Médiation en matière administrative : précisions du Conseil d’Etat sur les règles de confidentialité

Catégorie

Droit administratif général

Date

December 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE avis 14 novembre 2023 Société Grands Travaux de l’Océan Indien et autres, n° 475648 : Publié au Rec. CE

Saisi par le tribunal administratif de La Réunion, le Conseil d’Etat a rendu un avis dans lequel il apporte des précisions s’agissant des règles de confidentialité dans le cadre de la médiation.

En l’espèce, le tribunal administratif de la Réunion avait été saisi par trois sociétés d’une demande indemnitaire à l’encontre d’un maitre d’ouvrage – la région Réunion – au titre de l’exécution d’un marché de travaux dont elles étaient titulaires 1)TA La Réunion 3 juillet 2023 Société Grands Travaux de l’Océan Indien et autres, req. n° 1800693.. Préalablement et à l’initiative des parties, une médiation avait été organisée, au cours de laquelle des opérations d’expertise ont eu lieu.

Dans le cadre de l’instance, la région fait alors valoir que le rapport d’expertise ainsi que les pièces faisant état d’éléments issus de cette médiation, dont les requérantes se prévalent, doivent être écartés des débats dès lors qu’ils sont couverts par la confidentialité des échanges intervenus au cours de la médiation.

Pour rappel, la médiation est définie par l’article L. 213-1 du code de justice administrative comme « tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction ».

Une médiation peut avoir lieu à l’initiative des parties en dehors de toute procédure juridictionnelle 2)Cf. art. L. 213-5 du code de justice administrative. ou sur proposition du juge administratif saisi s’il estime que le litige est susceptible de trouver une issue amiable 3)Cf. art. R. 213-5 du code de justice administrative.. Il existe également certains cas dans lesquels la médiation est un préalable obligatoire à toute saisine du juge 4)Liste des cas particuliers prévue par le décret n° 2022-433 du 25 mars 2022 relatif à la procédure de médiation préalable obligatoire applicable à certains litiges de la fonction publique et à certains litiges sociaux..

Aux termes de l’article L. 213-2 du code de justice administrative :

« Sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité. Les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties.

Il est fait exception au deuxième alinéa dans les cas suivants :

1° En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;

2° Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre ».

En l’espèce, pour déterminer si le rapport d’expertise en cause est soumis à cette obligation de confidentialité ou non, le tribunal s’est posé la question de savoir, d’une part, à quelles conditions une pièce, des observations ou un élément d’analyse issus d’un processus de médiation peuvent être considérés comme une constatation du médiateur ou des déclarations recueillies au cours de la médiation au sens des dispositions précitées, et d’autre part, si un rapport d’expertise ne peut être considéré comme tel, peut-il être soumis au débat contradictoire dans la mesure où il procède seulement à une analyse factuelle et technique des prétentions des parties ?

Dans son avis du 14 novembre 2023, le Conseil d’Etat a ainsi précisé que doivent être considérés comme des constatations du médiateur et des déclarations recueillies au cours de la médiation au sens des dispositions précitées « les actes, documents ou déclarations, émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation ».

En revanche, les autres documents émanant de tiers, en particulier des documents qui procèdent à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert dans le cadre de la médiation ne sont pas couverts par l’obligation de confidentialité. Ces pièces peuvent donc être invoquées ou produites devant le juge administratif et prises en compte par ce dernier pour statuer sur le litige, à la condition toutefois qu’elles ne fassent pas état des positions avancées par le médiateur ou par les parties en vue de la résolution du litige.

Le Conseil d’Etat indique alors que le principe de confidentialité des constatations du médiateur et des déclarations recueillies est applicable au processus de médiation organisé dans le cadre d’une expertise avant-dire droit ordonnée sur le fondement de l’article R. 621-1 du code de justice administrative 5)Art. R. 621-1 du CJA : « La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l’expert peut viser à concilier les parties ». et que dans ce cadre, « les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l’expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige » demeurent confidentiels et en conséquence, sauf accord contraire des parties, l’expert ne doit pas en faire état dans son rapport d’expertise.

Au cas d’espèce, le tribunal administratif ne sera donc pas tenu d’écarter des débats le rapport d’expertise dont se prévalent les sociétés requérantes à condition que ce rapport se borne à faire état d’une analyse factuelle et technique des prétentions des parties sans mentionner les propositions ou prises de position des parties ou de l’expert formulées dans le cadre de la médiation.

 

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References   [ + ]

1. TA La Réunion 3 juillet 2023 Société Grands Travaux de l’Océan Indien et autres, req. n° 1800693.
2. Cf. art. L. 213-5 du code de justice administrative.
3. Cf. art. R. 213-5 du code de justice administrative.
4. Liste des cas particuliers prévue par le décret n° 2022-433 du 25 mars 2022 relatif à la procédure de médiation préalable obligatoire applicable à certains litiges de la fonction publique et à certains litiges sociaux.
5. Art. R. 621-1 du CJA : « La juridiction peut, soit d’office, soit sur la demande des parties ou de l’une d’elles, ordonner, avant dire droit, qu’il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l’expert peut viser à concilier les parties ».

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