Le législateur définit la notion de subvention

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général

Date

September 2014

Temps de lecture

6 minutes

Surgie en pleine torpeur estivale et nichée au cœur de la récente loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire 1) JORF n° 0176 du 1er août 2014, p. 12666., qui n’intéresse pas de prime abord les observateurs du droit public 2) Son article 13, relatif à la commande publique, prévoit cependant que certains pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices soumis au Code des marchés publics ou à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 adoptent, au-delà d’un certain montant annuel d’achats, un « schéma de promotion des achats publics socialement responsables » qui « détermine les objectifs de passation de marchés publics comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l’intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés, ainsi que les modalités de mise en œuvre et de suivi annuel de ces objectifs ». Cet article prévoit également la conclusion de conventions entre l’Etat et les organismes qui œuvrent en faveur de l’accès à l’emploi durable des personnes exclues du marché du travail, en vue de favoriser le développement dans les marchés publics des clauses sociales., l’innovation aurait pu passer inaperçue.

Selon l’exposé des motifs du projet de loi, il avait toutefois été fait le constat, d’une part, que les subventions et les marchés publics sont les deux leviers privilégiés qui permettent aux autorités publiques de s’appuyer sur les acteurs locaux, associatifs ou non, pour répondre aux besoins de la société civile et, d’autre part, que l’absence de définition de la notion de subvention était source de difficultés et entraînait une diminution du recours à la subvention dans les relations entre les pouvoirs publics et les associations.

Il a donc été fait le choix d’une définition législative, faisant d’ailleurs suite à une circulaire 3) Circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations : conventions d’objectifs et simplification des démarches relatives aux procédures d’agrément, NOR : PRMX1001610C, JORF du 20 janvier 2010, p. 1138., qui « s’appuie sur les critères dégagés par la jurisprudence administrative, et permettant de distinguer la subvention de la commande publique », et qui vient prendre place dans la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration (DCRA), laquelle prévoyait déjà à son article 10 une obligation de conventionnement pour les financements par voie de subvention supérieurs à un certain seuil (fixé à 23 000 € par voie réglementaire).

L’article 59 de la loi n° 2014-856 insère ainsi dans la loi DCRA un article 9-1 qui énonce que : « Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. / Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent ».

Et, de fait, on retrouve ce faisant les critères déjà dégagés par la jurisprudence pour distinguer le marché public du simple contrat de subventionnement 4) Leur combinaison ayant par exemple été très explicitement énoncée par : CAA Nancy 5 avril 2007 Compagnie nationale des ingénieurs et experts forestiers et des experts en bois, req. n° 04NC00406 : Contrats-Marchés publ. n° 196, note Eckert : « qu’en revanche, lorsque l’Etat attribue une subvention à une autre collectivité publique aux fins d’encourager et de soutenir financièrement une action d’intérêt général définie et réalisée par cette dernière et à sa propre initiative, cette opération, dès lors qu’elle ne donne pas lieu en contrepartie à la fourniture d’une prestation directe et individualisée au profit de l’Etat, ne saurait, même lorsqu’elle prend une forme contractuelle, être assimilée à un contrat passé en vue de la réalisation de travaux, fournitures ou services au sens de l’article 1er du code des marchés publics précité »., et selon lesquels le premier était identifié :

– lorsque la somme versée par la personne publique était regardée comme la contrepartie d’une prestation fournie à cette dernière par l’opérateur économique la percevant, cette prestation visant à répondre aux besoins de celle-ci et déterminant le montant versé ;
– et que l’initiative de l’opération financée et donc du contrat était celle de la personne publique.

Compte tenu de ce que le marché public est un contrat à titre onéreux, le premier critère est en effet celui de l’équivalence entre le paiement et la prestation effectuée en contrepartie.

A cet égard, le Conseil d’Etat, dans l’avis du 18 mai 2004 « Cinémathèque Française », reprenant et transposant à la matière des marchés publics un raisonnement déjà tenu en matière fiscale quelques années auparavant 5) CE 6 juillet 1990, Comité pour le développement industriel et agricole du Choletais (C.O.D.I.A.C.) req. n° 88224 : Rec. CE p. 210 ; RJF 8-9/1990, concl. Racine – CE 10 juillet 1991 CCI de Perpignan et des Pyrénées-Orientales, req. n° 61575 : Rec. CE p. 279, RJF 10/1991, concl. Racine – CE 8 juillet 1992 MIDEM Organisation, req. n° 80731 – CE 31 mai 2000 Association Strasbourg musique et congrès, req. n° 182012 – CE 29 octobre 2003 Communauté urbaine de Lyon, req. n° 241524 : RJF 1/04, n° 25., avait eu l’occasion de préciser qu’il « résulte de [la définition du marché public] que ne peut être qualifié de marché public qu’un contrat conclu à titre onéreux par une personne publique en vue d’acquérir des biens, travaux ou services dont elle a besoin, qui stipule une rémunération ou un prix ayant un lien direct avec la fourniture d’une prestation individualisée à la collectivité contractante ou avec l’entrée de biens dans son patrimoine » 6) CE Section de l’intérieur, avis n° 370169 du 18 mai 2004, rapport public annuel 2005, p. 185, BJCP 2005/40, p. 213 obs. C.M..

