Mesures ERC et dérogations à l‘interdiction de destruction des espèces protégées 

Catégorie

Environnement

Date

January 2023

Temps de lecture

5 minutes

CE 9 décembre 2022 Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement et autres, req. n° 463563

Par un avis rendu le 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat a apporté des clarifications bienvenues sur l’éventuelle nécessité et, lorsqu’elle est requise, les conditions de l’octroi de la dérogation « espèces protégées ».

La société Parc éolien du Sud Artois a déposé une demande d’autorisation environnementale tendant à la construction et à l’exploitation d’un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de trois postes de livraison. Par un arrêté préfectoral du 7 mai 2020, le préfet du Pas-de-Calais a autorisé la construction et l’exploitation de ce parc. L’association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, ainsi que plusieurs requérants, ont engagé un recours en annulation à l’encontre de cet arrêté au motif que l’autorisation environnementale délivrée ne tenait pas lieu de dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées prévue par l’article L. 411-2 du code de l’environnement 1)Lorsqu’un projet requiert à la fois une autorisation environnementale et une dérogation relative aux espèces protégées, la première intègre la seconde (article L. 181-2 du code de l’environnement)..

Pour mémoire, lorsque la réalisation d’un projet porte atteinte à des espèces protégées ou à leur habitat, une dérogation spéciale doit être obtenue par le responsable du projet. Cette dérogation peut être accordée lorsque sont remplies trois conditions cumulatives suivantes 2)L. 411-2 code de l’environnement :

  • le projet doit poursuivre l’un des objectifs limitativement énumérés par le 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, parmi lesquels figurent l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou d’autres « raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Ainsi, « un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur » 3)CE 17 octobre 2022 Associations France Nature Environnement Ile-de-France et autres, req. n° 459219, point 9 : Rec. CE T. (RIIPM) ;
  • il ne doit pas exister d’autre solution satisfaisante (c’est-à-dire d’autre solution, pour atteindre l’objectif poursuivi, que l’atteinte à l’espèce protégée ; et donc l’octroi de la dérogation requise) ;
  • la dérogation octroyée ne doit pas nuire au maintien dans un état de conservation favorable des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

En l’espèce, l’étude d’impact du projet a révélé que les aérogénérateurs autorisés étaient susceptibles d’entraîner la destruction de spécimens d’oiseaux et de chiroptères figurants parmi ceux dont la destruction dans le milieu naturel est interdite 4)Art. 3 de l’arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection et art. 2 de l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

La ministre de la transition écologique a fait valoir en défense que l’octroi d’une dérogation à l’interdiction de destruction de spécimens d’espèces protégées n’était pas nécessaire, puisque, selon l’étude d’impact, il n’y avait pas de risque de mortalité de nature à remettre en cause le maintien ou la restauration en bon état de conservation de la population des espèces protégées présentes.

Le débat ne portait donc pas sur la réalité de l’atteinte, mais sur la nature de cette atteinte : fallait-il solliciter une dérogation dès lors qu’un seul spécimen était menacé ? Fallait-il au contraire prévoir un seuil ?

Confrontée à ces questions de droit nouvelles, la cour administrative d’appel de Douai a décidé de surseoir à statuer et de saisir le Conseil d’Etat afin qu’il examine les questions suivantes 5)Article L113-1du CJA:

« 1°) Lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation environnementale sur le fondement du 2° de l’article L. 181-1 du code de l’environnement, suffit-il, pour qu’elle soit tenue d’exiger du pétitionnaire qu’il sollicite l’octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l’article L. 411-2 de ce code, que le projet soit susceptible d’entraîner la mutilation, la destruction ou la perturbation intentionnelle d’un seul spécimen d’une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 visés ci-dessus ou la destruction, l’altération ou la dégradation d’un seul de leur habitat, ou faut-il que le projet soit susceptible d’entraîner ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées

2°) Dans chacune de ces hypothèses, l’autorité administrative doit-elle tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d’atteinte à ces espèces ou des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet »

Comme l’a justement relevé le rapporteur public, M. Nicolas Agnoux, lors de la séance du 18 novembre 2022 de la section du contentieux du Conseil d’Etat, alors que l’appréciation des conditions d’octroi de la dérogation ont fait l’objet de nombreuses décisions récentes du Conseil d’Etat, « la question d’amont, celle du seuil de déclenchement de l’obligation, qui ne fait l’objet d’aucune précision dans les textes, n’a guère été abordée en jurisprudence ».

