Le permis de construire est obtenu par fraude lorsque le pétitionnaire atteste à tort et en toute connaissance de cause disposer d’un titre l’habilitant à construire

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

December 2013

Temps de lecture

6 minutes

CE 6 décembre 2013 M. H. E. et autres, req. n° 354703, à mentionner aux T. du Rec. CE

Le Conseil d’Etat vient de préciser les contours de la fraude en matière de permis de construire (2). Il a par ailleurs souligné que le propriétaire d’un terrain a toujours intérêt à contester le permis de construire obtenu par un tiers sur celui-ci, alors même qu’il n’aurait pas respecté les obligations contractuelles ou légales qui s’impose à lui vis-à-vis de ce tiers (1).

1 L’intérêt à agir du propriétaire contre le permis de construire obtenu par un tiers sur son terrain

Cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’un litige relatif aux obligations imposées au bailleur de terrains et bâtiments agricoles pris à bail sous le régime des baux ruraux. L’article L. 411-30 du code rural et de la pêche maritime impose au bailleur, en cas de destruction partielle des biens par cas fortuit, de les reconstruire lorsque cela compromet l’équilibre économique de l’exploitation agricole.

En l’espèce, une ferme avait été détruite partiellement par un incendie. La question de la résiliation du bail rural avait alors fait l’objet d’un contentieux devant le juge judiciaire au terme duquel les propriétaires refusaient néanmoins de reconstruire les bâtiments partiellement détruits 1) L’article L. 411-30 du code rural précise en effet : « Lorsque la totalité des biens compris dans le bail sont détruits intégralement par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit »..

Palliant l’inertie des propriétaires indivis, les preneurs avaient sollicité et obtenu un permis de construire en vue de régulariser les travaux de reconstruction qu’ils avaient initiés sans autorisation et pour lesquels ils avaient par ailleurs été condamnés pénalement 2) Le juge pénal avait été saisi par les propriétaires..

Les propriétaires ont alors contesté ce permis devant le juge administratif.

Saisie du litige, la cour administrative d’appel 3) CAA Nancy 29 septembre 2011 Mme Marie-Christine B., req. n° 11NC00431. a déclaré le recours irrecevable en considérant que le propriétaire « qui a volontairement méconnu son obligation d’assumer financièrement, au moins partiellement, la reconstruction du bien donné à bail […] ne justifiait d’aucun intérêt lui donnant qualité pour contester devant le tribunal administratif le permis de construire délivré [au preneur] en vue de régulariser la situation du bâtiment agricole, irrégulièrement construit par ses soins, du fait de l’inertie fautive de l’intimée ».

Le Conseil d’Etat annule en toute logique cet arrêt pour erreur de droit aux motifs que « le propriétaire d’un terrain justifie, en cette seule qualité, d’un intérêt lui donnant qualité pour agir devant le juge de l’excès de pouvoir contre les autorisations d’urbanisme accordées en vue de la réalisation de travaux sur son bien ».

L’intérêt à agir du propriétaire d’un terrain ne peut donc être limité par des considérations tirées du non-respect des obligations qui s’imposent à lui en application d’une autre législation.

2 La définition de la fraude en matière de permis de construire

L’arrêt commenté vient par ailleurs préciser les conditions dans lesquelles l’attestation du pétitionnaire par laquelle il déclare disposer d’un titre l’habilitant à construire et donc avoir qualité pour déposer la demande de permis de construire est frauduleuse 4) Depuis le 1er octobre 2007, le pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas propriétaire, atteste seulement avoir qualité pour présenter la demande et ne doit plus fournir le titre l’habilitant à construire (ex. : autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires, autorisation du propriétaire, etc.). .

