Même dans le silence du contrat, le concédant peut prononcer la déchéance du concessionnaire

Catégorie

Contrats publics

Date

November 2015

Temps de lecture

6 minutes

CE 12 novembre 2015 Société Le jardin d’acclimatation, req. n° 387660

    « Considérant qu’aux termes du cahier des charges pour la concession du chemin de fer d’intérêt local de Chartres à Saint-Calais, la déchéance du concessionnaire, dans le cas où il ne remplit pas les diverses obligations qui lui sont imposées, doit être prononcée par le préfet ; […] que, dès lors, il n’appartenait point au conseil de préfecture de Loir-et-Cher de prononcer la déchéance de la Compagnie d’Orléans à Rouen pour la partie dudit chemin comprise dans ce département » (CE 15 juillet 1881 Le syndic de la faillite de la Compagnie d’Orléans à Rouen c/ le département de Loir-et-Cher, req. n° 55533 : Rec. CE p. 715).
    « Considérant que, s’il entrait dans la commune intention des parties que les travaux de construction de l’usine à gaz fussent exécutés dans le plus bref délai possible et si le sieur Raoul, en ne se conformant pas aux invitations répétées qui lui ont été adressées à cet égard par le maire de la commune de Villers-sur-Mer au nom du conseil municipal, a manqué à l’une de ses obligations essentielles, aucune disposition législative ou contractuelle n’autorisait la commune de Villers à prononcer la déchéance de la concession ; qu’il lui appartenait seulement de poursuivre par les voies de droit la résolution du contrat et que, jusqu’à ce qu’il eût été statué sur cette demande, elle ne pouvait se considérer comme déliée de ses engagements » (CE 18 mai 1888 Raoul c/ Commune de Villers-sur-Mer, req. n° 65518 : Rec. CE p. 455).

Ainsi jugeait le Conseil d’Etat il y a plus d’un siècle lorsqu’il avait à connaître de la question de la fin d’une concession de travaux et de service public en raison des fautes commises par le concessionnaire, sujet sur lequel sa jurisprudence semble avoir évolué.

    1 La résiliation pour faute du contrat de concession : compétence et modalités

De (très) longue date, les règles relatives à la fin des concessions (ou, désormais, conventions de délégation de service public) connaissent quelques spécificités 1)Sur l’ensemble de la question, voir Laurent Richer, Droit des contrats administratifs, 9e éd., LGDJ, 2014, n° 470-474, p. 228-230, et n° 504, p. 241. :

    ► Si le contrat n’est pas un contrat de concession :
    • l’absence de stipulations le prévoyant ne saurait priver la personne publique du droit de le résilier, après mise en demeure, en cas de faute du cocontractant 2)CE 30 septembre 1983 SARL Comexp, req. n° 26611 : Rec. CE p. 393 : « Cons., en premier lieu, que s’agissant d’un contrat qui n’est pas un contrat de concession […] ; Cons. en second lieu, que la circonstance de l’article 20 du contrat du 17 avril 1969 n’a prévu que la mise en régie de l’exploitation après mise en demeure non suivie d’effet, ne saurait priver la commune du droit de procéder à la résiliation du contrat, après avoir invité le cocontractant à s’acquitter de ses obligations contractuelles ». ;
    • et lorsqu’une telle faculté est prévue par le contrat, cela n’interdit pas de saisir le juge pour qu’il prononce lui-même la résiliation aux torts du cocontractant 3)CE 17 mars 1934 Gouverneur général de l’Algérie c/ Sieur Carta, req. n° 21790 : Rec. CE p. 377 : « Considérant que si l’article 35 du cahier des clauses et conditions générales des ponts et chaussées permet à l’administration de résilier un marché dans les cas et selon la procédure qu’il prévoit, il ne fait pas obstacle à ce que le maître de l’ouvrage demande au juge de prononcer la résiliation pour inexécution par l’entrepreneur de ses obligations »..
    ► S’il s’agit au contraire d’un contrat de concession, il était au contraire jugé :
    • que dans le silence du contrat, seul le juge pouvait prononcer une telle résiliation du contrat aux torts du concessionnaire (appelée déchéance) 4)CE 18 mai 1888 Raoul c/ Commune de Villers-sur-Mer, req. n° 65518 : Rec. CE p. 455 (préc.). – CE 27 février 1924 Commune de Morzine, req. n° 71693 : Rec. CE p. 226. – CE 17 novembre 1944 Ville d’Avallon c/ Sieur Fointiat, req. n° 71830-75072 : Rec. CE p. 294. – CE 21 novembre 1981 Syndicat intercommunal d’organisation de la station de sports d’hiver de Peyresourde-Balestas, req. n° 01458-089 : Rec. CE p. 438. ;
    • et que si le contrat prévoyait au contraire un tel droit au profit de la personne publique concédante, seule celle-ci pouvait alors la prononcer, sans pouvoir la solliciter du juge 5)CE 15 juillet 1881 Le syndic de la faillite de la Compagnie d’Orléans à Rouen c/ le département de Loir-et-Cher, req. n° 55533 : Rec. CE p. 715 (préc.). – CE 24 juillet 1903 Sieur Deplanque, req. n° 7508 : Rec. CE p. 541. – CE 22 novembre 1967 Société générale technique, req. n° 67433 : Rec. CE p. 859..

