L’absence d’un titre autorisant à occuper le domaine public ne rend pas le contrat illicite, lorsque le lieu de réalisation du contrat se situe sur une dépendance du domaine public

Catégorie

Contrats publics, Domanialité publique

Date

September 2020

Temps de lecture

3 minutes

CE 10 juillet 2020 Société de manutention et d’entreposage de grains (société SMEG), req. n° 427216 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Dans le contexte de la crise d’encéphalopathie spongiforme bovine (dite « la maladie de la vache folle »), l’Etat a confié à la société de manutention et d’entreposage de grains (SMEG) plusieurs marchés dont l’objet était d’entreposer des farines animales avant leur élimination sur un site situé dans l’enceinte du Port autonome du Havre. Ces prestations ont fait l’objet d’un marché global, intégrant ainsi plusieurs prestations d’entreposage, de nettoyage et de désinfection. La prestation de nettoyage et de désinfection a ensuite été supprimée par avenant. La SMEG a dans ce contexte facturé à FranceAgriMer (établissement national des produits de l’agriculture et de la mer et substituant l’Etat) des loyers du fait de l’indisponibilité de son site pour une somme de 3 millions d’EUR et a demandé le paiement d’une somme de plus d’1,5 millions correspondant au montant du marché de nettoyage et de désinfection.

Par un jugement du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes. Cette décision a été ensuite confirmée par la cour administrative d’appel de Douai et c’est dans ce contexte que l’affaire se présente devant le Conseil d’Etat.

A cette occasion, la haute juridiction va préciser les contours de la notion de l’illicéité du contrat.

Aussi, il rappelle tout d’abord le principe de la décision Béziers, selon lequel le juge administratif saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat doit en principe faire application du contrat sauf s’il constate une irrégularité tenant notamment au caractère illicite de son contenu 1)CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802..

Il juge alors que l’absence d’un titre autorisant l’occupation du domaine public dans le cadre d’un contrat dont le lieu de réalisation se situe sur une dépendance du domaine public ne caractérise pas l’illicéité du contenu de ce contrat :

« La circonstance que le titulaire d’un contrat n’ayant pas pour objet l’occupation du domaine public mais dont le lieu de réalisation se situe sur une dépendance du domaine public ne dispose pas d’un titre l’autorisant à occuper cette dépendance n’a pas pour effet de rendre illicite le contenu du contrat et d’entacher ce dernier d’une irrégularité de nature à justifier que soit écartée, dans le cadre d’un litige entre les parties, l’application des stipulations contractuelles qui les lient. »

Le contrat conclu entre la SMEG et l’Etat, ayant pour objet l’entreposage et la manutention de farines animales dans un silo exploité par la société sur le domaine public portuaire du Port autonome du Havre, était donc bien licite, même si la SMEG ne disposait pas d’un titre l’autorisant à occuper le domaine public. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai est donc annulé.

Cette décision n’est pas sans rappeler celle du Conseil d’Etat du 30 novembre 2018 Philippe Védiaud Publicité, portant sur la question de licéité d’un marché de mobilier urbain passé par une commune, dont l’implantation de dispositifs était prévue sur le domaine public appartenant à une autre personne publique. En réglant cette question sous l’angle des questions de compétence, le Conseil d’Etat avait dans cette affaire admis la licéité de la convention, précisant qu’elle ne constituait ni une convention domaniale, ni une convention se rapportant à la gestion de la voierie 2)CE 30 novembre 2018 Société Philippe Védiaud Publicité, req. n° 414377..

On voit bien la limite posée par le Conseil d’Etat : il s’agit dans ces deux décisions de conventions dont l’objet n’est pas l’occupation même du domaine public.

Rappelons pour finir que le Conseil d’Etat semble adopter de manière générale une position plutôt stricte sur l’appréciation du caractère illicite du contenu d’une convention : dans sa décision du 9 novembre 2018  Cerba et Delapack Europe B.V (voir notre commentaire sur l’arrêt 3) Voir notre commentaire : https://www.adden-leblog.com/quels-moyens-invocables-a-lappui-dun-recours-en-contestation-de-la-validite-dun-contrat-pour-lauteur-dune-offre-irreguliere/.), il a jugé par exemple que « le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement ».

Selon cette jurisprudence, un contrat dont l’objet principal serait l’occupation du domaine public et pour lequel le titulaire ne disposerait pas d’une autorisation d’occuper le domaine public pourrait, sans trop difficulté nous semble-t-il, être regardé comme un contrat dont le contenu serait illicite, le titulaire méconnaissant nécessairement les dispositions des articles L. 2122-1 et suivants du CG3P.

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