Au plan communautaire, l’exigence d’une prestation présentant un intérêt pour le pouvoir adjudicateur et la corrélation entre celle-ci et la contrepartie versée à l’opérateur économique a été également rappelée par la Cour de justice de l’Union européenne 7) CJUE 25 mars 2010 Helmut Müller Gmbh, aff. C-451/08, points 47-49 et 61-62. Solution rendue en matière de marchés publics de travaux, mais par des considérations générales valant également pour les services., comme par certains de ses avocats généraux 8) Paolo Mengozzi, conclusions prononcées le 17 novembre 2009 sur l’affaire C-451/08, Helmut Müller, point 77 ; M. Jääskinen, conclusions prononcées le 16 septembre 2010 sur l’affaire C-306/08, Commission c/ Espagne, points 80-91..

Le second critère est par ailleurs celui de la personne à l’initiative de laquelle l’opération est entreprise, la prestation effectuée ou le service assuré, afin notamment de déterminer si l’on est en présence d’un contrat conclu à l’initiative d’une personne publique passant une commande pour répondre à des besoins qu’elle a identifiés, ou bien d’un réel contrat de subvention venant financer en tout ou partie un projet initié par le bénéficiaire. Si ce critère a pu être parfois nié 9) TA Melun 1er décembre 2006, Préfet de Seine-et-Marne c/ Département de Seine-et-Marne, req. n° 06-5188, AJDA 2007, p. 856, concl. Dewailly, jugeant que « ni ces dispositions [article 1er du Code des marchés publics] ni aucune autre ne fait de l’initiative du projet un critère du marché public »., le juge administratif a pu en d’autres occasions en faire application 10) CE Sect. 6 avril 2007 Commune d’Aix-en-Provence, req. n° 284736 : Rec. CE p. 155, BJCP 2007/53, p. 283, concl. Séners., parfois de façon fort explicite 11) CAA Marseille 20 juillet 1999 Commune de Toulon, req. n° 98MA01735 : AJDA 2000, p. 266, note Benoit ; CAA Nancy 5 avril 2007 Compagnie nationale des ingénieurs et experts forestiers et des experts en bois, req. n° 04NC00406, préc..

Le juge administratif a ainsi été conduit à manier ces deux critères en présence de versements financiers :

– d’une commune à un comité des fêtes organisant une fête 12) CAA Marseille 20 juillet 1999, Commune de Toulon, préc. ;
– de l’Etat à un éleveur dont les pratiques pastorales permettaient la création de zones coupe-feu 13) CAA Marseille 1er mars 2004 GAEC l’Aurier, req. n° 99MA02079 : BJCP 2005/38, p. 16, concl. Louis, obs. CM. ;
– d’une région à un organisme assurant des prestations de formation professionnelle 14) CE 26 mars 2008 Région de la Réunion, req. n° 284412 : Rec. p. 114 ; BJCP 2008/59, p. 245, concl. Séners – CAA Bordeaux 21 juin 2011 Région Limousin, req. n° 10BX01717, confirmant TA Limoges 6 mai 2010 Association pour la formation dans le Massif-Central (AFORMAC), req. n° 0900512 : AJDA p. 1323, note Dreyfus. ;
– d’un département à une société développant des logiciels bénéficiant aux collégiens 15) CAA Douai 19 février 2009 Département de l’Oise, req. n° 07DA00027 : JCP A n° 2164, note Mollion. ;
– d’une commune à une société poursuivant l’organisation d’un festival de musique initialement créé par la commune 16) CE 23 mai 2011 Commune de Six Fours les Plages, req. n° 342520 : BJCP 2011/77, p. 258, concl. Boulouis, obs. R.S. ; achatpublic.info septembre 2011, note Ménéménis..

Compte tenu de la relative clarté des critères jurisprudentiels, il n’est pas certain que leur retranscription dans la loi, au surplus limitée aux versements effectués au profit d’organismes de droit privé, change grand-chose. Si elle est néanmoins bienvenue, il conviendra de continuer à raisonner au cas par cas, contrat par contrat 17) Cf. en ce sens François Séners, concl. sur Région de la Réunion, préc., et de faire preuve de prudence lorsque seront en cause des missions qu’il incombe à la collectivité concernée d’accomplir et pas seulement une compétence qu’il lui est loisible d’exercer.

