L’affichage irrégulier d’un permis de construire par le pétitionnaire ne fait pas obstacle à ce qu’un tiers se voit opposer la computation du délai de recours contentieux à compter du moment où il est réputé en avoir eu connaissance par l’introduction d’un recours gracieux

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

May 2016

Temps de lecture

6 minutes

CE 15 avril 2016 M. D…C…, req. n° 375132 : Rec. CE

Le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur la computation du délai de recours contentieux ouvert aux tiers ayant introduit un recours gracieux contre une autorisation d’urbanisme.

Dans la présente affaire, M. D…C… avait porté à la censure du tribunal administratif de Marseille le 28 janvier 2011 un arrêté du 24 avril 2008 par lequel le maire de la commune de Freissinières a accordé à M. A…C… un permis de construire sur le territoire de cette commune.

Par une ordonnance du 9 mai 2011 1)TA Marseille 9 mai 2011 M. D…C…, req. n° 1100579. le tribunal a rejeté sa requête au motif qu’il n’avait pas, en méconnaissance de l’article R. 411-7 du code justice administrative 2)Applicable au litige. Cette disposition a été abrogée par l’article 2 du décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme., notifié son recours administratif préalable au bénéficiaire de l’autorisation et ne l’avait pas informé de la teneur juridique de son recours contentieux.

La cour administrative d’appel de Marseille a par une ordonnance du 26 janvier 2012 3)CAA Marseille 26 janvier 2012 M. D…C…, req. n° 11MA02558., d’une part, censuré ce raisonnement dès lors que le tribunal n’avait pas mis en demeure le requérant de régulariser cette fin de non-recevoir et, d’autre part, rejeté par la voie de l’évocation la requête comme étant tardive au motif que M. D…C… avait eu connaissance de la décision querellée le 2 juillet 2008, date à laquelle il avait exercé un recours gracieux et ce sans « qu’il soit besoin de rechercher si le permis en litige a fait l’objet d’un affichage régulier ».

Après avoir annulé cette ordonnance d’une irrégularité formelle et renvoyé l’affaire 4)CE 25 juillet 2013 M. D…C…, req. n° 358011., le Conseil d’Etat a été saisi d’un second pourvoi le 3 février 2014 contre l’ordonnance du 2 décembre 2013 5)CAA Marseille 2 décembre 2013 D…C…, req. n° 13MA03418. par laquelle la cour administrative d’appel de Marseille statuant sur renvoi a de nouveau rejeté pour les mêmes motifs la requête de M. D…C… comme étant tardive.

Arguant que l’affichage sur le terrain d’assiette du projet avait été irrégulier et n’avait pu valablement faire courir le délai de recours à son égard, le requérant a conduit la Haute Assemblée à rechercher si la cour administrative d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit en retenant que le requérant avait acquis la connaissance de la décision au jour de l’introduction de son recours gracieux sans rechercher si l’affichage sur le terrain avait été régulier.

On sait que la théorie de la connaissance acquise selon laquelle « la connaissance de fait d’une décision va provoquer le déclenchement du délai, à l’égard de ceux qui en ont une telle connaissance » 6)René Chapus Droit du contentieux administratif, Montchrestien 13 éd°, p. 645., a connu comme l’avait relevé R. Odent, un développement certain, notamment lorsque le requérant manifeste sa connaissance d’une décision en formant, devant l’administration, un recours gracieux ou hiérarchique 7)Raymond Odent Contentieux administratif, Dalloz, Tome 1, p.830..

La jurisprudence a toutefois progressivement circonscrit sa portée, en excluant les demandes gracieuses ou hiérarchiques formées à l’égard des décisions réglementaires 8)CE 19 février 1993 Nainfa, req. n° 106792. ou à l’égard des décisions individuelles 9)Celle-ci devant en effet comporter la mention des voies et des délais de recours CE 13 mars 1998 Mme Mauline, req. n° 120079..

Une telle théorie retrouvait, néanmoins, à s’appliquer dans certaines hypothèses.

