L’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif s’apprécie au regard des atteintes résultant des modifications lorsque le requérant n’a pas contesté utilement le permis initial

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2019

Temps de lecture

5 minutes

CE 4 octobre 2019 M. E… C…, Mme B… D… et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé 31, rue d’Estienne d’Orves à Vincennes, req. n° 419820 : Inédit au recueil Lebon  

1          Contexte

Par un arrêté du 29 avril 2014, le maire de Vincennes a délivré à la société Belliss’immo le permis de construire un immeuble d’habitation de cinq logements et de 8 places de stationnement sur la parcelle cadastrale section P n°143 située 13 rue Eugène Loeuil à Vincennes.

Par un arrêté du 25 août 2015, le maire de Vincennes a délivré à M. A…F… , à qui le permis de construire initial avait été entre-temps transféré, un permis de construire modificatif de ce permis initial.

Ce permis modificatif avait pour objet la réduction du nombre de logements à 4 et du nombre de places de stationnement à 7, la diminution de la surface de plancher, la modification de certains éléments de façade et la création de balcons côté rue, ainsi que la création d’un niveau de sous-sol complémentaire et de locaux d’activité en premier sous-sol.

M. E… C…, Mme B… D… et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé 31, rue d’Estienne d’Orves à Vincennes ont demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler pour excès de pouvoir ces deux arrêtés.

Par un jugement 1)N° 1601611. du 16 février 2018, le tribunal a annulé l’arrêté du 25 août 2015 et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

M.F… a formé un pourvoi devant le Conseil d’État et demande l’annulation de ce jugement en tant qu’il annule le permis de construire modificatif 2)Le Conseil d’État est compétent car l’article R.811-1-1 du code de justice administrative dispose que : « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, à l’exception des permis afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2.

Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 ».

Parmi les communes visés par le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts, figure la commune de Vincennes. C’est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a statué en premier et dernier ressort..

2          La décision du Conseil d’État

2.1       Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle les dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable à l’espèce :

« Une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Le Conseil d’État indique qu’il résulte de ces dispositions que :

« il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Lorsque le requérant, sans avoir utilement contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé. Il appartient dans tous les cas au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ».

Le Conseil d’État avait déjà jugé que dans l’hypothèse d’un recours contre un permis de construire modificatif, si le requérant n’a pas contesté le permis de construire initial, l’intérêt à agir doit s’apprécier au regard du seul impact sur le requérant des modifications apportées au projet initial et non pas au regard de la globalité du projet de construction 3)CE 17 mars 2017, req. n° 396362 : Mentionné dans les tables du Recueil Lebon. et que, pour appliquer les dispositions de l’article L. 600-1-2 précitées, le juge administratif apprécie l’intérêt à agir en fonction des pièces versées à l’instance par les parties, en écartant les arguments qui lui semblent insuffisamment étayés et que si le requérant doit justifier d’une atteinte directe au soutien de la recevabilité de son recours, il n’a pas à justifier du caractère certain de cette atteinte 4)CE 10 juin 2015, req. n° 386121 : Publié au Recueil Lebon..

2.2       En l’espèce, le Conseil d’État relève tout d’abord, que le tribunal a jugé à bon droit, qu’il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les requérants, les voisins M. C… et Mme D… ainsi que le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé 31, rue d’Estienne d’Orves ont contesté tardivement le permis initial, délivré le 29 avril 2014.

Le Conseil d’État considère que les requérants devaient donc être regardés comme n’ayant pas utilement contesté ce permis initial. Les moyens à l’encontre du permis initial sont donc irrecevables.

En conséquence, l’intérêt à agir des requérants contre le permis modificatif pouvait être apprécié uniquement au regard de la portée des modifications que celui-ci apportait au projet de construction initialement autorisé.

Or, le tribunal a retenu l’intérêt à agir des requérants contre le permis modificatif au motif que :

  • C… et de Mme D… étaient voisins immédiats du projet de construction ;
  • que la construction projetée était susceptible de priver en partie leur jardin de soleil ;
  • et qu’elle était susceptible de menacer la stabilité de l’immeuble situé 31, rue d’Estienne d’Orves avec lequel elle partagerait un mur mitoyen.

Le tribunal n’a pas recherché si ces atteintes résultaient des modifications apportées au projet initial par le permis modificatif.  Il a ainsi commis une erreur de droit.

En conséquence, le jugement en tant qu’il annule l’arrêté du 25 août 2015 portant permis modificatif est annulé.

L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, au tribunal administratif de Melun.

Partager cet article

References   [ + ]

1. N° 1601611.
2. Le Conseil d’État est compétent car l’article R.811-1-1 du code de justice administrative dispose que : « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, à l’exception des permis afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2.

Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 ».

Parmi les communes visés par le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts, figure la commune de Vincennes. C’est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a statué en premier et dernier ressort.

3. CE 17 mars 2017, req. n° 396362 : Mentionné dans les tables du Recueil Lebon.
4. CE 10 juin 2015, req. n° 386121 : Publié au Recueil Lebon.

3 articles susceptibles de vous intéresser