Le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur les conditions d’exercice du droit de préemption commercial

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

January 2024

Temps de lecture

4 minutes

CE 15 décembre 2023, Société NM Market, req. n° 470167 : mentionné aux Tables du Rec. CE

Par cette décision, le Conseil d’Etat vient apporter plusieurs précisions sur les conditions d’exercice du droit de préemption commercial.

En l’espèce, la commune de Sainte-Foy-lès-Lyon a délimité, par une délibération du 31 mars 2016, plusieurs secteurs de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité dans les secteurs de la commune « où des menaces pèsent sur la diversité commerciale et artisanale ».

Le 10 novembre 2022, le maire de la commune a, ainsi, exercé le droit de préemption commercial prévu à l’article L. 214-1 du code de l’urbanisme 1)Art. L. 214-1 du Code de l’urbanisme : « Le conseil municipal peut, par délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, à l’intérieur duquel sont soumises au droit de préemption institué par le présent chapitre les aliénations à titre onéreux de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. A l’intérieur de ce périmètre, sont également soumises au droit de préemption visé à l’alinéa précédent les aliénations à titre onéreux de terrains portant ou destinés à porter des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés. Chaque aliénation à titre onéreux est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le cédant à la commune. Cette déclaration précise le prix, l’activité de l’acquéreur pressenti, le nombre de salariés du cédant, la nature de leur contrat de travail et les conditions de la cession. Elle comporte également le bail commercial, le cas échéant, et précise le chiffre d’affaires lorsque la cession porte sur un bail commercial ou un fonds artisanal ou commercial. Le droit de préemption est exercé selon les modalités prévues par les articles L. 213-4 à L. 213-7. Le silence du titulaire du droit de préemption pendant le délai de deux mois à compter de la réception de cette déclaration vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption. Le cédant peut alors réaliser la vente aux prix et conditions figurant dans sa déclaration. » sur une cession de droit au bail consentie par la société Auto-école fidésienne à l’intérieur de l’un de ces secteurs.

L’acquéreur évincé, la Société NM Market, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de cette décision.

Par une ordonnance en date du 19 décembre 2022 3)TA Lyon 19 décembre 2022, n° 2208879, contre laquelle la société NM Market se pourvoit en cassation, le juge du référé a rejeté cette demande pour défaut de moyens propres à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption.

C’est dans ces conditions que, transposant sa jurisprudence en matière de droit de préemption urbain 4)CE 6 juin 2012 Société RD Machines-Outils, n°342328 : publié au Rec. CE ; Voir aussi plus récemment CE 30 juin 2023 n°468543 mentionné aux T. Rec. CE, la Haute juridiction juge que les collectivités titulaires du droit de préemption commercial peuvent légalement exercer ce droit :

  • d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date ;
  • d’autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption 2)Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, ces deux premières exigences, issues de la décision de 2008 Commune de Meung-sur-Loire relative au droit de préemption urbain (CE 7 mars 2008 req. n°288371, mentionné aux T. Rec. CE) se déduisent « de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme. Ce dernier prévoit ainsi que « toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé » et que les droits de préemption institués par le titre I du livre II de la première partie du code de l’urbanisme « sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 », au titre desquels figurent notamment l’organisation de la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, la mise en œuvre d’un projet urbain ou d’une politique locale de l’habitat ou la réalisation d’équipements collectifs ».;
  • et, enfin, sous réserve que la mise en œuvre de ce droit, « eu égard notamment aux caractéristiques du bien, en l’occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial, faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière » réponde à un intérêt général suffisant 5)Cette exigence a été consacrée en 2012 par le Conseil d’Etat dans la décision précitée Société RD Machines-Outils relative au droit de préemption urbain (CE 6 juin 2012 Société RD Machines-Outils, n°342328 : publié au Rec. CE)..

