Précisions sur la prise en compte des ouvrages existants lors de l’élaboration d’un PPRI

Catégorie

Environnement

Date

December 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 24 novembre 2021, req. n° 436071 : mentionné aux tables du Rec. CE.

Du 15 au 16 juin 2010, le département du Var a été frappé par d’importantes inondations, faisant 27 victimes. C’est dans ce contexte que le 8 septembre 2010, le préfet du Var a adopté un arrêté abrogeant l’arrêté du 10 avril 2000 prescrivant l’élaboration d’un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) sur le territoire de la commune de Roquebrune-sur-Argens et prescrivant l’élaboration d’un nouveau PPRI. Le nouveau plan de prévention a été ensuite approuvé par un arrêté du 20 décembre 2013 1)Arrêté préfectoral du 20 décembre 2013..

La société civile immobilière « Les quatre chemins » qui est propriétaire de deux parcelles qui ont été classées en « zone rouge R1 » par ce PPRI a demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler l’arrêté du 20 décembre 2013.

Celui-ci a rejeté sa demande 2)TA Toulon 19 janvier 2017 SCI Les quatre chemins, req. n° 1400669. et la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé le jugement du tribunal administratif 3)CAA Marseille 4 octobre 2019 SCI Les quatre chemins, req. n° 17MA01104..

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi le 19 novembre 2019, a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille par une décision du 24 novembre 2021 4)CE 24 novembre 2021 SCI Les quatre chemins, req. n° 436071 : mentionné aux tables du Rec. CE., aux motifs suivants :

« En jugeant que l’autorité en charge de l’élaboration d’un plan de prévention des risques d’inondation pouvait légalement s’abstenir de tenir compte, lors de l’élaboration de ce document, de la modification de l’altimétrie de terrains résultant d’une opération de remblaiement au seul motif que celle-ci avait eu lieu dans des conditions estimées irrégulières et présentait, à ce seul titre, un caractère précaire dans l’attente d’une éventuelle régularisation dont elle n’excluait pas la possibilité, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit » 5)Décision commentée, point 3..

En l’espèce, le terrain dont il était question avait fait l’objet d’une opération de remblaiement qui avait pour but de diminuer le risque d’inondation. Cette opération, qui avait modifié les caractéristiques altimétriques du terrain, contrevenait toutefois à la réglementation en vigueur et présentait un caractère précaire.

Devant le tribunal et la cour administrative d’appel, la société requérante soutenait que l’autorité compétente, en ne prenant pas en compte ce remblai dans l’élaboration du PPRI et en classant sa parcelle en zone rouge, s’était fondée sur des données topographiques qui ne correspondaient pas à la réalité.

Les juges du fond avaient considéré que « lorsqu’une opération de remblaiement contrevient à la réglementation en vigueur, l’autorité en charge de l’élaboration d’un plan de prévention des risques d’inondation peut, compte tenu du caractère précaire que présente ces remblais dans l’attente d’une éventuelle régularisation, ne pas tenir compte de la modification de l’altimétrie des terrains résultant de l’apport de matière réalisé dans des conditions irrégulières » 6)CAA Marseille 4 octobre 2019, arrêt précité, point 8 et points 9 à 15..

À nouveau interrogé sur ce point, le Conseil d’État procède en premier lieu à un rappel du cadre juridique applicable, résumant les articles L. 562-1 et R. 562-3 du code de l’environnement dans une formule laconique mais éclairante quant au contexte dans lequel l’affaire s’inscrit et augurant la prise de position à venir :

« le classement de terrains par un plan de prévention des risques d’inondation a pour objet de déterminer, en fonction de la nature et de l’intensité du risque auquel ces terrains sont exposés, les interdictions et prescriptions nécessaires, à titre préventif, notamment pour ne pas aggraver le risque pour les vies humaines » 7)Décision commentée, point 2..

Il s’agit en réalité d’une formule déjà présente dans la jurisprudence du Conseil, tendant à rappeler que les interdictions et prescriptions nécessaires figurant dans un PPRI doivent reposer sur la nature et de l’intensité du risque.

