Les cartes d’aléas sont désormais contestables devant le juge administratif

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

September 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 13 juillet 2023 Ministère de la transition écologique, req. n° 455803

1             Le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) 1)Le CEREMA est un établissement public placé sous la tutelle conjointe du ministère de la transition écologique et du ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Le CEREMA apporte aux acteurs territoriaux un appui technique et d’ingénierie dans plusieurs domaines afférents à la transition écologique, et à l’aménagement du territoire. avait en 2015 établi une carte d’aléa « mouvements de terrain » classant les parcelles des époux C en zone d’aléa fort.

A la suite de cette parution, un certificat d’urbanisme négatif a été opposé aux époux C les empêchant de réaliser un projet de travaux sur l’une de leurs parcelles.

Sur la base d’un rapport géotechnique établi suite à une expertise judiciaire, les époux C ont demandé à la préfète du département de modifier la cartographie établie par le CEREMA en contestant la méthodologie utilisée par ce dernier.

Saisi par les époux C, le tribunal administratif de Bordeaux a, par un jugement du 28 décembre 2018, estimé leur demande comme irrecevable car dirigée contre un acte non attaquable. Puis, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a, par un arrêt du 21 juin 2021, jugé en sens contraire.

Saisi en cassation par la ministre de la transition écologique, le Conseil d’Etat admet, sous certaines conditions, la possibilité de contester devant le juge administratif une cartographie d’aléas établie par l’Etat ou pour son compte.

2             Pour aboutir à cette solution, le Conseil d’Etat applique la définition donnée dans sa jurisprudence GISTI 2)CE 12 juin 2020 GISTI, req. n°418142, aux actes faisant grief et ouverts au contrôle du juge.

Selon cette jurisprudence, sont attaquables devant le juge administratif, les « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non (…) lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur la situation d’autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre ».

Au cas présent, le Conseil d’Etat observe que la carte d’aléa « mouvements de terrain » en cause réalisée par le CEREMA :

  • oriente de manière significative les autorités compétentes dans l’instruction des autorisations d’urbanisme 3)Notamment comme le relève le rapporteur public pour évaluer le risque d’atteinte à la sécurité publique visé l’article R.111-2 du code de l’urbanisme. Pour mémoire, lorsqu’un maire a connaissance d’un risque, et quand bien même un plan n’aurait pas classé le terrain d’assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables, il peut être tenu de refuser la délivrance d’une autorisation d’urbanisme sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme (CE 15 février 2016, req n° 389103).

En effet, cette carte était publiée sur le site internet de la préfecture et accompagnée d’un commentaire selon lequel « dès lors qu’elle est communiquée à la collectivité, cette nouvelle connaissance du risque doit être prise en compte par la commune et l’État, notamment pour ce qui concerne la planification et les autorisations d’urbanisme ».

Le préfet de Lot-et-Garonne avait également indiqué au maire, par un courrier, que les nouvelles informations résultant de cette cartographie devaient « être prises en compte dès à présent pour l’application du droit des sols » et notamment pour l’application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme sur le risque d’atteinte à la sécurité publique.

  • est susceptible, compte tenu de cette publication sur le site internet de la préfecture, d’exercer une influence tout aussi significative sur la valeur vénale des parcelles concernées.

Cette carte d’aléa ne pouvait donc être considérée comme un simple document préparatoire, en l’occurrence selon le ministre comme une simple étude technique destinée à permettre d’apprécier l’opportunité d’une révision d’un plan de prévention de risques (PPR), mais bien comme un acte faisant grief aux propriétaires et pouvant être soumise au contrôle du juge administratif.

Jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat confirme l’analyse de la Cour administrative d’appel en relevant les problèmes méthodologiques de l’étude du CEREMA et en confirmant que les parcelles auraient dû être classées en aléa moyen et faible, les terrains en question ayant une faible prédisposition au glissement de terrain.

3             Cette décision ouvre donc, dès lors que les conditions sont remplies, la possibilité de contester, sur la base notamment de preuves scientifiques, le classement de certaines parcelles dans des cartes d’aléas de tout type (mouvements de terrains, inondation, retrait du trait de côte, etc.), classements qui peuvent fortement impacter la valeur foncière de certains biens.

Il s’agira toutefois d’une analyse au cas par cas de la portée juridique des cartes soumises au contrôle du juge puisque comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions sous cette décision : « Il ne s’agit pas d’accepter que tout document portant une appréciation factuelle soit  susceptible de recours, mais bien vérifier la portée que ce document a concrètement. On peut parfaitement imaginer qu’une carte d’aléa exactement similaire à celle en cause ici soit considérée comme ne faisant pas grief, parce qu’elle serait accompagnée d’un commentaire indiquant qu’il s’agit d’une version de travail, par exemple en vue d’une procédure de consultation, auquel cas son caractère préparatoire devrait être retenu. Cette portée concrète s’apprécie notamment en fonction des conditions de publication qui l’accompagnent ».

 

 

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1. Le CEREMA est un établissement public placé sous la tutelle conjointe du ministère de la transition écologique et du ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Le CEREMA apporte aux acteurs territoriaux un appui technique et d’ingénierie dans plusieurs domaines afférents à la transition écologique, et à l’aménagement du territoire.
2. CE 12 juin 2020 GISTI, req. n°418142
3. Notamment comme le relève le rapporteur public pour évaluer le risque d’atteinte à la sécurité publique visé l’article R.111-2 du code de l’urbanisme. Pour mémoire, lorsqu’un maire a connaissance d’un risque, et quand bien même un plan n’aurait pas classé le terrain d’assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables, il peut être tenu de refuser la délivrance d’une autorisation d’urbanisme sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme (CE 15 février 2016, req n° 389103

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