Le Conseil d’Etat assouplit fortement sa jurisprudence relative à l’utilisation du critère social

Catégorie

Contrats publics

Date

April 2013

Temps de lecture

3 minutes

CE 25 mars 2013 Département de l’Isère, req. n° 364950

Le département de l’Isère a initié le 31 juillet 2012 une procédure d’appel d’offres ouvert pour l’attribution d’un marché portant sur « le renouvellement, le renforcement des chaussées, l’entretien des voies vertes et des abords des bâtiments du conseil général, divisé en treize lots ».

Ce marché va être l’occasion pour le juge administratif de « repenser » l’utilisation du critère dit « social » dans le jugement des offres[1].

Non retenue pour l’attribution du lot n° 3, la société PL Favier a saisi le juge des référés précontractuel de Grenoble qui, par une ordonnance du 20 décembre 2012, a annulé la procédure de passation « en relevant que, par nature et indépendamment des personnels susceptibles d’être concernés par l’exécution du marché, les travaux de renforcement et de renouvellement de chaussées prévus par le marché litigieux ne présentent aucun lien direct avec l’insertion professionnelle des publics en difficulté ».

La Haute Juridiction va toutefois censurer pour erreur de droit l’ordonnance en jugeant « que, dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché qui, eu égard à son objet, est susceptible d’être exécuté, au moins en partie, par des personnels engagés dans une démarche d’insertion, le pouvoir adjudicateur peut légalement prévoir d’apprécier les offres au regard du critère d’insertion professionnelle des publics en difficulté dès lors que ce critère n’est pas discriminatoire et lui permet d’apprécier objectivement ces offres ».

L’ordonnance en cause pouvait pourtant s’appuyer sur la jurisprudence commune de Gravelines[2] et sur certaines jurisprudences des juges du fond[3] qui, de fait, rendaient très difficile l’utilisation d’un tel critère puisqu’il était in fine exigé que les prestations mêmes demandées au titre de ce marché portent sur l’insertion professionnelle.

Et jugeant au fond après cassation, le Conseil d’Etat va rejeter le recours en validant l’utilisation d’un tel critère par le département :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’avis de marché public fixe, parmi les critères de sélection des offres, le critère des performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté, pondéré pour 15 % de la note finale ; que l’article 6 du règlement de consultation indique que cette performance en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté doit être appréciée au vu des éléments indiqués par les candidats, lesquels doivent notamment indiquer les modalités d’accueil et d’intégration de la personne en insertion recrutée dans le cadre de l’exécution du marché, présenter son référent avec son éventuelle formation au tutorat ou indiquer la progression et la formation de la personne en insertion recrutée ; que ce critère de performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté, ainsi mis en œuvre pour évaluer l’offre des candidats, est en rapport avec l’objet de ce marché de travaux publics, susceptible d’être exécuté au moins en partie par du personnel engagé dans une démarche d’insertion ; que, par suite, la société PL Favier n’est pas fondée à soutenir que le critère relatif aux performances en matière d’insertion professionnelle ne présente pas de lien avec l’objet du marché et ne pouvait légalement être retenu, alors même que le département de l’Isère n’a pas repris de telles exigences dans le cadre des clauses d’exécution du marché et que celui-ci devait s’exécuter sous la forme de bons de commande ».

Le Conseil d’Etat poursuit ainsi l’assouplissement, initié par l’arrêt UGAP[4], de la règle exigeant un lien entre l’objet du marché et les critères ou sous-critères de choix des offres (article 53 CMP), tout en s’assurant que le critère social « n’est pas discriminatoire et lui permet d’apprécier objectivement [les] offres ».


[1]           On rappellera que l’article 14 CMP permet également, dans le cadre cette fois de l’exécution du marché, d’insérer des « éléments à caractère social ».

[2]           CE 25 juillet 2001 commune de Gravelines, req. n° 229666.

[3]           CAA Douai 29 novembre 2011 région Nord Pas de calais, req. n° 10DA01501 : « Considérant, en l’espèce, que le marché en litige est relatif au déménagement, stockage et transfert de mobilier et machines-outils dans des lycées de la région ; qu’il ne ressort d’aucune pièce du dossier que les prestations attendues présenteraient, par nature, un lien avec les performances en matière d’insertion de publics en difficulté ; que cette exigence a été prise en compte pour une part représentant 15 % de la notation globale et identifiée spécifiquement comme un sous-critère du critère de la valeur technique pour la sélection des offres ; que, si la région pouvait retenir, au nombre des conditions d’exécution du contrat, des éléments à caractère social prenant en compte l’objectif de progrès social, tel que mentionné à l’article 14 du code des marchés publics, elle ne pouvait pas le faire au titre des critères d’attribution ; qu’il suit de là que le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit dans l’application de l’article 53 du code des marchés publics précité ».

[4]           CE décembre 2012 UGAP, req. n° 363 208 : cf. sur le présent Blog : « Les sous-critères de choix de l’offre économiquement la plus avantageuse doivent être liés à l’objet du marché » — Questions à Laurent Givord : Lexbase.

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