L’exigibilité de la créance que détient le maître d’ouvrage sur le sous-traitant pour le remboursement des avances qu’il a versées à ce dernier n’est pas subordonnée à l’établissement d’un décompte

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 1er juin 2023 Sté Savima, req. n° 462211 : mentionné aux T du Rec. CE

Par une décision en date du 1er juin 2023, le Conseil d’Etat a jugé qu’aucun décompte préalable n’était nécessaire pour permettre au maître d’ouvrage d’émettre un titre de recettes tendant au remboursement d’une avance accordée à un sous-traitant.

Le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau a confié un marché de conception-réalisation à une société agissant en qualité de mandataire d’un groupement d’entreprises. Les prestations portaient sur la construction d’un nouvel hôpital.

Le pouvoir adjudicateur a accepté la société Savima en qualité de sous-traitant pour l’exécution d’une partie d’un lot portant sur des menuiseries. Conformément à la demande de cette société, le centre hospitalier a accordé une avance de 20% du montant des travaux sous-traités.

Le mandataire du groupement ayant été placé en redressement judiciaire et se trouvant dans l’incapacité de poursuivre le chantier, le pouvoir adjudicateur a résilié le marché. Se posait alors la question de la restitution de l’avance versée à la société Savima.

Pour rappel et dans le silence du contrat, le remboursement de l’avance consentie s’impute sur les sommes dues au titulaire quand le montant des prestations exécutées atteint 65% du montant du marché 1)Art. R. 2191-11 CCP. En l’espèce, la résiliation est intervenue avant d’atteindre ce seuil. Partant, le pouvoir adjudicateur n’avait pu bénéficier d’aucun remboursement.

Le directeur du centre hospitalier a donc émis un titre de recettes pour obtenir de la société Savima le remboursement de l’avance qui avait été versée.

La société sous-traitante, s’estimant fondée à conserver la somme, a contesté le titre de recettes devant le tribunal administratif de Guadeloupe puis devant la cour administrative d’appel de Bordeaux 2)CAA Bordeaux 21 juin 2018 Sté Alu Couleur, req. n°16BX00625.

Les deux juridictions ont rejeté le recours, sur le fondement de la répétition de l’indu, puis sur celui de l’enrichissement sans cause.

Le Conseil d’Etat, saisi une première fois du litige, 3)CE 4 mars 2020 Sté Alu Couleur, req. n°423447 avait écarté ces deux fondements :

  • il ne peut y avoir répétition de l’indu, le versement de l’avance étant initialement justifié ;
  • il ne peut y avoir enrichissement sans cause, le contrat même résilié constituant une cause.

Le Conseil d’Etat avait estimé que « lorsque le marché est résilié avant que l’avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d’ouvrage peut obtenir le remboursement de l’avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant sous réserve des dépenses qu’ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées. ».

L’appréciation de la légalité du titre de recettes ayant été renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux, celle-ci a jugé qu’il « appartenait au centre hospitalier de Caspeterre-Belle-Eau d’établir un décompte de résiliation du marché à l’occasion duquel il serait procédé, pour faire apparaître une créance certaine et exigible, au mécanisme du précompte prévu aux articles 88 et 115 du code des marchés publics afin d’obtenir le remboursement de l’avance forfaitaire consentie » 4)CAA Bordeaux 15 décembre 2021 Sté Savima, req. n°20BX00800.

L’affaire est donc portée une seconde fois par le Conseil d’Etat, ce qui lui permet de la trancher au fond 5)art. L. 821-2 CJA.

La spécificité tient ici à ce que les titres exécutoires ne sont pas dirigés contre le titulaire du marché, ce qui aurait nécessité l’établissement d’un décompte de résiliation, mais contre un sous-traitant.

Or, aucun décompte ne devant être établi entre le pouvoir adjudicateur et le sous-traitant, l’arrêt de la cour administrative d’appel est censuré pour erreur de droit : « ni aucun autre texte, ni aucun principe ne subordonne à l’établissement préalable d’un tel décompte l’exigibilité de la créance que détient le maître d’ouvrage sur le sous-traitant, notamment pour le remboursement des avances qu’il a versées à ce dernier. Par suite, en jugeant que la créance du centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau sur la société Savima correspondant au remboursement des avances perçues par celle-ci en qualité de sous-traitant n’était ni certaine ni exigible au seul motif qu’aucun décompte de résiliation du marché n’avait été établi au préalable, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ».

Le Conseil d’Etat a ensuite fait application des principes dégagés lors du premier pourvoi. Il est donc jugé que le centre hospitalier avait droit au remboursement de l’avance consentie dans la limite des dépenses exposées par le sous-traitant qui correspondent à des prestations prévues au marché.

La société Savima se prévalait d’une retenue de garantie sur les acomptes reçus, d’une perte de marge brute du fait de la résiliation du marché, du coût de stockage du matériel et de frais d’étude correspondant aux travaux non réalisés.

Le Conseil d’Etat a estimé que seule la retenue de garantie pouvait être regardée comme une dépense correspondant à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.

Ce faisant, le Conseil d’Etat a annulé le titre de recettes à hauteur de cette retenue de garantie et a déchargé la société Savima de payer la somme correspondant.

 

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References   [ + ]

1. Art. R. 2191-11 CCP
2. CAA Bordeaux 21 juin 2018 Sté Alu Couleur, req. n°16BX00625
3. CE 4 mars 2020 Sté Alu Couleur, req. n°423447
4. CAA Bordeaux 15 décembre 2021 Sté Savima, req. n°20BX00800
5. art. L. 821-2 CJA

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