Lorsque qualification de marché public d’une concession d’aménagement et intérêts moratoires s’entremêlent

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

5 minutes

CE 18 mai 2021 Cté d’agglomération de Lens-Liévin, req. n° 443153 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Le Conseil d’Etat a rendu le 18 mai 2021 un arrêt classique sur la requalification en marché public d’une concession d’aménagement mais éclairant quant à l’application dans le temps de l’interdiction de renonciation aux intérêts moratoires.

Dans les faits, par un contrat conclu le 12 août 1991, la commune de Liévin avait confié l’aménagement de la friche Sabès à Liévin à la société immobilière de construction de Liévin.

Ce contrat a été repris tant par la communauté d’agglomération de Liévin, venue aux droits de la commune de Liévin, que par la société Territoires 62, succédant à la société Adévia qui avait elle-même succédé à la société Artois Développement, laquelle était venue aux droits de la société immobilière de construction de Liévin.

Par une délibération du 17 mars 2006, la communauté d’agglomération de Lens-Liévin a clôturé l’opération d’aménagement de la friche Sabès, en arrêtant le déficit à la somme de 857 664,64 euros.

Par une délibération du 1er juin 2015, le conseil communautaire de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin a autorisé son président à signer un contrat de transaction avec la société Territoires 62, en vue de lui régler une somme égale à ce déficit, en contrepartie de la renonciation de cette société à réclamer des intérêts moratoires pour un montant de 158 746 euros et de son désistement ou de sa renonciation de toute action relative à l’exécution du contrat.

Le protocole transactionnel signé entre les parties a été attaqué devant le tribunal administratif par des élus de l’opposition et le tribunal administratif de Lille l’a annulé par un jugement du 16 octobre 2018 puis la cour administrative d’appel de Douai a, par un arrêt n° 18DA02505 du 27 février 2020, annulé ce jugement et le protocole transactionnel.

Saisi de pourvois en cassation, le Conseil d’Etat a refusé d’annuler cet arrêt.

1.      Qualification d’une concession d’aménagement en marché public : une position classique confirmée

Pour commencer, le Conseil d’Etat a rappelé quelle était la définition d’un marché public lors de la conclusion de la concession d’aménagement en 1991, soit « un contrat conclu par les collectivités publiques en vue de la réalisation de travaux, fournitures et services en contrepartie d’un prix », selon le code des marchés publics alors applicable. Puis la juridiction a souligné que les dispositions alors applicables du code de l’urbanisme régissant les concessions d’aménagement n’ont pas pour effet de soustraire ces contrats au respect des règles régissant les marchés publics, s’ils entrent dans le champ de l’article 1er du code des marchés publics alors applicable.

En l’espèce, le titulaire du contrat du 15 août 1991 s’était engagé à réaliser l’aménagement de la friche Sabès située à Liévin, en vue d’y créer une zone d’activité commerciale et artisanale contribuant au développement économique de la ville et, à cette fin, d’effectuer les démolitions nécessaires, de réaliser les équipements secondaires de la zone, de procéder le cas échéant à la construction de bâtiments à vocation commerciale ou artisanale, de procéder aux études nécessaires et de coordonner l’opération.

Or, il ressort des stipulations du contrat signé en 1991 ainsi que de son cahier des charges que le concessionnaire n’a pris aucun risque financier dans cette opération, seule l’autorité concédante les supportant.

En effet, selon les stipulations de l’article 5 du contrat signé en 1991 « L’opération de concession est réalisée sous le contrôle de la ville et à ses risques financiers. En conséquence, à l’expiration de la concession, la Ville bénéficiera du solde positif ou prendra en charge le solde négatif résultant des comptes de l’opération, dans les conditions précisées au cahier des charges ». Et l’article 29 du cahier des charges stipule que le bilan de clôture arrêté par le titulaire fixe « le montant définitif de la participation financière du concédant aux travaux d’aménagement de la zone nécessaire pour équilibrer les comptes, majoré de la rémunération de la société et de la perte cumulée » et, d’autre part, les articles 25 et 28 de ce même document prévoiyaient en outre que la personne publique contractante s’engage à contribuer au remboursement des annuités des emprunts garantis du titulaire, si ses recettes ne suffisent pas y pourvoir, et que le titulaire perçoit une rémunération globale et forfaitaire pour ses frais généraux et de fonctionnement.

Pour le Conseil d’Etat, c’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a considéré que la concession d’aménagement en cause constitue bien un marché public dès lors que la rémunération du cocontractant n’était pas substantiellement liée aux résultats de l’opération d’aménagement.

2.     Interdiction de renonciation aux intérêts moratoires : application dans le temps de ce principe

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle les termes de l’article 67 de la loi du 8 août 1994, applicable à la date de la signature de la transaction litigieuse : « Dans le cadre des marchés publics, y compris les travaux sur mémoires et achats sur factures, est réputée non écrite toute renonciation au paiement des intérêts moratoires exigibles en raison du défaut, dans les délais prévus, soit du mandatement des sommes dues, soit de l’autorisation d’émettre une lettre de change-relevé, soit du paiement de celle-ci à son échéance. / La présente disposition est applicable à toute clause de renonciation conclue à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ».

Puis la juridiction ajoute que « l’interdiction de la renonciation au paiement des intérêts moratoires était susceptible de s’appliquer à un protocole transactionnel relatif à un litige né d’un contrat, alors même que ce contrat avait été conclu avant l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 1994 ».

Le principe est donc l’interdiction absolue de toute renonciation aux intérêts moratoires dus en raison de retards dans le règlement des marchés publics, même si cette renonciation concerne des intérêts moratoires nés d’un contrat signé antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi  (ici votée en 1996 alors que le contrat a été signé en 1991).

Enfin, dernier intérêt de cet arrêt, il est indiqué 1)Considérants 8 et 9 que « la méconnaissance de la règle prohibant la renonciation aux intérêts moratoires, laquelle entache d’illicéité le contenu du protocole transactionnel, est de nature à justifier son annulation ». Pour statuer ainsi, il faut rappeler qu’il appartient au juge du contrat, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences. Après avoir apprécié la nature des vices, il lui revient de décider soit la poursuite de l’exécution du contrat, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat.

En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.  C’est ainsi qu’en l’espèce il a jugé bon de confirmer l’annulation du protocole transactionnel qui emportait renonciation à des intérêts moratoires nés de l’exécution d’une concession d’aménagement qualifiée de marché public.

 

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References   [ + ]

1. Considérants 8 et 9

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