C’est ainsi que le Conseil d’Etat considère, en l’espèce, que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit en écartant comme n’étant pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée les moyens tirés, d’une part, de l’absence de justification de la réalité d’un projet répondant aux objectifs mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme et, d’autre part, de ce que la mise en œuvre du droit de préemption ne répondait pas à un intérêt général suffisant, « alors que ni la décision de préemption attaquée, qui se borne à se référer à cette délibération et à indiquer que l’extension d’un commerce déjà existant va à l’encontre de l’objectif de diversité commerciale et artisanale ayant présidé au choix de délimiter ce périmètre, n’apportait de précision quant à la nature du projet poursuivi, notamment la ou les activités commerciales ou artisanales dont l’installation ou le développement seraient organisés dans le périmètre en cause, laquelle ne ressortait pas non plus de la délibération délimitant le périmètre, ni les autres pièces du dossier qui lui était soumis n’indiquaient la nature de ce projet (…) ».

En conséquence, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés et règle l’affaire au fond en examinant les deux conditions du référé-suspension.

Sur la première condition, le Conseil d’Etat rappelle que l’acquéreur évincé bénéficie d’une présomption d’urgence qui ne peut être renversée qu’en présence de circonstances particulières « tenant par exemple à l’intérêt s’attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’exercice du droit de préemption » 6)CE 13 novembre 2002 H…,248851, publié au Rec. CE, ce que la commune ne démontre pas en l’espèce.

Sur la seconde condition, le Conseil d’Etat considère que les deux moyens susmentionnés invoqués par la société requérante, relatifs à l’absence de justification de la réalité du projet et de l’existence d’un intérêt général suffisant, sont de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

En conséquence, les juges du Palais Royal suspendent l’exécution de la décision de préemption litigieuse.

 

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1. Art. L. 214-1 du Code de l’urbanisme : « Le conseil municipal peut, par délibération motivée, délimiter un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, à l’intérieur duquel sont soumises au droit de préemption institué par le présent chapitre les aliénations à titre onéreux de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux. A l’intérieur de ce périmètre, sont également soumises au droit de préemption visé à l’alinéa précédent les aliénations à titre onéreux de terrains portant ou destinés à porter des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés. Chaque aliénation à titre onéreux est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le cédant à la commune. Cette déclaration précise le prix, l’activité de l’acquéreur pressenti, le nombre de salariés du cédant, la nature de leur contrat de travail et les conditions de la cession. Elle comporte également le bail commercial, le cas échéant, et précise le chiffre d’affaires lorsque la cession porte sur un bail commercial ou un fonds artisanal ou commercial. Le droit de préemption est exercé selon les modalités prévues par les articles L. 213-4 à L. 213-7. Le silence du titulaire du droit de préemption pendant le délai de deux mois à compter de la réception de cette déclaration vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption. Le cédant peut alors réaliser la vente aux prix et conditions figurant dans sa déclaration. »
2. Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, ces deux premières exigences, issues de la décision de 2008 Commune de Meung-sur-Loire relative au droit de préemption urbain (CE 7 mars 2008 req. n°288371, mentionné aux T. Rec. CE) se déduisent « de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme. Ce dernier prévoit ainsi que « toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé » et que les droits de préemption institués par le titre I du livre II de la première partie du code de l’urbanisme « sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 », au titre desquels figurent notamment l’organisation de la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, la mise en œuvre d’un projet urbain ou d’une politique locale de l’habitat ou la réalisation d’équipements collectifs ».
3. TA Lyon 19 décembre 2022, n° 2208879
4. CE 6 juin 2012 Société RD Machines-Outils, n°342328 : publié au Rec. CE ; Voir aussi plus récemment CE 30 juin 2023 n°468543 mentionné aux T. Rec. CE
5. Cette exigence a été consacrée en 2012 par le Conseil d’Etat dans la décision précitée Société RD Machines-Outils relative au droit de préemption urbain (CE 6 juin 2012 Société RD Machines-Outils, n°342328 : publié au Rec. CE).
6. CE 13 novembre 2002 H…,248851, publié au Rec. CE

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