Légalité du classement de parcelles en zone agricole du PLU

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 3 juin 2020 Sociétés Inerta et Océane, req. n° 429515

1       Le contexte du pourvoi

Par une décision du 6 avril 2016, le maire de Saint-Nolff (Morbihan) a rejeté la demande des sociétés Inerta et Océane tendant à l’abrogation partielle du plan local d’urbanisme (PLU) de la commune 1)Tel qu’il résulte d’une délibération du conseil municipal du 6 février 2014., en tant qu’il classe en zone A les parcelles cadastrées section AT n° 235, 236, 464 et 611 et D n° 982, sur lesquelles elles souhaitent développer des activités de collecte et de valorisation des déchets.

Ces deux sociétés ont alors saisi le tribunal administratif de Rennes, qui, par un jugement du 29 septembre 2017 2)Req. n° 1601914., a rejeté leur demande tendant à l’annulation de cette décision pour excès de pouvoir.

Par un arrêt du 5 février 2019 3)Req. n° 17NT03456., la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes a rejeté l’appel formé par les sociétés Inerta et Océane contre ce jugement.

Ces dernières forment alors un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat a été amené à préciser les contours des zones A des plans locaux d’urbanisme. Plus précisément, il s’est prononcé sur la question de savoir si une commune pouvait classer en zone agricole des terrains qui sont, au moins partiellement, artificialisés 4)Cf. conclusions du rapporteur public M. Olivier Fuchs (pages 1-2)..

2      La décision du Conseil d’Etat

Tout d’abord, le Conseil d’Etat précise qu’il résulte des articles L. 151-5, L. 151-9, R. 151-22 et R. 151-23 du code de l’urbanisme qu’une zone agricole, dite zone A, du PLU a vocation à couvrir, en cohérence avec les orientations générales et les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables (PADD), un secteur, équipé ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles.

Pour autant, il n’est pas nécessaire que tous les terrains classés en zone A disposent, par leur caractéristiques propres, d’un tel potentiel.

Dans ses conclusions 5)Suivies par le Conseil d’Etat dans son arrêt, qui sera d’ailleurs mentionné dans les tables du recueil Lebon., le rapporteur public, M. Olivier Fuchs, décrit les difficultés qu’engendrerait une approche « trop restrictive » de la définition des zones A :

« Nous ne suivons pas le pourvoi, en particulier, lorsqu’il vous invite à apprécier précisément si chaque parcelle revêt par elle-même un potentiel agricole. C’est en effet un secteur qu’il appartient de définir, en adoptant donc une focale plus large que la seule parcelle  6)Voir concernant le classement au sein des anciennes zones NC de terrains qui, par eux-mêmes, ne présentaient pas de richesses naturelles mais qui concouraient à la protection des richesses du secteur dans lequel elles s’insèrent : CE 22 septembre 1997 Commune d’Eygliers, req. n° 137416, et CE 6 juin 2007 Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole, req. n° 266656, citées par le rapporteur public dans ses conclusions (page 3).. […]

Une approche trop restrictive de la définition des zones A s’accorderait en outre mal, à nos yeux, avec la liberté que vous entendez laisser aux auteurs d’un plan local d’urbanisme pour traduire le parti d’aménagement dans les documents réglementaires, en particulier dans  le temps. Celle-ci se traduit par un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation par les juges  du fond. […]

Il nous semble plus généralement judicieux de permettre, sous certaines conditions, de classer en zone A certains terrains même lorsqu’ils sont artificialisés afin d’abord d’éviter que la surface artificialisée soit étendue et ensuite de lutter contre la « tentation de la tâche d’huile », qui conduirait à un phénomène progressif de grignotage des parcelles agricoles  contigües. Cet élément n’est pas neutre dans un contexte où la préservation des terres agricoles et la lutte contre l’artificialisation des sols est devenue un objectif majeur des politiques publiques » (page 3).

