Méthode de notation et utilisation par le pouvoir adjudicateur d’une « simulation » au travers d’un « détail quantitatif estimatif » (DQE) portant sur des « chantiers fictifs »

Catégorie

Contrats publics

Date

September 2016

Temps de lecture

5 minutes

CE 16 novembre 2016 société SNEF et Ville de Marseille, req. n° 401660 Par un avis d’appel public à concurrence publié le 8 février 2016, la Ville de Marseille a lancé une procédure formalisée – procédure d’appel d’offres ouvert – pour l’attribution d’un marché ayant pour objet l’exploitation et le maintien de ses installations d’éclairage public. Il s’agit d’un marché unique englobant quatre types de travaux et prestations : l’exploitation, l’entretien, les études et le maintien des installations d’éclairage. Par une ordonnance du 5 juillet 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi par une société membre d’un groupement dont l’offre avait été rejetée, a annulé la procédure de passation et la décision d’attribuer le marché à la société SNEF. Le règlement de la consultation (RC) prévoyait que « la note attribuée aux candidats sur le critère du prix reposait sur six prix correspondant aux quatre postes de prestations prévus au marché ». Plus précisément, comme le rapporte la décision ici commentée, la Ville avait prévu dans l’article 6.2 du RC « pour deux des postes de prestations, la note attribuée aux candidats selon le critère du prix était fondée sur l’application au bordereau des prix unitaires (BPU) fourni par les candidats d’un « Détail Quantitatif Estimatif (DQE), dit « chantier masqué », non publié et non communiqué aux candidats. (…) Ces DQE « chantiers masqués » comportent des articles et des prestations du Bordereau des Prix Unitaires (BPU) affectés de quantités. (…) A partir du BPU complété par lui, chaque candidat verra ses chantiers masqués reconstitués par l’Administration (…). Par contre l’Administration retiendra pour la notation du prix qu’un seul DQE « chantier masqué » qui demeurera sous pli cacheté jusqu’à l’ouverture des plis. Ce dernier sera tiré au sort au moment de l’ouverture des plis par le Représentant Légal du Pouvoir Adjudicateur […]». En définitive, plusieurs DQE correspondants à des « chantiers fictifs » étaient élaborés au regard du BPU transmis par les candidats au titre de leur offre, tandis que le DQE utilisé pour noter les offres était tiré au sort. 1 Dans un premier temps, la Haute Juridiction rappelle que « le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics » 1) CE 3 novembre 2014 commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362 : la formule de notation ne doit pas avoir pour conséquence de neutraliser la pondération des critères de sélection des offres. Il convient de préciser cependant que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres (voir en ce sens : CE 31 mars 2010 Collectivité territoriale de Corse, req. n° 334279 – CE 26 septembre 2012 Communauté d’agglomération Seine-Eure, req. n° 359706).. 2 En outre, le Conseil d’Etat ajoute sur la méthode des simulations employée au cas d’espèce que :

    « en effectuant, pour évaluer le montant des offres qui lui sont présentées, une « simulation » consistant à multiplier les prix unitaires proposés par les candidats par le nombre d’interventions envisagées, un pouvoir adjudicateur n’a pas recours à un sous-critère, mais à une simple méthode de notation des offres destinée à évaluer au regard du critère du prix, qu’il n’est donc pas tenu d’informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu’il aura recours à une telle méthode ; qu’il ne manque pas non plus à ses obligations de mise en concurrence en élaborant plusieurs commandes fictives et en tirant au sort, avant l’ouverture des plis, celle à partir de laquelle le critère du prix sera évalué, à la triple condition que les simulations correspondent toutes à l’objet du marché, que le choix du contenu de la simulation n’ait pas pour effet d’en privilégier l’aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s’en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation » 2) Sur les simulations, le Conseil d’Etat a déjà validé leur utilisation en jugeant notamment qu’« en procédant à cette simulation, qui était nécessaire à l’appréciation du critère du prix eu égard à la coexistence dans le marché litigieux de prix forfaitaires et de prix unitaires, le SYNDICAT MIXTE DE LA VALLEE DE L’ORGE AVAL a mis en œuvre une simple méthode de notation destinée à évaluer ce critère, sans modifier ses attentes définies dans le règlement de la consultation par les critères de sélection et donc sans poser un sous-critère assimilable à un critère distinct ; que, par suite, le SYNDICAT MIXTE DE LA VALLEE DE L’ORGE AVAL n’était nullement tenu d’informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu’il aurait recours à une telle méthode ; que, dès lors, la société Spie Ile-de-France Nord-Ouest n’est pas fondée à soutenir que le SYNDICAT MIXTE DE LA VALLEE DE L’ORGE AVAL, en procédant à cette simulation, a eu recours à des sous-critères qu’il ne pouvait, sans méconnaître le principe de transparence des procédures, omettre de mentionner dans les documents de la consultation » (CE 2 août 2011 syndicat mixte de la Vallée de l’Orge Aval, req. n° 348711). .

