Le Conseil d’Etat refuse de valider l’obligation générale du port du masque par tous et partout

Catégorie

Droit administratif général

Date

September 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 6 septembre 2020 Ministre des solidarités et de la santé, req. n° 443750 (Bas-Rhin)

CE 6 septembre 2020 Ministre des solidarités et de la santé, req. n° 443751 (Rhône)

Par deux ordonnances rendues le 6 septembre 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat s’est prononcé sur la possibilité pour le préfet d’imposer le port du masque à titre général et sans distinction dans des zones étendues.

1

Dans la première affaire, par arrêté du 28 août 2020, la préfète du Bas-Rhin a imposé le port du masque à compter du 29 août à 8 heures et jusqu’au 30 septembre 2020 inclus, à tout piéton âgé d’au moins onze ans sur la voie publique et dans l’ensemble des lieux ouverts au public, dans les communes de Bischheim, de Bischwiller, d’Erstein, d’Haguenau, d’Hoenheim, d’Illkirch-Graffenstaden, de Lingolsheim, d’Obernai, d’Ostwald, de Saverne, de Schiltigheim, de Sélestat et de Strasbourg, à l’exception des personnes en situation de handicap et de celles pratiquant une activité artistique ou sportive.

Saisi d’un référé liberté 1)Cf. article L. 521-2 du code de justice administrative., le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a considéré qu’eu égard aux risques de santé encourus par les populations des 13 communes concernées par l’arrêté préfectoral en litige, qui comptent chacune plus de 10 000 habitants, à l’impératif d’endiguer la propagation de la covid-19, au contexte actuel marqué par la fin des vacances scolaires et universitaires, et alors qu’il est largement admis par la communauté scientifique que le masque constitue un moyen efficace pour contenir cette pandémie, la préfète du Bas-Rhin pouvait légalement en imposer le port dans lesdites communes.

Le tribunal avait toutefois considéré que l’arrêté, par le caractère général et absolu de l’obligation du port du masque toute la journée dans les parties de territoires communaux non concernées par une forte concentration de population ou des circonstances particulières susceptibles de contribuer à l’expansion de la covid-19, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle.

Ainsi, par une ordonnance du 2 septembre 2020 2)TA Strasbourg 2 septembre 2020, req. n° 2005349., le tribunal administratif de Strasbourg avait enjoint à la préfète du Bas-Rhin d’édicter un nouvel arrêté excluant l’obligation du port du masque les lieux des communes concernées par l’arrêté et les périodes horaires qui ne sont pas caractérisés par une forte densité de population ou par des circonstances locales susceptibles de favoriser la diffusion de ce virus, au plus tard le lundi 7 septembre à 12 heures.

Dans la seconde affaire, le préfet du Rhône a imposé, par deux arrêtés en date du 31 août 2020, le port du masque pour les personnes de onze ans ou plus sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public des villes de Lyon et de Villeurbanne, toute la journée.

Saisi d’un référé-liberté par une association, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a considéré que « l’accélération de la circulation du virus et le fait que cette progression présente un caractère diffus ne sauraient justifier l’obligation de porter un masque dans des lieux extérieurs dans lesquels n’existe, du fait de l’absence habituelle de concentration de population, aucun risque particulier de contamination », pour en déduire que les arrêtés contestés portaient à la liberté d’aller et venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle une atteinte grave et manifestement illégale et enjoindre au préfet du Rhône de modifier ces arrêtés ou d’édicter de nouveaux arrêtés en précisant les lieux des communes concernés et les périodes horaires durant lesquelles aucun risque particulier de propagation du virus n’existe 3)TA Lyon 6 septembre 2020 Association « Les Essentialistes – région Auvergne-Rhônes-Alpes », req. n° 443751..

Ces deux ordonnances ont fait l’objet d’un appel devant le Conseil d’Etat.