Il conclut donc, au regard de la jurisprudence rendue par les cours administratives d’appel 7)CAA Bordeaux 30 décembre 2005 Commune d’Aslonnes, req. n° 02BX02119, CAA Lyon 30 juin 2009 Indivision Bourgeois, req. n° 07LY01843, CAA Nantes 10 juillet 2015 M. et Mme D., req. n° 14NT01126, citées dans lesdites conclusions (page 3)., que « des parcelles peuvent légalement être inscrites en zone A dès lors que, du fait de leurs caractéristiques, elles participent à la cohérence de la zone agricole plus largement définie, y compris, parfois, lorsque leur potentiel agricole propre est faible voire nul » ; et propose, en cas de doute sur le potentiel agricole des terrains, des indices à prendre en compte 8)« la nature de la construction présente, l’ampleur de l’artificialisation de la parcelle, la façon dont la parcelle est insérée dans la zone agricole ainsi que son environnement direct, par exemple la limite qu’elle constitue avec une zone déjà urbanisée […] la cohérence du parti  retenu avec les orientations d’aménagement de la commune, telles qu’elles résultent du  PADD ou, par exemple de la délibération d’approbation du PLU » (page 4). pour déterminer si une ou plusieurs parcelles peuvent être classées en zone A.

En l’espèce, le Conseil d’Etat, suivant les conclusions du rapporteur public, considère, qu’après avoir relevé que les cinq parcelles dont les requérantes contestent le classement en zone A du PLU de la commune de Saint-Nolff sont situées en limite ouest du territoire communal, en dehors des parties urbanisées de la commune, dans une partie de son territoire qui présente, très majoritairement, un caractère agricole, la cour a pu, sans erreur de droit, ne pas rechercher si les parcelles en cause présentaient elles-mêmes un caractère de terres agricoles, mais se fonder, pour apprécier la légalité du classement des parcelles en zone A, sur :

  • la vocation du secteur en bordure duquel ces parcelles se situent, dont le caractère agricole est avéré;
  • le parti d’urbanisme de la commune, consistant à ne pas permettre l’étalement de la zone urbaine contiguë à ce secteur sur le territoire de la commune voisine, et ;
  • la circonstance que les parcelles en cause ne supportent que des constructions légères et des aménagements d’ampleur limitée.

Le Conseil d’Etat ajoute que la cour n’a pas fait peser sur les sociétés requérantes la charge de la preuve de l’absence de tout potentiel agronomique, biologique ou économique du secteur en cause.

En outre, le Conseil d’Etat estime que la cour n’a pas entaché son arrêt d’une erreur manifeste d’appréciation en jugeant souverainement que, bien que la parcelle D 982 soit désormais artificialisée en quasi-totalité par la présence d’une dalle d’entreposage de bennes à déchets et que les parcelles AT 464 et 611 soient partiellement construites, le classement de l’ensemble des parcelles litigieuses en zone A n’était pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, compte tenu notamment de ce que ces parcelles sont en dehors des parties urbanisées de la commune, dans une zone très majoritairement agricole, et eu égard à leur potentiel économique en lien avec l’activité agricole.

Par conséquent, le Conseil d’Etat rejette la requête des sociétés Inerta et Océane.

En conclusion, le classement de certains terrains en zone A ne dépend pas de leurs caractéristiques agricoles intrinsèques, mais de leur insertion de manière cohérente dans un secteur présentant ses caractéristiques.

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References   [ + ]

1. Tel qu’il résulte d’une délibération du conseil municipal du 6 février 2014.
2. Req. n° 1601914.
3. Req. n° 17NT03456.
4. Cf. conclusions du rapporteur public M. Olivier Fuchs (pages 1-2).
5. Suivies par le Conseil d’Etat dans son arrêt, qui sera d’ailleurs mentionné dans les tables du recueil Lebon.
6. Voir concernant le classement au sein des anciennes zones NC de terrains qui, par eux-mêmes, ne présentaient pas de richesses naturelles mais qui concouraient à la protection des richesses du secteur dans lequel elles s’insèrent : CE 22 septembre 1997 Commune d’Eygliers, req. n° 137416, et CE 6 juin 2007 Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole, req. n° 266656, citées par le rapporteur public dans ses conclusions (page 3).
7. CAA Bordeaux 30 décembre 2005 Commune d’Aslonnes, req. n° 02BX02119, CAA Lyon 30 juin 2009 Indivision Bourgeois, req. n° 07LY01843, CAA Nantes 10 juillet 2015 M. et Mme D., req. n° 14NT01126, citées dans lesdites conclusions (page 3).
8. « la nature de la construction présente, l’ampleur de l’artificialisation de la parcelle, la façon dont la parcelle est insérée dans la zone agricole ainsi que son environnement direct, par exemple la limite qu’elle constitue avec une zone déjà urbanisée […] la cohérence du parti  retenu avec les orientations d’aménagement de la commune, telles qu’elles résultent du  PADD ou, par exemple de la délibération d’approbation du PLU » (page 4).

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