité de l’Etat soit réduite du fait d’éventuelles fautes de la victime (absence ou mauvais entretien par cette dernière de ses terrains riverains de cours d’eau non domaniaux).

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References   [ + ]

1. Article L. 215-16 C. env.
2. Article L. 215-12 C. env.
3. CE 2 mars 1984, société Micasar, req. n°s 35524 et 25874.

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