L’annulation par le juge administratif d’un permis de construire n’est pas de nature à remettre en cause le droit d’agir de la société pétitionnaire pour recours abusif devant le juge civil

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

April 2015

Temps de lecture

4 minutes

Cass. civ. 2ème 5 mars 2015, pourvoi n° 14-13491

En juin 2010, la société de promotion immobilière La Thominière a obtenu un permis de construire afin d’édifier des entrepôts à vocation logistique d’un surface hors œuvre nette de 77 133 m² sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de Crau.

L’implantation de ces entrepôts était prévue à une cinquantaine de mètres des habitations les plus proches en lieu et place d’arbres fruitiers constituant les vergers du Mas de Gouin.
Plusieurs propriétaires voisins, très certainement mécontents de perdre la proximité d’un verger au profit de hangars à camion, ont sollicité l’annulation de ce permis de construire devant le tribunal administratif de Marseille.

Au soutien de leur requête, ils ont soulevés une vingtaine de moyens, dont un seul a justifié l’annulation du permis attaqué prononcée par un jugement du 22 avril 2013.

Il s’agissait de la violation de l’article 13 du règlement du plan d’occupation des sols de la commune qui imposait de transplanter ou de remplacer tout arbre abattu lorsqu’un tel abattage s’avérait indispensable à l’implantation des constructions. Or, le projet nécessitait l’abattage de centaines d’arbres fruitiers sans que la transplantation ni le remplacement de l’ensemble de ces arbres ne soient prévus par la société pétitionnaire.

Le permis de construire a donc été annulé en conséquence.

Mais avant d’en arriver à cette annulation, la société pétitionnaire, en parallèle de sa défense dans l’instance engagée devant le tribunal administratif de Marseille, avait saisi le juge judiciaire d’une action civile visant à obtenir la condamnation des propriétaires voisins au paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1382 du code civil pour recours abusif.

Puisque « toute faute dans l’exercice des voies de droit est susceptible d’engager la responsabilité des plaideurs » (Cass. 1e Civ, 10 juin 1964, Bull. Civ. I, n°310 ; Cass. 2e Civ, 10 janvier 1985, n°83-16.994), le requérant qui attaque un permis de construire peut être lui-même attaqué en responsabilité civile pour abus de droit.

Dans le cadre de cette action, la société pétitionnaire soutenait que le recours formé par les propriétaires voisins n’avait été formé que dans le seul but de lui nuire en retardant la construction en cause. A ce titre, elle sollicitait leur condamnation à lui verser plusieurs millions d’euros en réparation du préjudice ainsi subi.

Choqués par l’importance du montant réclamé, les propriétaires voisins ont, à leur tour, dans le cadre de leur défense, sollicité la condamnation de la société pétitionnaire au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article 1382 du code civil et de l’article 32-1 du code de procédure civile. Ils ont ainsi eux-mêmes soulevé l’abus de droit du pétitionnaire en faisant valoir sa légèreté blâmable, laquelle concernerait le cas où le demandeur, sans intention de nuire, n’aurait pas réfléchi à ses chances de réussite (Cass 2e Civ, 29 avril 1976, Bull. civ. III, n°138).

Par un arrêt du 17 octobre 2013, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence les a toutefois déboutés de leur demande et ce, alors même qu’elle a admis que le montant particulièrement élevé des dommages et intérêts réclamés était de nature à déstabiliser les intimés, voire à faire pression sur eux.

Au soutien de leur pourvoi en cassation, les propriétaires voisins ont donc fait valoir que la Cour devait aller jusqu’au bout de la démarche, en tirant « les conséquences légales de ses propres constatations », c’est-à-dire en retenant la faute de la société La Thominière constituée par le fait qu’elle n’avait agi en justice que dans le dessein de les déstabiliser afin qu’ils se désistent de leur recours devant le tribunal administratif.

Mais la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en estimant que :

    « Mais attendu que l’arrêt retient que s’il est indéniable que le montant particulièrement élevé des dommages-intérêts réclamés était de nature à déstabiliser les intimés, voire à faire pression sur eux, il n’en reste pas moins que la société pouvait légitimement considérer que les recours en annulation dirigés contre son permis de construire ne reposaient sur aucun moyen sérieux, n’avaient pour objet que de lui nuire et retarder la mise en œuvre de son projet immobilier puisqu’il ressort de la lecture du jugement rendu le 22 avril 2013 par le tribunal administratif de Marseille qu’un seul des très nombreux moyens soulevés a été jugés recevable et bien fondé ; qu’il ne saurait donc être reproché à la société d’avoir fait preuve de légèreté blâmable, de témérité ou encore d’avoir commis une erreur grossière ; Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que la société n’avait pas commis de faute dans l’exercice de son droit d’agir en justice ».

Tout en rappelant, à l’instar de la Cour, que le montant des dommages et intérêts réclamés était de nature à exercer des pressions sur les intimés, la Haute Juridiction a considéré que la société pétitionnaire n’avait commis aucune faute dans l’exercice de son droit d’agir en justice.
Ce faisant, et alors même que le tribunal administratif de Marseille a, en définitive, annulé le permis de construire attaqué sur un moyen de fond, elle a retenu que la société pétitionnaire pouvait légitimement considéré que le recours formé contre son autorisation ne reposait sur « aucun moyen sérieux » et n’avaient eu pour objet que de lui nuire et retarder la mise en œuvre de son projet immobilier.

La Cour de cassation s’est ainsi appuyée sur les très nombreux autres moyens inopérants ou infondés qui avaient été soulevés par les requérants devant le juge administratif pour estimer que la société pétitionnaire avait usé d’un mode de défense légitime en assignant pour recours abusif les propriétaires voisins, lesquels justifiaient pourtant d’un intérêt à agir non contestable contre le permis de construire délivré.

En d’autres termes, il n’y a pas eu abus de droit à saisir le juge d’un recours en abus de droit alors même que l’abus de droit n’était pas constitué.

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