L’incompétence relative du juge administratif français face à une sentence arbitrale rendue à l’étranger

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2013

Temps de lecture

4 minutes

CE 19 avril 2013 Syndicat mixte des aéroports de Charente, req. n° 352750

Le 19 avril 2013, le Conseil d’Etat a posé une nouvelle pierre à la jurisprudence française naissante relative à l’immixtion de la juridiction administrative dans le contrôle des sentences arbitrales internationales.

Depuis 2008, la compagnie irlandaise Ryanair exploitait une ligne « low-cost » entre l’aéroport d’Angoulême et celui de Londres-Stansted. En contrepartie, elle s’était vue accorder par le Syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) une réduction significative des redevances aéroportuaires, tandis que sa filiale, la société Airport Marketing Services Limited, recevait une subvention de 925 000 EUR de la part du Syndicat pour assurer le développement commercial de cette liaison aérienne. Toutefois, en 2010, Ryanair a décidé de supprimer ladite liaison aérienne, et de résilier les deux conventions les liant, elle et sa filiale, au SMAC.

Les deux conventions comprenaient une clause compromissoire au bénéfice de la cour d’arbitrage international de Londres.

Rappelons qu’en principe, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties, sous réserve des dérogations résultant de dispositions législatives expresses 1) CE avis 6 mars 1986, req. n° 339710, EDCE 1987. Ainsi, l’article L. 311-6 du code de justice administrative liste les exceptions permettant d’écarter les règles normales de compétences des juridictions du premier ressort 2) Tel est le cas de l’article 128 du code des marchés publics, qui dispose que : « Conformément à l’article 69 de la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1906, l’Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics locaux peuvent, pour la liquidation de leurs dépenses de travaux et de fournitures, recourir à l’arbitrage tel qu’il est réglé par le livre IV du code de procédure civile ». .

Par une sentence avant-dire droit rendue le 22 juillet 2011, la cour arbitrale s’est déclarée compétente pour connaître du litige et a refusé de surseoir à statuer jusqu’à ce que le tribunal administratif de Poitiers, que le syndicat avait saisi de son côté, ne se prononce. Le 18 juin 2012, le juge arbitral a validé la résiliation sur le fond, et condamné le SMAC à verser 100 000 euros aux deux sociétés.

Le SMAC a décidé de contester ces deux décisions devant le Conseil d’Etat, ce qui pose le problème de la compétence de celui-ci pour juger de la conformité d’une décision rendue par une juridiction étrangère au titre d’une clause compromissoire.

En la matière, le tribunal des conflits avait déjà rendu une décision fondatrice, dans lequel il avait considéré que le recours formé contre une sentence arbitrale rendue en France, dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, relève en principe du ressort des cours d’appel de l’ordre judiciaire, excepté lorsque le recours contre la sentence arbitrale implique « le contrôle de la conformité de la sentence aux règles impératives du droit public français relatives à l’occupation du domaine public ou à celles qui régissent la commande publique et applicables aux marchés publics, aux contrats de partenariat et aux contrats de délégation de service public […]» (TC 17 mai 2010 INSERM, décision n° 3754).

Pour le juge des conflits, la compétence du juge administratif se justifie parce que ces contrats relèvent d’un régime administratif d’ordre public. Cette décision avait été très critiquée, certains observateurs estimant qu’il s’agissait d’un coup très dur porté contre le droit français de l’arbitrage international 3) Emmanuel Gaillard in « Masochisme français », Semaine juridique – édition générale n° 21, 24 mai 2010, doctrine n° 585.. Toujours est-il que cette décision consacrait le pouvoir de la juridiction administrative de s’assurer du respect par les institutions arbitrales des règles impératives du droit public français.

Dans l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat s’estime incompétent pour connaître d’une sentence arbitrale rendue par une juridiction étrangère. Dès lors, la Haute Juridiction ne pouvait annuler les sentences contestées. Elle n’aurait pu le faire que si la sentence avait été rendue en France.

Néanmoins, elle précise que :

« […] quel que soit le siège de la juridiction arbitrale qui a statué sur un litige né d’un tel contrat, le juge administratif est toujours compétent pour connaître d’une demande tendant à l’exequatur de la sentence, dont l’exécution forcée ne saurait être autorisée si elle est contraire à l’ordre public ; qu’une telle demande relève en premier ressort du tribunal administratif en application de l’article L. 311-1 du code de justice administrative […] »

Une telle approche est susceptible de renouveler entièrement le débat devant le juge de l’exequatur puisque celui-ci sera alors susceptible de faire application de la jurisprudence « Mergui », au nom de laquelle une personne publique ne peut jamais être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas.
Ce principe est expressément qualifié d’ordre public par le juge, qui s’en sert comme fondement pour contrôler les protocoles d’accord transactionnel soumis à son homologation, et censurer les engagements qui excéderaient ce que doit une personne publique 4) CE 19 mars 1971 Mergui : Rec. CE 1971, p. 235, concl. Rougevin-Baville ; AJDA 1971, p. 274, chron. D. Labetoulle et P. Cabanne ; RDP 1972, p. 234, note M. Waline ; CJEG 1972, p. 35. Un contrôle analogue exercé sur une sentence arbitrale délivrée par un arbitre étranger pourrait s’envisager.

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References   [ + ]

1. CE avis 6 mars 1986, req. n° 339710, EDCE 1987
2. Tel est le cas de l’article 128 du code des marchés publics, qui dispose que : « Conformément à l’article 69 de la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1906, l’Etat, les collectivités territoriales ou les établissements publics locaux peuvent, pour la liquidation de leurs dépenses de travaux et de fournitures, recourir à l’arbitrage tel qu’il est réglé par le livre IV du code de procédure civile ».
3. Emmanuel Gaillard in « Masochisme français », Semaine juridique – édition générale n° 21, 24 mai 2010, doctrine n° 585.
4. CE 19 mars 1971 Mergui : Rec. CE 1971, p. 235, concl. Rougevin-Baville ; AJDA 1971, p. 274, chron. D. Labetoulle et P. Cabanne ; RDP 1972, p. 234, note M. Waline ; CJEG 1972, p. 35

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