Le Conseil d’Etat indique comment apprécier l’état de conservation d’une espèce protégée pour accorder une dérogation

Catégorie

Environnement

Date

January 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 28 décembre 2022 Société La Provençale, req. n° 449658

Peu de temps après son avis très instructif du 9 décembre 2022 1)Voir en ce sens notre article de blog intitulé Mesures ERC et dérogations à l‘interdiction de destruction des espèces protégées , le Conseil d’Etat se prononce à nouveau sur les conditions d’octroi d’une dérogation espèces protégées et apporte cette fois, des éclaircissements sur l’appréciation de l’état de conservation des espèces concernées en se prononçant, pour la seconde fois, sur la réouverture de la carrière de Nau Bouques dans les Pyrénées-Orientales.

En effet, par un arrêté préfectoral du 3 février 2015, le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé à la société La Provençale une dérogation aux interdictions de destructions d’espèces de flore et de faune sauvages protégées pour la réalisation de son projet de réouverture de la carrière de Nau Bouques sur le territoire des communes de Vingrau et Tautavel.

Cet arrêté a été attaqué par la Fédération pour les espaces naturels de l’environnement des Pyrénées-Orientales (FRENE 66) devant le tribunal administratif de Montpellier qui, par un jugement du 3 mai 2016, l’a annulé. Le ministre chargé de la transition écologique et solidaire et la société La Provençale ont interjeté appel contre ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Marseille qui a suivi la position du tribunal administratif.

Sur les pourvois de la société La Provençale et du ministre de la transition écologique et solidaire, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt du 3 juin 2020 2)CE 3 juin 2020 Société La Provençale, req. n° 425395 dans lequel il annule les arrêts de la Cour administratif d’appel, considérant que le projet répondait bien à une raison impérative d’intérêt public majeur susceptible de justifier l’octroi d’une dérogation dite espèces protégées, puis renvoie l’affaire au fond.

Par un arrêt du 17 décembre 2020, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé de nouveau l’arrêté préfectoral en cause, considérant que les lacunes du dossier de dérogation ne permettaient pas d’apprécier l’impact du projet sur l’état de conservation des espèces concernées.

La société La Provençale s’est alors pourvue en cassation.

Pour rappel, trois conditions cumulatives doivent être remplies afin qu’une telle dérogation soit accordée à un pétitionnaire :

  • il ne doit pas y avoir de solution alternative satisfaisante
  • le projet ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle
  • la dérogation doit être justifiée par l’un des cinq motifs 3)Enumérés par le 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement , parmi lesquels figure le fait que le projet réponde à une raison impérative d’intérêt public majeur

La deuxième décision du Conseil d’Etat sur ce projet, rendue le 28 décembre 2022, apporte des éclaircissements sur l’appréciation de la deuxième condition, à savoir l’état de conservation des espèces concernées.

Ainsi, il affirme qu’« il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l’état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci ».

La méthode proposée par le juge administratif se met donc en œuvre en deux étapes :

  • la détermination de l’état de conservation des populations concernées. Sur ce point, le Conseil d’Etat ne précise pas le périmètre à prendre en compte pour déterminer l’état de conservation de l’espèce. Les conclusions du rapporteur public apportent des éclaircissements puisqu’il propose la méthode suivante : « d’abord évaluer l’état de conservation des populations des espèces concernées au  niveau national ou, le cas échéant, au niveau de la région biogéographique visée  (éventuellement au-delà des frontières) si l’aire de répartition naturelle de l’espèce l’exige » 4)Conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public, sur CE 28 décembre 2022 société La Provençale, req. n° 449658 ;
  • et les impacts géographiques et démographiques de la dérogation envisagée sur ces populations.

En l’espèce, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la requérante en jugeant que la cour administrative d’appel de Marseille n’avait commis aucune erreur de droit.

Plus particulièrement, le Conseil d’Etat valide le raisonnement de la cour selon lequel les lacunes du dossier de demande de dérogation ne lui permettaient pas d’apprécier les impacts du projet sur l’état de conservation des espèces concernées pour en déduire que la condition tenant à ce que le projet ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées ne pouvait être regardée comme remplie.

 

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References   [ + ]

1. Voir en ce sens notre article de blog intitulé Mesures ERC et dérogations à l‘interdiction de destruction des espèces protégées
2. CE 3 juin 2020 Société La Provençale, req. n° 425395
3. Enumérés par le 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement
4. Conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public, sur CE 28 décembre 2022 société La Provençale, req. n° 449658

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