Le Conseil d’Etat se prononce sur la portée de la notion « d’ouvrage régulièrement installé » s’agissant d’un moulin à eau bénéficiant d’un droit fondé en titre

Catégorie

Environnement

Date

June 2021

Temps de lecture

5 minutes

CE 31 mai 2021 MDC Hydro, req. n° 433043 : mentionné aux tables du Rec. CE.

La société MDC Hydro est propriétaire d’une petite centrale hydroélectrique située sur l’Andelle dans l’Eure, qui bénéficie d’un droit d’usage de l’eau remontant à une ordonnance royale de 1839. Lorsque la société requérante a acquis cette installation en 2004, la centrale ne fonctionnait pas.

En 2012, le préfet de l’Eure a pris un arrêté lui imposant de se mettre en conformité vis-à-vis d’une obligation d’entretien pesant sur les installations situées sur certains cours d’eau.

A deux reprises, le Conseil d’Etat a du se prononcer sur la portée de la notion « d’ouvrage régulièrement installé » s’agissant d’un moulin à eau bénéficiant d’un droit fondé en titre 1)Les droits fondés en titre sont des droits d’usage de l’eau attachés à des ouvrages exonérés de procédure d’autorisation ou de renouvellement .

1.    Mise en conformité des ouvrages existants

L’article L. 232-6 du code rural, repris ensuite par l’article L. 432-6 du code de l’environnement disposait que dans les cours d’eau dont la liste est fixée par décret, tout ouvrage doit comporter des dispositifs assurant la circulation des poissons migrateurs. Les ouvrages existants doivent être mis en conformité dans un délai de cinq ans à compter de la publication d’une liste d’espèces migratrices par bassin ou sous-bassin.

Et, l’article L. 214-17 du code de l’environnement 2)Introduit par la loi sur l’eau du 30 décembre 2006 prévoit qu’au niveau de chaque bassin ou sous-bassin est fixée une liste de cours d’eau dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou l’exploitant.

Le III de l’article L. 214-17 du code de l’environnement prévoit que cette obligation d’entretien des installations doit être effectuée à l’issue d’un délai de cinq ans, après la publication des listes, aux ouvrages existants régulièrement installés.

En l’espèce, l’installation de la société MDC Hydro se situe sur l’Andelle. Un décret du 27 avril 1995 a classé l’Andelle au titre de l’article L. 232-6 du code rural, et un arrêté du 18 avril 1997 (publié au JO du 16 mai 1997), a établi la liste des espèces migratrices de poissons.

Le 4 décembre 2012, le préfet de l’Eure a pris un arrêté fixant les conditions de mise en conformité de l’installation. La société a contesté cet arrêté devant le juge administratif.

Dans une décision du 22 octobre 2018 3)CE 22 octobre 2018 MDC Hydro, req. n° 408663, le Conseil d’Etat a déduit qu’il résulte de la combinaison de ces textes que, sauf disposition particulière, à compter du 17 mai 2002, tous les ouvrages implantés sur l’Andelle devaient avoir mis en place un dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs. Mais, à cette date, la centrale de la société MDC Hydro ne fonctionnait pas.

Le Conseil d’Etat a donc dû se prononcer une première fois sur la question de savoir si la centrale de la société MDC Hydro était ou non régulièrement installée. Il a conclu par la négative et en a déduit que la centrale ne pouvait pas bénéficier du délai de cinq ans pour se mettre en conformité. Il a ainsi annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai et a renvoyé l’affaire devant la cour.

Faisant application de l’arrêt du Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel a rendu une nouvelle décision par laquelle elle rejette la requête de la société MDC Hydro en estimant que l’ouvrage ne bénéficiait pas du délai de 5 ans du III de l’article L. 214-17.

2.   Exonération au bénéfice des moulins à eau

L’affaire ne s’est cependant pas arrêtée là puisque la société MDC Hydro a de nouveau formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat invoquant une nouvelle disposition du code de l’environnement. Il s’agit de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement 4)Qui résulte de l’article 15 de la loi du 24 février 2017 qui indique que :

« Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°. ».

Il précise en outre qu’il ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de cette loi.

Le Conseil d’Etat a donc dû à nouveau se prononcer sur la portée de la notion de moulin à eau « régulièrement installé ». Sur ce point, dans ses conclusions prononcée dans cette affaire, le rapporteur public indique :

« L’idée que la même locution, employée dans deux articles de la même section d’un chapitre d’un même code ait la même portée dans ses deux occurrences est une lecture normale d’une disposition législative. […]

Mais le président Genevois rappelle dans sa fameuse étude à la RFDA 2002.877 (« le Conseil d’Etat et l’interprétation de la loi »), qu’un des éléments pris en compte « au titre de la volonté supposée du législateur repose sur l’idée que la loi est réputée avoir une signification et une utilité ». A cette aune, cette lecture littérale de la loi rend perplexe, car on ne comprend pas quelle est la valeur ajoutée de l’article L214-18-1, ou même sa cohérence, puisqu’il semble dispenser les moulins de l’obligation de mettre en œuvre des aménagements au titre de l’article L. 214-17… s’ils ont déjà réalisé des aménagements au titre de la législation antérieure, puisque c’est le sens que vous avez donné à « régulièrement installés ».

Finalement, suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’Etat a procédé à une analyse des travaux parlementaires et a jugé que :

« 4. Il résulte des dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires relatifs à la loi du 24 février 2017, qu’afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau, le législateur a entendu exonérer l’ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou d’une autorisation d’exploitation à la date de publication de la loi, des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L. 214-17 du même code destinées à assurer la continuité écologique des cours d’eau. Les dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement ne peuvent ainsi être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet. »

Et, en l’espèce, la centrale hydroélectrique de la société MDC Hydro bénéficie d’un droit fondé en titre qui n’était pas abrogé lors de l’entrée en vigueur de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement.

Par conséquent, le Conseil d’Etat en déduit que la centrale hydroélectrique de la société MDC Hydro doit être regardée comme un moulin à eau pour l’application des dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, de sorte qu’aucune obligation de mise en conformité fondée sur les seules dispositions du 2° du I de l’article L. 214-17 du même code ne peut lui être imposée depuis l’entrée en vigueur de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement.

Le Conseil d’Etat casse donc une nouvelle fois l’arrêt de la cour administrative d’appel et estime la société MDC Hydro fondée à demander l’annulation partielle de l’arrêté préfectoral du 4 décembre 2012 en ce qu’il lui imposait une mise en conformité.

 

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References   [ + ]

1. Les droits fondés en titre sont des droits d’usage de l’eau attachés à des ouvrages exonérés de procédure d’autorisation ou de renouvellement
2. Introduit par la loi sur l’eau du 30 décembre 2006
3. CE 22 octobre 2018 MDC Hydro, req. n° 408663
4. Qui résulte de l’article 15 de la loi du 24 février 2017

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