Le Conseil d’Etat précise son office sur la protection de la vie privée des personnes morales de droit privé

Catégorie

Droit administratif général

Date

October 2022

Temps de lecture

3 minutes

CE 7 octobre 2022 association Anticor, req. n° 443826 : publié au recueil Lebon

Les affaires internes de la fondation Louis Vuitton n’ont pas vocation à être rendues publiques.

Le Conseil d’Etat réuni en Section juge que les dispositions protectrices de la vie privée du code des relations entre le public et l’administration (« CRPA ») relatives à la communicabilité des documents administratifs s’appliquent aux personnes privées et, parmi elles, aux fondations d’entreprise.

L’article L. 311-6 du CRPA 1)L. 311-6 CRPA prévoit en effet que les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la vie privée, au secret médical et au secret des affaires ne sont communicables qu’à l’intéressé.

Tel est désormais le cas des comptes annuels d’une fondation d’entreprise, reçus par l’administration dans le cadre de sa mission légale de contrôle administratif des fondations d’entreprise.

En l’espèce, l’association Anticor demandait au tribunal administratif de Paris d’ordonner au préfet de Paris de lui communiquer les comptes annuels des exercices 2016 et 2017 et leurs annexes (i.e. le rapport du commissaire aux comptes et le rapport d’activité) de la fondation Louis Vuitton. Face au refus du juge du fond, Anticor s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat qui la déboute à nouveau de ses prétentions sur le fondement du CRPA.

Le Conseil d‘Etat commence par rappeler que la qualification même de documents administratifs résulte des dispositions de l’article L. 300-2 du CRPA et explique qu’elle inclut notamment les documents produits par une personne privée non-investie d’une mission de service public, dès lors qu’ils ont été reçus par une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public. C’était le cas en l’espèce puisque la loi du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat confie à l’autorité administrative le soin de s’assurer de la régularité du fonctionnement de la fondation d’entreprise et prévoit que toute fondation d’entreprise lui adresse chaque année un rapport d’activité auquel sont joints le rapport du commissaire aux comptes et les comptes annuels

Il précise que cette protection, appliquée aux personnes morales de droit privé, doit s’entendre comme excluant en principe la communication à des tiers des documents relatifs à leur fonctionnement interne et à leur situation financière.

Cette règle s’applique néanmoins sous réserve qu’une telle communication ne soit pas imposée ou impliquée par un corps de règles spécifiques, comme c’est par exemple le cas pour les sociétés commerciales.

En effet, le juge administratif considère que :

« la circonstance que [les comptes annuels de la fondation] aient été transmis à l’administration afin de permettre à celle-ci d’exercer un contrôle sur l’activité de l’organisme concerné est sans incidence par elle-même, sur les conditions dans lesquelles des tiers peuvent se les voir communiquer. » (Cons. 3)

Il opère ensuite une distinction entre, d’une part, les statuts d’une fondation d’entreprise, communicables à toute personne qui en fait la demande sous réserve des informations couvertes par les secrets protégés par la loi 2)Décret n° 91-1005 du 30 septembre 1991 pris pour l’application de la loi n° 90-559 du 4 juillet 1990 et, d’autre part, les comptes des fondations n’ayant reçu aucune subvention publique.

Ces derniers sont non-communicables, a contrario des comptes de tout organisme de droit privé ayant reçu une subvention publique 3)Article 10 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la fondation Louis Vuitton n’ayant perçu aucune subvention publique au titre des années 2016 et 2017, ses comptes ne sont pas communicables à l’association Anticor.

Selon le rapporteur public M. Domingo, cette lecture extensive de la protection du CRPA résulte d’abord de l’élargissement progressif de la notion même de document administratif, qui englobe désormais tous les documents élaborés par des personnes privées et remis à l’administration.

La consécration d’une vie privée des personnes morales est, elle, bien limitée au contexte de la communicabilité des documents administratifs et le rapporteur public admet le caractère inadapté de la notion :

« Il est peut-être malaisé, en effet, de parler de « vie privée » au sens où l’on entend habituellement le terme, et peut-être même de « vie » tout court, mais peu importe à la vérité les intitulés – il faut faire avec ceux qui sont là – l’idée est bien celle d’une sphère propre aux personnes morales qui, tout autant que pour une personne physique, relève du personnel et implique une protection sous forme de discrétion, de confidentialité, de secret. »

Il explique également que, derrière la primauté de la confidentialité des comptes annuels de la fondation Louis Vuitton sur la transparence de la vie publique, il s’agit en réalité de protéger les sujets de droit qui composent la personne morale :

« derrière toute personne morale se trouvent, directement ou indirectement, des personnes physiques et (…)  c’est aussi de leurs libertés dont il est question : leur liberté de s’associer, au sens large, de se réunir, de s’exprimer, de disposer de leurs biens, etc. »

Ainsi, à travers la reconnaissance du droit au respect de la vie privée des personnes morales, le Conseil d’Etat consolide celui des personnes physiques qui en sont membres.

 

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