Le Conseil d’Etat reconnu ainsi sous l’empire d’anciennes dispositions du code de l’urbanisme, que le recours gracieux exercé par un tiers contre un permis de construire constituait une connaissance suffisante de cette décision, susceptible de faire courir à son égard le délai de recours contentieux 10)CE 6 octobre 1978 Association du quartier La corvée la Roche aux fées, req. n° 01898 : « Considérant que, à la suite de l’arrêté en date du 7 mai 1973 par lequel le maire de Saint Dié a accordé à la société civile immobilière “Les Beaux Jardins” l’autorisation de construire un immeuble collectif d’habitation rue de la Belle Corvée à Saint Dié, l’association “La Corvée – la Roche des Fées” a adressé le 16 avril 1974, au préfet des Vosges un recours hiérarchique contre ce permis de construire ; que cette date, à laquelle l’association qui soutient que le permis de construire attaqué n’a pas fait l’objet d’une publication régulière doit être regardée comme ayant eu, au plus tard, connaissance de la décision, a marqué le point de départ du délai de recours contentieux contre le permis de construire. Que le recours hiérarchique présenté le 16 avril 1974, a été rejeté par une décision du préfet des Vosges en date du 9 mai 1974, dont la requérante a eu connaissance au plus tard le 22 juillet 1974, date à laquelle elle a présenté au préfet un second recours hiérarchique qui n’a pu conserver le délai de recours contentieux contre le permis de construire ; qu’ainsi les conclusions tendant à l’annulation de ce permis présentées seulement le 23 janvier 1975 par l’association devant le tribunal administratif contre le permis de construire du 7 mai 1973, étaient tardives ; que dans ces conditions et à supposer même que le retard avec lequel l’association a saisi le juge administratif soit imputable au comportement de l’administration, c’est à bon droit que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées par l’association contre le permis de construire du 7 mai 1973 ».

Toutefois, il résulte de la combinaison des dispositions actuelles des articles R. 600-2, R. 424-15 et A. 424-17 11)Article R. 600-2 du code de l’urbanisme : « Le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 »
Article R. 424-15 du même code : « Mention du permis (…) doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l’extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l’arrêté (…) et pendant toute la durée du chantier. (…) / Un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme règle le contenu et les formes de l’affichage. »
Article A. 424-17 du même code : « Le panneau d’affichage comprend la mention suivante : / ” Droit de recours : / ” Le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain du présent panneau (art. R. 600-2 du code de l’urbanisme). (…)”
du code de l’urbanisme que le délai de recours contentieux ouvert à l’égard des tiers dans un délai de deux mois à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage, ne peut valablement courir que si l’affichage sur le terrain d’assiette du projet a été régulier.

Tout affichage méconnaissant ces dispositions ne peut, par principe, faire régulièrement courir, à l’égard des tiers, le délai de recours contentieux qui leur est ouvert 12)CE 28 avril 2000 Epoux Gilloire, req. n°198565..

C’est en se fondant sur l’irrégularité de l’affichage que le requérant entendait, dans la décision commentée, faire échec à sa connaissance de fait de l’arrêté qu’il avait eu en exerçant un recours gracieux auprès de la commune.

La Haute Assemblée retient, toutefois, que si la mention exigée par l’article A. 424-17 du code précité relative à la mention des voies et des délais de recours sur le panneau d’affichage « permet au tiers de préserver leurs droits », cette irrégularité est sans incidence sur la computation du délai de recours contentieux dès lors que l’exercice d’un recours administratif a révélé la connaissance de cette décision.

    « Considérant que la mention relative au droit de recours, qui doit figurer sur le panneau d’affichage du permis de construire en application de l’article A. 424-17 du code de l’urbanisme, permet aux tiers de préserver leurs droits ; que, toutefois, l’exercice par un tiers d’un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire montre qu’il a connaissance de cette décision et a, en conséquence, pour effet de faire courir à son égard le délai de recours contentieux, alors même que la publicité concernant ce permis n’aurait pas satisfait aux exigences prévues par l’article A. 424-17 du code de l’urbanisme ».

