Le Conseil d’Etat a ordonné au Gouvernement d’indiquer publiquement et largement que le vélo peut être utilisé pour les déplacements autorisés durant le confinement

Catégorie

Droit administratif général

Date

May 2020

Temps de lecture

7 minutes

CE ordonnance 30 avril 2020 Fédération française des usagers de la bicyclette, req. n° 440179

L’ordonnance du 30 avril 2020 mentionnée aux Tables constitue une illustration du contrôle par le juge des référés-libertés du Conseil d’Etat des mesures exceptionnelles restrictives de libertés prises par le Gouvernement pendant la période d’état d’urgence sanitaire.

Avant l’intervention de cette décision et face à une communication du Gouvernement qui manquait de clarté, un doute existait sur la possibilité d’utiliser un vélo comme mode de déplacement ou comme engin pour effectuer une pratique sportive individuelle ; en pratique, cela avait donné lieu à un certain nombre de verbalisation pour ce motif.

C’est dans ce contexte que la Fédération française des usagers de la bicyclette a saisi le Conseil d’Etat d’un recours en référé-liberté 1)Article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA) : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ». Bien que cela n’était pas nécessaire (cf. notre commentaire sur le blog relatif à la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19), le nouvel article L. 3131-18 du code de la santé publique créé par la loi précitée et modifié depuis par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, précise : « (…) les mesures prises en application du présent chapitre peuvent faire l’objet, devant le juge administratif, des recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative. ». demandant :

  • d’enjoindre au Premier ministre, au ministre de l’intérieur et à la ministre des sports de publier sur leurs sites internet, sur leurs comptes sur réseaux sociaux (Twitter et Facebook) et par voie d’affichage un communiqué autorisant expressément l’utilisation du vélo pour tous les motifs de déplacement indiqués dans l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 3) L’encadrement de certains déplacements figure désormais à l’article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire., en spécifiant clairement que le vélo à titre d’activité physique individuelle, est autorisé, et en retirant toute information contraire ;
  • d’enjoindre à plusieurs autorités publiques 2) La fédération requérante nomme les autorités suivantes : le Préfet de police, les préfets d’Ille-et-Vilaine, de l’Hérault, d’Indre-et-Loire, de Loire-Atlantique, du Lot et Garonne, de Haute-Marne, du Nord, des Hauts-de-Seine, du Bas-Rhin, d’Occitanie, de Seine-Saint-Denis, à la police et à la gendarmerie nationales. de rouvrir les pistes cyclables fermées sans nécessité stricte et, le cas échéant, de mettre en œuvre des mesures permettant la continuité cyclable ;
  • d’enjoindre au Premier ministre d’émettre une circulaire aux détenteurs du pouvoir de police de circulation leur ordonnant de ne fermer les aménagements cyclables qu’en cas de nécessité stricte ;
  • d’enjoindre au Premier ministre d’émettre une circulaire à la police et à la gendarmerie nationales, leur ordonnant d’autoriser l’utilisation du vélo pour tous les motifs de déplacement indiqués dans l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
  • d’enjoindre au ministère public de cesser de poursuivre les verbalisations ayant pour motif l’usage du vélo.

Dans son ordonnance du 30 avril, le juge des référés du Conseil d’Etat a partiellement fait droit à ces demandes en ordonnant au Premier ministre d’indiquer publiquement et largement que le vélo peut être utilisé pour les déplacements autorisés durant le confinement.

En revanche, les demandes tenant à la réouverture des pistes cyclables et à l’interruption des poursuites pénales engagées contre les cyclistes sont rejetées, les premières car le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour en connaître en premier et en dernier ressort 4)En effet, selon l’article R. 311-1 du CJA, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort, notamment, des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets et contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale. Sont donc exclus les recours dirigés contre les décisions préfectorales., les secondes car le juge des référés n’est pas habilité à adresser une injonction à l’autorité judiciaire.

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord les dispositions l’article L. 521-2 du CJA et ajoute, dans son considérant de principe, que « La liberté d’aller et venir et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, qui implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui, constituent des libertés fondamentales au sens de cet article. ».

Si cette formulation avait déjà, bien que rarement à notre connaissance, pu être employée 5)CE 8 septembre 2005, req. n° 284803 : Publié au Rec. Lebon., le Conseil d’Etat l’a souvent reprise pendant l’état d’urgence sanitaire 6)CE 27 mars 2020, req. n° 439720 : Mentionné aux T. Rec. Lebon – CE 2 avril 2020, req. n° 439763 – CE 17 avril 2020, req. n° 440057 : Mentionné aux T. Rec. Lebon..

Le Conseil d’Etat juge ensuite que « Lorsqu’il est saisi sur le fondement des dispositions citées ci-dessus et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, il appartient au juge des référés de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Le juge des référés peut ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d’organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu’il s’agit de mesures d’urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. ».

Il rappelle ensuite le cadre légal en citant les dispositions de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique (CSP) portant sur les mesures que le Premier ministre peut adopter en période d’état d’urgence sanitaire aux seules fins de garantir la santé publique.