S’agissant des modalités de la résiliation pour faute, il est en principe requis, conformément aux droits de la défense, que le cocontractant soit préalablement mis en demeure de respecter ses obligations contractuelles 6)CE 20 janvier 1905 Compagnie départementale des eaux et services municipaux c/Ville de Langres, req. n° 8248 : Rec. CE p. 54, concl. Romieu. et que cette mise en demeure, qui doit faire état de manquements précis 7)CE 26 novembre 1993 Société anonyme du nouveau port de Saint-Jean-Cap-Ferrat, req. n° 85161., et aux effets de laquelle il ne doit pas être renoncé 8)CE 8 février 1999 Ville de Montélimar, req. n° 168535 : Rec. CE p. 883 ; BJCP 4/1999, p. 365, concl. Bergeal., soit demeurée sans effet. Il n’en va autrement que si le contrat prévoit que la résiliation pour faute pourra intervenir sans mise en demeure préalable 9)CE 16 juin 1978 Société d’achats et de consignations, req. n° 05501..

    2 L’arrêt du 12 novembre 2015

Par un contrat conclu le 6 décembre 1995, la ville de Paris a concédé à la société Le jardin d’acclimatation, pour une durée de vingt ans, l’exploitation et la mise en valeur, sur le domaine public, des diverses activités de service public du jardin d’acclimatation. Par un contrat de sous-concession conclu le 29 juillet 1997, cette société a confié à la société Ludo vert l’exploitation de manèges et d’attractions foraines du jardin.

En 2012, la société Le jardin d’acclimatation a saisi le tribunal administratif de Paris aux fins de voir prononcer la déchéance de son sous-concessionnaire en raison de fautes commises par celui-ci mais cette demande a été rejetée par les premiers juges. Ceux-ci ont certes relevé que les stipulations du contrat n’autorisaient pas le sous-concédant à le résilier unilatéralement pour faute et que ce dernier devait donc, à cette fin, saisir le juge. Mais ils ont également considéré que le délai d’un mois que prévoyait le contrat en cas de mise en demeure adressée préalablement à une résiliation pour faute devait, en l’absence d’urgence, être expiré avant que le juge ne soit saisi 10)CAA Paris 4 décembre 2014 SA Le Jardin d’acclimatation, req. n° 13PA01935..

Dans son arrêt, le Conseil d’Etat casse l’arrêt de la cour administrative d’appel, jugeant pour sa part :

    « qu’en cas de manquements de nature à justifier qu’il soit mis fin à son contrat pour faute et sans indemnité, le titulaire doit, en principe, être préalablement mis en demeure de respecter ses obligations, sauf si le contrat en dispose autrement ou s’il n’a pas la possibilité de remédier aux manquements qui lui sont reprochés ; qu’en l’absence même de stipulations du contrat lui donnant cette possibilité, le concédant dispose de la faculté de résilier unilatéralement le contrat pour faute et sans indemnité ; que dans l’hypothèse d’une saisine du juge aux fins de prononcer la déchéance du contrat, celui-ci est régulièrement saisi alors même que le délai donné au cocontractant pour se conformer à ses obligations n’est pas expiré ; que le juge ne peut toutefois statuer qu’après expiration de ce délai ; que ces mêmes règles s’appliquent dans le cas de l’action en déchéance d’un sous-concessionnaire par un concessionnaire ; que, par suite, en jugeant la demande de la société Le jardin d’acclimatation irrecevable par les motifs exposés ci-dessus, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ».

Ainsi :

    ► Préalablement à la résiliation du contrat pour faute, une mise en demeure doit être adressée au cocontractant fautif, mais celle-ci n’est pas requise si le contrat l’écarte ou si le cocontractant ne pourrait de toute façon pas remédier aux manquements qui lui sont reprochés et donc la respecter ;

    ► Il n’est donc pas nécessaire que le délai imparti en cas de mise en demeure au cocontractant pour respecter ses obligations soit expiré pour pouvoir saisir le juge d’une demande de résiliation du contrat aux torts dudit cocontractant, le juge devant simplement attendre pour statuer que le délai soit expiré (et qu’il puisse donc être constaté le non-respect éventuel de la mise en demeure) ;

    ► Même dans le cadre d’un contrat de concession, le concédant peut résilier unilatéralement le contrat pour faute et sans indemnité en l’absence de clause stipulant expressément une telle faculté à son profit ;

    ► Et ces mêmes règles s’appliquent en cas de résiliation par le concessionnaire sous-concédant du contrat conclu avec un sous-concessionnaire.