En présence d’un ouvrage sur le terrain faisant l’objet de prescriptions particulières, il convient que « le risque spécifique que la présence même de l’ouvrage est susceptible de créer » soit évalué 8)CE 6 avril 2016 Ministre de l’écologie, req. n° 386000 : mentionné aux tables du Rec. CE..

Cette approche « réaliste » du Conseil d’État invite à prendre en compte la situation existante lors de l’adoption du plan et non pas à la date à laquelle le service instructeur doit se prononcer sur la demande d’autorisation d’urbanisme 9)CE 12 octobre 2016 Ministre du logement, req. n° 395089 : mentionné aux tables du Rec. CE..

Conscient de cette approche, le ministre de la transition écologique et solidaire faisait valoir le caractère précaire de l’ouvrage ainsi que son illégalité. La régularisation à venir justifiait selon lui l’absence de prise en compte de ce remblai par le préfet lors de l’élaboration du PPRI.

Le Conseil d’État admet la coexistence de sa jurisprudence « réaliste » avec l’approche « légaliste » 10)L’utilisation des notions « d’approche réaliste » et « d’approche légaliste » est empruntée aux conclusions du rapporteur public Stéphane Hoynck dans cette affaire. présentée par le ministre :

« La nature et l’intensité du risque doivent être appréciés de manière concrète au regard notamment de la réalité et de l’effectivité des ouvrages de protection ainsi que des niveaux altimétriques des terrains en cause à la date à laquelle le plan est établi. Il n’en va différemment que dans les cas particuliers où il est établi qu’un ouvrage n’offre pas les garanties d’une protection effective ou est voué à disparaître à brève échéance » 11)Décision commentée, point 3..

Toutefois, cette solution implique qu’il convient de démontrer que ces ouvrages n’offrent pas les garanties de protection nécessaires et qu’ils ne sont que temporaires.

En l’espèce, le Conseil considère qu’en « jugeant que l’autorité en charge de l’élaboration d’un plan de prévention des risques d’inondation pouvait légalement s’abstenir de tenir compte, lors de l’élaboration de ce document, de la modification de l’altimétrie de terrains résultant d’une opération de remblaiement au seul motif que celle-ci avait eu lieu dans des conditions estimées irrégulières et présentait, à ce seul titre, un caractère précaire dans l’attente d’une éventuelle régularisation dont elle n’excluait pas la possibilité, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit » 12)Id..

La régularisation n’étant pas exclue, il aurait fallu que les juges du fond justifient de l’impossibilité de ladite régularisation du remblai existant. Dès lors, l’approche légaliste aurait pu l’emporter.

En l’absence de cette justification, le Conseil d’État fait donc primer l’appréciation concrète de la situation, rejetant la position de principe consistant à écarter les ouvrages illégaux de l’élaboration du plan aux motifs qu’ils seraient par nature précaires et temporaires.

 

 

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References   [ + ]

1. Arrêté préfectoral du 20 décembre 2013.
2. TA Toulon 19 janvier 2017 SCI Les quatre chemins, req. n° 1400669.
3. CAA Marseille 4 octobre 2019 SCI Les quatre chemins, req. n° 17MA01104.
4. CE 24 novembre 2021 SCI Les quatre chemins, req. n° 436071 : mentionné aux tables du Rec. CE.
5, 11. Décision commentée, point 3.
6. CAA Marseille 4 octobre 2019, arrêt précité, point 8 et points 9 à 15.
7. Décision commentée, point 2.
8. CE 6 avril 2016 Ministre de l’écologie, req. n° 386000 : mentionné aux tables du Rec. CE.
9. CE 12 octobre 2016 Ministre du logement, req. n° 395089 : mentionné aux tables du Rec. CE.
10. L’utilisation des notions « d’approche réaliste » et « d’approche légaliste » est empruntée aux conclusions du rapporteur public Stéphane Hoynck dans cette affaire.
12. Id.

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