A la date de l’ordonnance, cette disposition prévoyait notamment que le Premier ministre pouvait « Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; ». Depuis l’intervention de la loi du 11 mai 2020 qui a prorogé l’état d’urgence jusqu’au 10 juillet inclus, l’adjectif « restreindre » a été remplacé par « réglementer ».

C’est dans ce cadre que le décret du 23 mars 2020 prévoyait, d’abord jusqu’au 31 mars 2020, puis jusqu’au 15 avril 2020 et enfin jusqu’au 11 mai 2020, que les déplacements autorisés autre que ceux liés à des motifs professionnels, de santé, ou familial impérieux par exemple, consistaient en des « déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie » 7) Article 3 5° du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020..

Et, selon le Conseil d’Etat, l’usage d’un moyen de déplacement particulier, notamment une bicyclette ne saurait à lui seul caractériser une violation de ces dispositions.

A cet égard, le représentant du ministre de l’intérieur avait apporté, durant l’audience publique, une information sur l’existence et le contenu d’un relevé de décision de la cellule interministérielle de crise placée auprès du Premier ministre exprimant la position retenue par le Gouvernement à ce sujet et devant être diffusée à l’ensemble des agents chargés de leur application, et retranscrite par le Conseil d’Etat dans sa décision :

« ne sont réglementés que les motifs de déplacement et non les moyens de ces déplacements qui restent libres. La bicyclette est donc autorisée à ce titre comme tout autre moyen de déplacement, et quel que soit le motif du déplacement (…) les verbalisations résultant de la seule utilisation d’une bicyclette, à l’occasion d’un déplacement autorisé, sont injustifiées ».

Cette information précisait en outre que si les restrictions de temps (1 heure) et de distance (1 km) imposées par le décret privent d’intérêt l’usage de la bicyclette pour la pratique d’une activité physique individuelle et qu’il existe un risque plus important de commettre une infraction en dépassant la distance autorisée, justifiant alors d’« en dissuader l’usage au titre de l’activité physique », la possibilité juridique d’utiliser la bicyclette pour tout motif de déplacement devait être rappelée.

Cela n’avait toutefois pas empêché plusieurs autorités de l’Etat de diffuser sur les réseaux sociaux ou dans des réponses à des « foires aux questions », l’information selon laquelle la pratique de la bicyclette est interdite dans le cadre des loisirs et de l’activité physique individuelle.

Or, selon le Conseil d’Etat la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l’usage est autorisé constitue, au titre de la liberté d’aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du CJA.

Compte tenu donc des incertitudes au sujet de l’usage de la bicyclette et des contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques, particulièrement en ce qui concerne l’activité physique, le Conseil d’Etat juge que l’absence de diffusion publique de la position gouvernementale affichée par la décision de la cellule de crise interministérielle précitée a, en l’espèce, porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En conséquence, le Conseil enjoint au Premier ministre de rendre publique, sous vingt-quatre heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position en question.

Même si depuis le 11 mai 2020 et l’entrée dans la phase dite de « déconfinement », seuls les déplacements au-delà de 100 kilomètres sont interdits sauf exception 8)Article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire., l’ordonnance commentée demeure intéressante à double titre :

  • sur la nature des mesures ordonnées, à notre connaissance, c’est la première fois que le juge des référés-libertés enjoint à une autorité publique de préciser la portée d’une disposition réglementaire par « un moyen de communication à large diffusion» (et, par là-même, ordonne en un sens de rendre publique une position exprimée lors d’une cellule de crise interministérielle, dès lors que celle-ci permet de pallier à des incertitudes attentatoires aux libertés) ;
  • l’état d’urgence a été déclaré sur l’ensemble du territoire jusqu’au 10 juillet 2020 inclus. Durant cette période, le Premier ministre pourra toujours, en application de l’article 3131-15 du CSP précité, durcir si nécessaire les mesures restreignant la liberté d’aller et venir aux fins de garantir la santé publique.

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References   [ + ]

1. Article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA) : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ». Bien que cela n’était pas nécessaire (cf. notre commentaire sur le blog relatif à la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19), le nouvel article L. 3131-18 du code de la santé publique créé par la loi précitée et modifié depuis par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, précise : « (…) les mesures prises en application du présent chapitre peuvent faire l’objet, devant le juge administratif, des recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative. ».
2. La fédération requérante nomme les autorités suivantes : le Préfet de police, les préfets d’Ille-et-Vilaine, de l’Hérault, d’Indre-et-Loire, de Loire-Atlantique, du Lot et Garonne, de Haute-Marne, du Nord, des Hauts-de-Seine, du Bas-Rhin, d’Occitanie, de Seine-Saint-Denis, à la police et à la gendarmerie nationales.
3. L’encadrement de certains déplacements figure désormais à l’article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
4. En effet, selon l’article R. 311-1 du CJA, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort, notamment, des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets et contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale. Sont donc exclus les recours dirigés contre les décisions préfectorales.
5. CE 8 septembre 2005, req. n° 284803 : Publié au Rec. Lebon.
6. CE 27 mars 2020, req. n° 439720 : Mentionné aux T. Rec. Lebon – CE 2 avril 2020, req. n° 439763 – CE 17 avril 2020, req. n° 440057 : Mentionné aux T. Rec. Lebon.
7. Article 3 5° du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020.
8. Article 3 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

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