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References   [ + ]

1. JORF n° 0176 du 1er août 2014, p. 12666.
2. Son article 13, relatif à la commande publique, prévoit cependant que certains pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices soumis au Code des marchés publics ou à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 adoptent, au-delà d’un certain montant annuel d’achats, un « schéma de promotion des achats publics socialement responsables » qui « détermine les objectifs de passation de marchés publics comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l’intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés, ainsi que les modalités de mise en œuvre et de suivi annuel de ces objectifs ». Cet article prévoit également la conclusion de conventions entre l’Etat et les organismes qui œuvrent en faveur de l’accès à l’emploi durable des personnes exclues du marché du travail, en vue de favoriser le développement dans les marchés publics des clauses sociales.
3. Circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations : conventions d’objectifs et simplification des démarches relatives aux procédures d’agrément, NOR : PRMX1001610C, JORF du 20 janvier 2010, p. 1138.
4. Leur combinaison ayant par exemple été très explicitement énoncée par : CAA Nancy 5 avril 2007 Compagnie nationale des ingénieurs et experts forestiers et des experts en bois, req. n° 04NC00406 : Contrats-Marchés publ. n° 196, note Eckert : « qu’en revanche, lorsque l’Etat attribue une subvention à une autre collectivité publique aux fins d’encourager et de soutenir financièrement une action d’intérêt général définie et réalisée par cette dernière et à sa propre initiative, cette opération, dès lors qu’elle ne donne pas lieu en contrepartie à la fourniture d’une prestation directe et individualisée au profit de l’Etat, ne saurait, même lorsqu’elle prend une forme contractuelle, être assimilée à un contrat passé en vue de la réalisation de travaux, fournitures ou services au sens de l’article 1er du code des marchés publics précité ».
5. CE 6 juillet 1990, Comité pour le développement industriel et agricole du Choletais (C.O.D.I.A.C.) req. n° 88224 : Rec. CE p. 210 ; RJF 8-9/1990, concl. Racine – CE 10 juillet 1991 CCI de Perpignan et des Pyrénées-Orientales, req. n° 61575 : Rec. CE p. 279, RJF 10/1991, concl. Racine – CE 8 juillet 1992 MIDEM Organisation, req. n° 80731 – CE 31 mai 2000 Association Strasbourg musique et congrès, req. n° 182012 – CE 29 octobre 2003 Communauté urbaine de Lyon, req. n° 241524 : RJF 1/04, n° 25.
6. CE Section de l’intérieur, avis n° 370169 du 18 mai 2004, rapport public annuel 2005, p. 185, BJCP 2005/40, p. 213 obs. C.M.
7. CJUE 25 mars 2010 Helmut Müller Gmbh, aff. C-451/08, points 47-49 et 61-62. Solution rendue en matière de marchés publics de travaux, mais par des considérations générales valant également pour les services.
8. Paolo Mengozzi, conclusions prononcées le 17 novembre 2009 sur l’affaire C-451/08, Helmut Müller, point 77 ; M. Jääskinen, conclusions prononcées le 16 septembre 2010 sur l’affaire C-306/08, Commission c/ Espagne, points 80-91.
9. TA Melun 1er décembre 2006, Préfet de Seine-et-Marne c/ Département de Seine-et-Marne, req. n° 06-5188, AJDA 2007, p. 856, concl. Dewailly, jugeant que « ni ces dispositions [article 1er du Code des marchés publics] ni aucune autre ne fait de l’initiative du projet un critère du marché public ».
10. CE Sect. 6 avril 2007 Commune d’Aix-en-Provence, req. n° 284736 : Rec. CE p. 155, BJCP 2007/53, p. 283, concl. Séners.
11. CAA Marseille 20 juillet 1999 Commune de Toulon, req. n° 98MA01735 : AJDA 2000, p. 266, note Benoit ; CAA Nancy 5 avril 2007 Compagnie nationale des ingénieurs et experts forestiers et des experts en bois, req. n° 04NC00406, préc.
12. CAA Marseille 20 juillet 1999, Commune de Toulon, préc.
13. CAA Marseille 1er mars 2004 GAEC l’Aurier, req. n° 99MA02079 : BJCP 2005/38, p. 16, concl. Louis, obs. CM.
14. CE 26 mars 2008 Région de la Réunion, req. n° 284412 : Rec. p. 114 ; BJCP 2008/59, p. 245, concl. Séners – CAA Bordeaux 21 juin 2011 Région Limousin, req. n° 10BX01717, confirmant TA Limoges 6 mai 2010 Association pour la formation dans le Massif-Central (AFORMAC), req. n° 0900512 : AJDA p. 1323, note Dreyfus.
15. CAA Douai 19 février 2009 Département de l’Oise, req. n° 07DA00027 : JCP A n° 2164, note Mollion.
16. CE 23 mai 2011 Commune de Six Fours les Plages, req. n° 342520 : BJCP 2011/77, p. 258, concl. Boulouis, obs. R.S. ; achatpublic.info septembre 2011, note Ménéménis.
17. Cf. en ce sens François Séners, concl. sur Région de la Réunion, préc.

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