L’arrêté autorisant la dérogation « espèces protégées » pour la construction et l’exploitation d’un parc éolien dans la forêt de Lanouée (Morbihan) est légal

Catégorie

Environnement

Date

April 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 15 avril 2021, SPPEF et autres, req. n° 430500

Par un arrêté du 4 février 2015, le préfet du Morbihan a autorisé une société exploitant un parc éolien dans la forêt de Lanouée (Morbihan) à déroger aux interdictions relatives à capture, l’enlèvement, le transport, la perturbation intentionnelle, la destruction de spécimens d’espèces protégées et la destruction d’habitats d’espèces protégées pendant la durée des travaux et durant l’exploitation du parc (c. env. art. L411-2).

Cet arrêté a fait l’objet d’un recours introduit par l’association Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF) et de particuliers.

L’arrêté du préfet du Morbihan a été annulé en première instance par le tribunal administratif de Rennes. Saisie par la société porteuse du projet et le ministre de la transition écologique, la Cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement et rejeté les demandes tendant à l’annulation de l’arrêté du 4 février 2015.

La SPPEF et les particuliers ont saisi le Conseil d’Etat.

Par un arrêt du 15 avril 2021, la Haute Juridiction a rejeté la demande d’annulation de l’arrêté du 4 février 2015 du préfet du Morbihan.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat vérifie que les conditions de la dérogation sont remplies (1). Puis, il contrôle le respect des conditions dans lesquelles doit être faite la demande et l’instruction de la dérogation (2).

1.      Les conditions relatives à la dérogation

Si l’article L. 411-1 du Code de l’environnement interdit « la capture, l’enlèvement, le transport, la perturbation intentionnelle, la destruction de spécimens d’espèces protégées et la destruction d’habitats d’espèces protégées », des dérogations sont prévues par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement.

De telles dérogations ne peuvent être accordées que si les critères suivants sont réunis (c. env. art. L. 411-2) :

  • Le projet doit répondre, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur (a).
  • En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé que si (b):
    • d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante
    • et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle

    a) Une raison impérative d’intérêt public majeur

La Cour administrative d’appel avait considéré que le projet répondait à une raison d’intérêt public majeur car il visait à alimenter en électricité plus de 50 000 personnes, et s’inscrivait dans les objectifs européens d’augmentation de part d’énergie renouvelable 1)Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans une région où le pourcentage d’énergie renouvelable est jugé insuffisant.

Selon la Haute juridiction, la Cour a justement qualifié les faits.

Cet arrêt du Conseil d’Etat est à mettre en parallèle avec une décision rendue le même jour dans laquelle la Haute Juridiction a prononcé une solution inverse pour une centrale hydroélectrique 2)CE 15 avril 2021, req. n°432158 : « la cour administrative d’appel a retenu qu’il n’était pas établi que ce projet de centrale hydroélectrique serait de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national et que le projet ne pouvait être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l’Etat dans le développement des énergies renouvelables. […]  En statuant ainsi […] la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en refusant de reconnaître, en l’état de l’instruction devant elle, que le projet répondait à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ».

Il semble ainsi en définitive que l’augmentation sensible de la part d’énergie renouvelable consommée par le département peut être un critère déterminant qui permet, ou non, de justifier une raison impérative d’intérêt public majeur.

    b) L’absence d’autre solution satisfaisante concernée et l’absence de nuisance au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces

Sur les deux autres critères préalables à l’octroi d’une dérogation « espèces protégée », le Conseil d’Etat contrôle l’existence d’une erreur de droit et l’absence de dénaturation des faits.

D’une part, la Cour d’appel avait considéré qu’aucune autre solution n’était meilleure que celle finalement sélectionnée. Le porteur de projet avait envisagé plusieurs types d’énergies renouvelables, puis considéré plusieurs lieux d’implantation.

D’autre part, la Cour juge que la situation adoptée évite une trop grande proximité avec les habitations (distance d’un kilomètre) et n’empiète ni sur une zone Natura 2000, ni un espace boisé classé, ni une zone humide.

Pour le Conseil d’Etat, la Cour s’est livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation, et n’a pas commis d’erreur de droit.

2.     Les conditions relatives à la demande et à l’instruction de la dérogation

Le Conseil d’Etat rappelle en outre que la demande doit en principe être adressée au préfet du département et comprendre la description, en fonction de la nature de l’opération projetée 3)Art. 1er de l’arrêté du ministre de l’agriculture et de la pêche et de la ministre de l’écologie et du développement durable du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d’instruction des dérogations définies au 4° de l’art. L 411-2 du C. env. :

  • du programme d’activité dans lequel s’inscrit la demande, de sa finalité et de son objectif
  • des espèces (nom scientifique et nom commun) concernées ;
  • du nombre et du sexe des spécimens de chacune des espèces faisant l’objet de la demande
  • s’il y a lieu, des mesures d’atténuation ou de compensation mises en oeuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées

La décision accordant la dérogation doit préciser, « en tant que de besoin », le nombre et le sexe des spécimens sur lesquels porte la dérogation 4)Art. 4 du même arrêté.

En l’espèce, la demande comportait une liste exhaustive des espèces concernées et les mesures de réduction compensation et accompagnement envisagé, mais ne précisait pas le nombre et le sexe des spécimens.

Mais, en jugeant le contenu du dossier de demande de dérogation satisfaisant, le Conseil d’Etat a estimé qu’« eu égard à la nature de l’opération » la Cour n’avait pas commis d’erreur de droit.

La Haute Juridiction en déduit la légalité de l’arrêté et rejette le pourvoi.

 

 

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References   [ + ]

1. Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables
2. CE 15 avril 2021, req. n°432158 : « la cour administrative d’appel a retenu qu’il n’était pas établi que ce projet de centrale hydroélectrique serait de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national et que le projet ne pouvait être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l’Etat dans le développement des énergies renouvelables. […]  En statuant ainsi […] la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en refusant de reconnaître, en l’état de l’instruction devant elle, que le projet répondait à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement »
3. Art. 1er de l’arrêté du ministre de l’agriculture et de la pêche et de la ministre de l’écologie et du développement durable du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d’instruction des dérogations définies au 4° de l’art. L 411-2 du C. env.
4. Art. 4 du même arrêté

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