En effet, dans un arrêt Quenesson 5) Voir pour la décision de principe rendue en matière de déclaration préalable de travaux : CE 15 février 2012 Mme Quenesson, req. n° 333631 : Rec. CE p. 41 « Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du dernier alinéa de l’article R. 431-35 du code de l’urbanisme : “La déclaration comporte (…) l’attestation du ou des déclarants qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer une déclaration préalable” ; que les articles R. 431-36 et R. 431-37 du même code fixent de façon limitative les pièces que comprend le dossier joint à la déclaration, au nombre desquelles ne figure pas l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires d’effectuer les travaux ; qu’en vertu de l’article R. 423-38 du même code, l’autorité compétente réclame à l’auteur de la déclaration les seules pièces exigées en application du livre IV de ce code que le dossier ne comprend pas ;
Considérant que, quand bien même le bien sur lequel portaient les travaux déclarés par M. A…aurait fait partie d’une copropriété régie par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le maire était fondé à estimer que ce dernier avait qualité pour présenter une déclaration préalable de travaux, dès lors qu’il attestait remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer cette déclaration, sans exiger la production des autorisations auxquelles la loi subordonne le droit, pour chacun des copropriétaires, de réaliser certains travaux et, en particulier, sans vérifier si les travaux faisant l’objet de la déclaration affectaient des parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble et nécessitaient ainsi l’assentiment de l’assemblée générale des copropriétaires ;
Considérant, en second lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A…, en attestant remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, ait procédé à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur et que la décision de non-opposition ait ainsi été obtenue par fraude ; que cette décision ayant été prise sous réserve des droits des tiers, elle ne dispense pas M. A…d’obtenir une autorisation en application de la loi du 10 juillet 1965 si cette autorisation est requise pour effectuer les travaux mentionnés dans sa déclaration ».
rendu relativement à une déclaration préalable, le Conseil d’Etat avait précisé que l’autorité compétente pour instruire la demande de permis de construire ne peut réclamer à l’auteur de la déclaration que les seules pièces exigées en application du code de l’urbanisme que le dossier déposé ne comprend pas 6) Voir pour un rappel très récent de cette règle en matière de permis de construire : CE 13 décembre 2013 M. D… B…, req. n° 356097. En conséquence, sauf cas de fraude, en application des articles R. 423-1 7) Article R. 423-1 du code de l’urbanisme : « Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; / b) Soit, en cas d’indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; / c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation pour cause d’utilité publique. » et R. 431-5 8) Article R. 431-5 du code de l’urbanisme : « La demande de permis de construire précise : a) L’identité du ou des demandeurs ; (…) La demande comporte également l’attestation du ou des demandeurs qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer une demande de permis. (…) » du code de l’urbanisme la seule attestation par le pétitionnaire de sa qualité pour présenter la demande était suffisante.

Dans cet arrêt, aucune fraude – c’est-à-dire « manœuvre de nature à induire l’administration en erreur » – n’avait été démontrée.

L’arrêt du 6 décembre 2013 objet du présent commentaire a été l’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser que la notion de fraude en matière de demande de permis de construire persistait même si depuis le 1er octobre 2007 il n’y a plus à produire un titre habilitant à construire :

« il résulte [des] dispositions [des articles R. 423-1 et R. 431-5 du code de l’urbanisme] que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l’attestation du pétitionnaire qu’il remplit les conditions définies à l’article R. 423-1 cité ci-dessus ; qu’il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction de la demande de permis, la validité de l’attestation établie par le pétitionnaire ; que, toutefois, dans le cas où, en attestant remplir les conditions définies à l’article R. 423-1, le pétitionnaire procède à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur, le permis qui lui est délivré doit être regardé comme ayant été frauduleusement obtenu ;