Saisi de ces questions, le Conseil d’Etat a d’abord rappelé les conditions d’octroi de la dérogation au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement. Il a ensuite examiné les cas dans lesquels une dérogation doit être sollicitée. Il en a déduit que le pétitionnaire, responsable du projet, devra :

  • examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire « dès lors que les spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet » sans prendre en compte le nombre de ces spécimens ou leur état de conservation à ce stade.

A ce stade, un simple panorama de l’état du site, au travers du prisme « espèces protégées », doit donc être réalisé.

  • obtenir une dérogation « espèces protégées » lorsque « le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé »

Sur ce point, les conclusions du rapporteur public sont instructives. Celui-ci proposait au Conseil d’Etat de dispenser le pétitionnaire de solliciter la dérogation « que dans la mesure où le risque d’atteinte portée aux espèces protégées, évalué en fonction du degré de fréquentation du site par ces espèces, de leur comportement et de leur vulnérabilité aux techniques mises en œuvre, tombe à un niveau si réduit qu’il puisse être regardé comme accidentel – un niveau, situé quelque part entre « faible » et « infinitésimal », que l’on pourrait donc qualifier, comme le suggère le ministre dans ses observations, de « négligeable ». »

Le Conseil d’Etat retient simplement que la dérogation est nécessaire dès lors que le risque d’atteinte est « suffisamment caractérisé ». Ce qui, concrètement, et ainsi que le révèle sa réponse à la question suivante, est notamment le cas lorsque le projet nécessite des mesures de compensation aux atteintes aux espèces protégées ou à leurs habitats.

  • Par ailleurs, le Conseil d’Etat précise que pour analyser la nature du risque, le pétitionnaire peut prendre en compte les mesures d’évitement et de réduction, mais en aucun cas les mesures de compensation. Cela semble logique dès lors que les mesures de compensation ont vocation à intervenir a posteriori, lorsque que l’atteinte est réalisée, à l’inverse des mesures d’évitement qui suppriment le risque, et des mesures de réduction qui le temporisent.

Le Conseil d’Etat a sur ce point suivi l’analyse sans ambiguïté du rapporteur public.

Et surtout, ainsi que le rapporteur public le souligne expressément, la nécessité de mesures de compensation révèle implicitement l’existence d’une atteinte caractérisée ; et donc la nécessité de solliciter une dérogation.

Au final, si le porteur de projet a l’obligation de faire apparaitre dans son étude d’impact la présence d’une espèce protégée, quelle que soit son état de conservation et le nombre de spécimens ; il n’a l’obligation de solliciter une dérogation que dès lors que le risque d’atteinte, après mise en œuvre des mesures d’évitement et de réduction, est suffisamment caractérisée.

Enfin, le Conseil d’Etat rappelle que pour l’octroi d’une dérogation « espèces protégées », l’autorité administrative doit, sous le contrôle du juge, prendre en compte les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, notamment compte tenu :

  • des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire ;
  • de l’état de conservation des espèces concernées.

Ainsi, les mesures de compensation doivent être exposées dans le cadre de la demande d’octroi de la dérogation.

 

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References   [ + ]

1. Lorsqu’un projet requiert à la fois une autorisation environnementale et une dérogation relative aux espèces protégées, la première intègre la seconde (article L. 181-2 du code de l’environnement).
2. L. 411-2 code de l’environnement
3. CE 17 octobre 2022 Associations France Nature Environnement Ile-de-France et autres, req. n° 459219, point 9 : Rec. CE T.
4. Art. 3 de l’arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection et art. 2 de l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection
5. Article L113-1du CJA

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