Le Conseil d’Etat précise la notion d’intérêt donnant qualité pour agir à l’encontre d’un permis de construire

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2016

Temps de lecture

4 minutes

CE 10 février 2016 M. et Mme C.et autres, req. n° 387507 : mentionné dans les tables du recueil du Conseil d’Etat.

La question de l’intérêt à agir des requérants à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme a subi une redéfinition par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme.

Elle a notamment introduit dans le code de l’urbanisme un nouvel article L. 600-1-2, aux termes duquel :

    « Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Daniel Labetoulle, qui a présidé le groupe de travail à l’origine de cette réforme, (Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre, remis le 25 avril 2013 au ministre de l’Egalité des territoires et du Logement) soulignait peu après l’entrée en vigueur de cette disposition qu’il faudrait « attendre que se fixe une jurisprudence interprétative de l’article L. 600-1-2 pour apprécier si l’introduction de cet article a fait bouger les lignes » (Une nouvelle réforme du droit du contentieux de l’urbanisme : RDI 2013, p. 508).

Dans un arrêt du 10 juin 2015, le Conseil d’Etat a fixé le cadre nouveau dans lequel le juge administratif se doit désormais d’apprécier l’intérêt à agir d’un requérant en jugeant « qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu’il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci » (CE 10 juin 2015 Brodelle et Gino, req. n° 386121, publié au recueil Lebon – Lire le commentaire sur adden-leblog.com).

Ce sont les principes auxquels la haute juridiction administrative vient apporter quelques compléments dans l’arrêt commenté.

En l’espèce, deux propriétaires de maisons individuelles voisins du projet litigieux avaient saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande d’annulation du permis de construire octroyé à une société pour la réalisation d’un immeuble locatif.

La présidente de la 2ème chambre du tribunal rejetait cette demande comme manifestement irrecevable, au motif que les requérants avaient échoué à rapporter la preuve d’un intérêt leur donnant qualité pour agir à l’encontre du permis attaqué.

Devant le Conseil d’Etat, les requérants invoquaient en premier lieu l’illégalité des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative issu du décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme et lui-même issu de l’ordonnance « Labetoulle » précitée, aux termes desquelles :

    « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application. Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018 ».

Ils entendaient ainsi invoquer, au vu notamment de l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la privation d’un degré de juridiction.

Le Conseil d’Etat rejette le moyen, indiquant d’une part que « ces dispositions ne méconnaissent ni le droit au juge, ne le droit d’exercer un recours effectif » », et d’autre part, « qu’aucun principe ni aucune règle ne consacre l’existence d’une règle de double degré de juridiction qui s’imposerait au pouvoir règlementaire ; qu’en supprimant temporairement la voie de l’appel afin de raccourcir les délais dans lesquels sont jugés les recours qu’elles mentionnent, les dispositions litigieuses ont poursuivi un objectif de bonne administration de la justice, sans méconnaître aucun principe ni aucune disposition législative du code de justice administrative »

Sur le « fond », la haute juridiction fait application des principes dégagés dans sa décision Brodelle et Gino en mettant en lumière les insuffisances des éléments apportés par les requérants pour justifier d’une atteinte aux « conditions d’occupation d’utilisation ou de jouissance de [leur] bien » :

    « qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justifier de leur intérêt à agir, les requérants se sont bornés à se prévaloir de leur qualité de “propriétaires de biens immobiliers voisins directs à la parcelle destinée à recevoir les constructions litigieuses” ; que, par ailleurs, les pièces qu’ils ont fournies à l’appui de leur demande établissent seulement que leurs parcelles sont mitoyennes pour l’une et en co-visibilité pour l’autre du projet litigieux ; que, le plan de situation sommaire des parcelles qu’ils ont produit ne comportait que la mention : “façade sud fortement vitrée qui créera des vues” ; qu’invités par le greffe du tribunal administratif, par une lettre du 28 août 2014, à apporter les précisions nécessaires à l’appréciation de l’atteinte directe portée par le projet litigieux à leurs conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien, ils se sont bornés à produire, le 5 septembre suivant, la copie de leurs attestations de propriété ainsi que le plan de situation cadastral déjà fourni »

Dans ces conditions, le juge administratif marseillais n’a commis aucune erreur de qualification juridique des faits en considérant que les requérants étaient dépourvus d’intérêt à agir à l’encontre du permis attaqué et conformément aux dispositions du 4° de l’article R.222-1, il a pu rejeter leur demande par voie d’ordonnance comme étant « manifestement irrecevable ».

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