« Considérant que ni les dispositions du code rural relatives aux baux ruraux applicables à la date de la demande de permis litigieuse, ni le bail rural conclu le 1er avril 1991 avec Mme E…n’autorisaient Mme A…à présenter une demande de permis en vue de réaliser une construction sur les terrains loués ; que, contrairement à ce que soutient MmeA…, le jugement du 18 juin 2011 du tribunal paritaire des baux ruraux d’B… n’a pas jugé qu’elle était habilitée à déposer une demande de permis de construire, mais s’est borné à relever que la construction sur les terres du bailleur sans son autorisation ne constituait pas un motif de résiliation du bail ; qu’il ressort par ailleurs des pièces du dossier que Mme A…a attesté dans sa demande avoir qualité pour demander le permis de construire conformément aux dispositions des articles R. 423-1 et R. 431-5 du code de l’urbanisme ; qu’elle ne pouvait toutefois sérieusement prétendre ignorer, compte tenu du litige en cours avec MmeE…, copropriétaire indivis du terrain d’assiette du projet, l’opposition de cette dernière à la réalisation des travaux litigieux ; qu’ainsi, en attestant remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, Mme A…doit être regardée comme s’étant livrée à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur ; qu’est sans incidence sur ce point la circonstance, à la supposer même établie, que le maire aurait eu connaissance de l’opposition de MmeE… ; que, par suite, le permis de construire délivré à Mme A…le 6 mars 2009 par le maire de Champ-le-Duc doit être regardé comme ayant été obtenu par fraude ».

Ainsi, la fraude apparaît établie lorsqu’il est démontré que le pétitionnaire savait, lorsqu’il a déposé sa demande de permis de construire, qu’il ne disposait pas d’un titre l’habilitant à construire sur le terrain d’assiette du projet.

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1. L’article L. 411-30 du code rural précise en effet : « Lorsque la totalité des biens compris dans le bail sont détruits intégralement par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ».
2. Le juge pénal avait été saisi par les propriétaires.
3. CAA Nancy 29 septembre 2011 Mme Marie-Christine B., req. n° 11NC00431.
4. Depuis le 1er octobre 2007, le pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas propriétaire, atteste seulement avoir qualité pour présenter la demande et ne doit plus fournir le titre l’habilitant à construire (ex. : autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires, autorisation du propriétaire, etc.).
5. Voir pour la décision de principe rendue en matière de déclaration préalable de travaux : CE 15 février 2012 Mme Quenesson, req. n° 333631 : Rec. CE p. 41 « Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du dernier alinéa de l’article R. 431-35 du code de l’urbanisme : “La déclaration comporte (…) l’attestation du ou des déclarants qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer une déclaration préalable” ; que les articles R. 431-36 et R. 431-37 du même code fixent de façon limitative les pièces que comprend le dossier joint à la déclaration, au nombre desquelles ne figure pas l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires d’effectuer les travaux ; qu’en vertu de l’article R. 423-38 du même code, l’autorité compétente réclame à l’auteur de la déclaration les seules pièces exigées en application du livre IV de ce code que le dossier ne comprend pas ;
Considérant que, quand bien même le bien sur lequel portaient les travaux déclarés par M. A…aurait fait partie d’une copropriété régie par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le maire était fondé à estimer que ce dernier avait qualité pour présenter une déclaration préalable de travaux, dès lors qu’il attestait remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer cette déclaration, sans exiger la production des autorisations auxquelles la loi subordonne le droit, pour chacun des copropriétaires, de réaliser certains travaux et, en particulier, sans vérifier si les travaux faisant l’objet de la déclaration affectaient des parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble et nécessitaient ainsi l’assentiment de l’assemblée générale des copropriétaires ;
Considérant, en second lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A…, en attestant remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, ait procédé à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur et que la décision de non-opposition ait ainsi été obtenue par fraude ; que cette décision ayant été prise sous réserve des droits des tiers, elle ne dispense pas M. A…d’obtenir une autorisation en application de la loi du 10 juillet 1965 si cette autorisation est requise pour effectuer les travaux mentionnés dans sa déclaration ».
6. Voir pour un rappel très récent de cette règle en matière de permis de construire : CE 13 décembre 2013 M. D… B…, req. n° 356097
7. Article R. 423-1 du code de l’urbanisme : « Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : / a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; / b) Soit, en cas d’indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; / c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation pour cause d’utilité publique. »
8. Article R. 431-5 du code de l’urbanisme : « La demande de permis de construire précise : a) L’identité du ou des demandeurs ; (…) La demande comporte également l’attestation du ou des demandeurs qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R. 423-1 pour déposer une demande de permis. (…) »

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