En l’espèce, le requérant ayant formé un recours gracieux reçu en mairie le 2 juillet 2008 contre l’arrêté du 24 avril 2008, il a nécessairement acquis à cette date la connaissance de cette décision.

Dans ces conditions, il disposait d’un délai de deux mois à compter de la décision explicite ou implicite de rejet pour contester l’arrêté, soit au plus tard jusqu’au 3 novembre 2008.

Or, en saisissant le tribunal administratif de Marseille que le 28 janvier 2011 sa requête était tardive et donc irrecevable, alors même que l’affichage sur le terrain d’assiette du projet ne comportait pas la mention des voies et des délais de recours.

La Haute Juridiction précise qu’un tel raisonnement ne méconnaît ni les stipulations de l’article 6 § 1 ni celles de l’article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen dans la mesure où il assure un nécessaire équilibre entre la préservation de la sécurité juridique des bénéficiaires des autorisations d’urbanisme et celui du droit des tiers à un recours effectif.

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References   [ + ]

1. TA Marseille 9 mai 2011 M. D…C…, req. n° 1100579.
2. Applicable au litige. Cette disposition a été abrogée par l’article 2 du décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme.
3. CAA Marseille 26 janvier 2012 M. D…C…, req. n° 11MA02558.
4. CE 25 juillet 2013 M. D…C…, req. n° 358011.
5. CAA Marseille 2 décembre 2013 D…C…, req. n° 13MA03418.
6. René Chapus Droit du contentieux administratif, Montchrestien 13 éd°, p. 645.
7. Raymond Odent Contentieux administratif, Dalloz, Tome 1, p.830.
8. CE 19 février 1993 Nainfa, req. n° 106792.
9. Celle-ci devant en effet comporter la mention des voies et des délais de recours CE 13 mars 1998 Mme Mauline, req. n° 120079.
10. CE 6 octobre 1978 Association du quartier La corvée la Roche aux fées, req. n° 01898 : « Considérant que, à la suite de l’arrêté en date du 7 mai 1973 par lequel le maire de Saint Dié a accordé à la société civile immobilière “Les Beaux Jardins” l’autorisation de construire un immeuble collectif d’habitation rue de la Belle Corvée à Saint Dié, l’association “La Corvée – la Roche des Fées” a adressé le 16 avril 1974, au préfet des Vosges un recours hiérarchique contre ce permis de construire ; que cette date, à laquelle l’association qui soutient que le permis de construire attaqué n’a pas fait l’objet d’une publication régulière doit être regardée comme ayant eu, au plus tard, connaissance de la décision, a marqué le point de départ du délai de recours contentieux contre le permis de construire. Que le recours hiérarchique présenté le 16 avril 1974, a été rejeté par une décision du préfet des Vosges en date du 9 mai 1974, dont la requérante a eu connaissance au plus tard le 22 juillet 1974, date à laquelle elle a présenté au préfet un second recours hiérarchique qui n’a pu conserver le délai de recours contentieux contre le permis de construire ; qu’ainsi les conclusions tendant à l’annulation de ce permis présentées seulement le 23 janvier 1975 par l’association devant le tribunal administratif contre le permis de construire du 7 mai 1973, étaient tardives ; que dans ces conditions et à supposer même que le retard avec lequel l’association a saisi le juge administratif soit imputable au comportement de l’administration, c’est à bon droit que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées par l’association contre le permis de construire du 7 mai 1973 »
11. Article R. 600-2 du code de l’urbanisme : « Le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir court à l’égard des tiers à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 »
Article R. 424-15 du même code : « Mention du permis (…) doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l’extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l’arrêté (…) et pendant toute la durée du chantier. (…) / Un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme règle le contenu et les formes de l’affichage. »
Article A. 424-17 du même code : « Le panneau d’affichage comprend la mention suivante : / ” Droit de recours : / ” Le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain du présent panneau (art. R. 600-2 du code de l’urbanisme). (…)”
12. CE 28 avril 2000 Epoux Gilloire, req. n°198565.

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