Le seul point sur lequel l’arrêt ne se prononce pas expressément c’est celui de savoir si, lorsqu’une clause prévoit que le concédant pourra résilier pour faute le contrat, il peut néanmoins saisir le juge ou si, comme par le passé, lui seul peut alors prononcer la déchéance. On peut toutefois penser, puisqu’un tel pouvoir existe désormais même dans le silence du contrat, et que l’arrêt précise quand le juge peut statuer lorsqu’il est saisi, qu’en pareille hypothèse, le concédant aura désormais le choix entre prononcer lui-même la déchéance ou s’en remettre à la sagesse du juge.

Par ailleurs, le contrat en cause dans l’arrêt (la sous-concession) était semble-t-il une concession domaniale puisque portant sur l’exploitation de manèges et d’attractions foraines ; cependant que le contrat amont, portant sur l’exploitation d’activités de service public était a priori une concession ou délégation de service public. En outre, le fichage de l’arrêt aux tables du Recueil Lebon des arrêts du Conseil d’Etat mentionne une “concession domaniale“. On peut dès lors se demander si la solution de l’arrêt ne vaut que pour les concessions domaniales ou si elle vaut plus largement pour toutes les concessions, y compris celles de service public. La formulation de l’arrêt paraît revêtir une portée générale. En outre, le fichage indique que cet arrêt abandonne la jurisprudence Copel (“Ab. jur. CE, 25 mars 1991, M. Copel, n° 90747, T. p. 1045.”), laquelle portait sur un contrat confiant l’exploitation et la construction de remontées mécaniques.

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References   [ + ]

1. Sur l’ensemble de la question, voir Laurent Richer, Droit des contrats administratifs, 9e éd., LGDJ, 2014, n° 470-474, p. 228-230, et n° 504, p. 241.
2. CE 30 septembre 1983 SARL Comexp, req. n° 26611 : Rec. CE p. 393 : « Cons., en premier lieu, que s’agissant d’un contrat qui n’est pas un contrat de concession […] ; Cons. en second lieu, que la circonstance de l’article 20 du contrat du 17 avril 1969 n’a prévu que la mise en régie de l’exploitation après mise en demeure non suivie d’effet, ne saurait priver la commune du droit de procéder à la résiliation du contrat, après avoir invité le cocontractant à s’acquitter de ses obligations contractuelles ».
3. CE 17 mars 1934 Gouverneur général de l’Algérie c/ Sieur Carta, req. n° 21790 : Rec. CE p. 377 : « Considérant que si l’article 35 du cahier des clauses et conditions générales des ponts et chaussées permet à l’administration de résilier un marché dans les cas et selon la procédure qu’il prévoit, il ne fait pas obstacle à ce que le maître de l’ouvrage demande au juge de prononcer la résiliation pour inexécution par l’entrepreneur de ses obligations ».
4. CE 18 mai 1888 Raoul c/ Commune de Villers-sur-Mer, req. n° 65518 : Rec. CE p. 455 (préc.). – CE 27 février 1924 Commune de Morzine, req. n° 71693 : Rec. CE p. 226. – CE 17 novembre 1944 Ville d’Avallon c/ Sieur Fointiat, req. n° 71830-75072 : Rec. CE p. 294. – CE 21 novembre 1981 Syndicat intercommunal d’organisation de la station de sports d’hiver de Peyresourde-Balestas, req. n° 01458-089 : Rec. CE p. 438.
5. CE 15 juillet 1881 Le syndic de la faillite de la Compagnie d’Orléans à Rouen c/ le département de Loir-et-Cher, req. n° 55533 : Rec. CE p. 715 (préc.). – CE 24 juillet 1903 Sieur Deplanque, req. n° 7508 : Rec. CE p. 541. – CE 22 novembre 1967 Société générale technique, req. n° 67433 : Rec. CE p. 859.
6. CE 20 janvier 1905 Compagnie départementale des eaux et services municipaux c/Ville de Langres, req. n° 8248 : Rec. CE p. 54, concl. Romieu.
7. CE 26 novembre 1993 Société anonyme du nouveau port de Saint-Jean-Cap-Ferrat, req. n° 85161.
8. CE 8 février 1999 Ville de Montélimar, req. n° 168535 : Rec. CE p. 883 ; BJCP 4/1999, p. 365, concl. Bergeal.
9. CE 16 juin 1978 Société d’achats et de consignations, req. n° 05501.
10. CAA Paris 4 décembre 2014 SA Le Jardin d’acclimatation, req. n° 13PA01935.

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