2

Dans les deux ordonnances, rendues le même jour, le Conseil d’Etat développe le raisonnement – particulièrement didactique et documenté scientifiquement – suivant :

  • il rappelle tout d’abord, en s’appuyant sur l’avis de la communauté scientifique, l’efficacité du port du masque même en plein air, lors de la présence d’une forte densité de personnes ou lorsque le respect de la distance physique ne peut être garantie, pour réduire le risque de contamination par le SARS-CoV-2, en l’état des connaissances et des ressources disponibles ;
  • il expose ensuite les conditions dans lesquelles s’apprécie le caractère proportionné d’une mesure de police, c’est-à-dire en tenant compte de ses conséquences pour les personnes concernées et de son caractère approprié pour atteindre le but d’intérêt général poursuivi, tout en prenant en considération la simplicité et la lisibilité de la mesure, qui sont nécessaires à son effectivité ;
  • le Conseil d’Etat en déduit que le préfet est en droit de délimiter des zones suffisamment larges pour englober de façon cohérente les points du territoire caractérisés par une forte densité de personnes ou une difficulté à assurer le respect de la distance physique, de sorte que les personnes qui s’y rendent puissent avoir aisément connaissance de la règle applicable. Le préfet peut également définir des horaires d’application de cette règle de façon uniforme dans l’ensemble d’une même commune, voire d’un département, en fonction des risques encourus dans les différentes zones couvertes par la mesure qu’il adopte, tout en tenant compte de la contrainte que représente le port du masque pour les habitants.

Le Conseil d’Etat applique enfin ce raisonnement aux cas d’espèce :

  • Dans les deux affaires, il considère que le préfet pouvait ne pas exclure de l’obligation du port du masque certaines périodes horaires, dès lors qu’il ne s’agirait que d’une période nocturne d’un intérêt très limité.
  • S’agissant de l’arrêté de la préfète du Bas-Rhin, il considère toutefois que la préfète du Bas-Rhin a porté une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale en n’ayant pas excepté de l’obligation du port du masque certaines zones de plusieurs communes dont le centre-ville est aisément identifiable, tout en respectant le souci de cohérence nécessaire à l’effectivité de la mesure.

Il annule donc l’ordonnance du tribunal administratif de Strasbourg et enjoint en conséquence, sous peine de suspension de l’arrêté du 28 août 2020, à la préfète du Bas-Rhin de prendre, au plus tard le mardi 8 septembre à midi, un nouvel arrêté ou de modifier son arrêté du 28 août 2020 pour limiter, dans les communes concernées, l’obligation de port du masque qu’il prévoit à des périmètres permettant d’englober de façon cohérente les lieux caractérisés par une forte densité de personnes ou une difficulté à assurer le respect de la distance physique.

  • S’agissant des arrêtés pris par le préfet du Rhône, le Conseil d’Etat considère, eu égard à la densité particulière de population des communes de Lyon et de Villeurbanne et à leurs caractéristiques, qu’il n’existe aucune zone de ces territoires pouvant être exceptées de l’obligation du port du masque tout en respectant le souci de cohérence nécessaire à l’effectivité de la mesure prise. En revanche, il estime, eu égard à l’étendue du territoire concerné, qu’une telle obligation ne peut manifestement pas être imposée aux personnes pratiquant des activités physiques ou sportives. Le Conseil d’Etat enjoint par conséquent le préfet du Rhône de modifier ses arrêtés ou de prendre de nouveaux arrêtés pour exclure de l’obligation de port du masque qu’ils prévoient les personnes pratiquant des activités physiques ou sportives. C’est désormais chose faite : le préfet du Rhône a pris deux nouveaux arrêtés le 7 septembre en excluant de l’obligation du port du masque les personnes pratiquant des activités physiques ou sportives.

En conclusion, le Conseil d’Etat met en exergue la nécessaire efficacité des mesures de police édictées par les préfets relatives à l’obligation du port du masque, laquelle implique une détermination de zones cohérentes et suffisamment lisibles afin de permettre une correcte application par les habitants.

Partager cet article

References   [ + ]

1. Cf. article L. 521-2 du code de justice administrative.
2. TA Strasbourg 2 septembre 2020, req. n° 2005349.
3. TA Lyon 6 septembre 2020 Association « Les Essentialistes – région Auvergne-Rhônes-Alpes », req. n° 443751.

3 articles susceptibles de vous intéresser