La Haute Juridiction pose ainsi trois conditions pour valider cette méthode :

    ► les simulations doivent correspondre à l’objet du marché, ► le choix du contenu de la simulation ne doit pas avoir pour effet d’en privilégier un aspect particulier qui aurait pour effet de dénaturer le critère du prix, ► le pouvoir adjudicateur doit employer la même méthode de simulation pour reconstituer le montant des offres proposées par chaque candidat.

Dès lors, le Conseil d’Etat conclut que le juge des référés a entaché son ordonnance d’une erreur de droit en jugeant que « en censurant le recours à une telle méthode de notation du critère du prix au seul motif que l’introduction du hasard dans la procédure de désignation du bénéficiaire du marché en litige, sous la forme de l’application des stipulations citées au point 4, avait nécessairement privé de leur portée les critères de sélection ou neutralisé leur pondération et induit, de ce fait, que la meilleure note ne soit pas nécessairement attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie, dès lors que le choix de l’attributaire ne résulte pas de l’analyse conduite par le pouvoir adjudicateur mais des résultats d’un tirage au sort aléatoire ». 3 Annulant l’ordonnance et jugeant l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, le Conseil d’Etat va juger, en l’espèce, que, contrairement à ce que soutenait la société requérante 3) Notamment la part de hasard qui aurait été introduite par le fait que les simulations étaient tirées au sort par le pouvoir adjudicateur, invoquant in fine la méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. :

    « le choix et l’utilisation d’une commande par tirage au sort réalisé avant l’ouverture des plis parmi plusieurs commandes fictives figurant sous pli cacheté pour valoriser les offres des candidats selon le critère du prix ne sont pas, par eux-mêmes, de nature à empêcher que l’offre économiquement la plus avantageuse soit choisie conformément aux dispositions de l’article 53 du CMP ».

La Ville a donc pu, sans méconnaitre ses obligations en terme de publicité et de mise en concurrence, en utilisant à cette méthode de notation consistant en une simulation basée sur des chantiers fictifs, et ce quand bien même les simulations utilisées par la Ville auraient été tirées au sort.

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1. CE 3 novembre 2014 commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362 : la formule de notation ne doit pas avoir pour conséquence de neutraliser la pondération des critères de sélection des offres. Il convient de préciser cependant que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres (voir en ce sens : CE 31 mars 2010 Collectivité territoriale de Corse, req. n° 334279 – CE 26 septembre 2012 Communauté d’agglomération Seine-Eure, req. n° 359706).
2. Sur les simulations, le Conseil d’Etat a déjà validé leur utilisation en jugeant notamment qu’« en procédant à cette simulation, qui était nécessaire à l’appréciation du critère du prix eu égard à la coexistence dans le marché litigieux de prix forfaitaires et de prix unitaires, le SYNDICAT MIXTE DE LA VALLEE DE L’ORGE AVAL a mis en œuvre une simple méthode de notation destinée à évaluer ce critère, sans modifier ses attentes définies dans le règlement de la consultation par les critères de sélection et donc sans poser un sous-critère assimilable à un critère distinct ; que, par suite, le SYNDICAT MIXTE DE LA VALLEE DE L’ORGE AVAL n’était nullement tenu d’informer les candidats, dans les documents de la consultation, qu’il aurait recours à une telle méthode ; que, dès lors, la société Spie Ile-de-France Nord-Ouest n’est pas fondée à soutenir que le SYNDICAT MIXTE DE LA VALLEE DE L’ORGE AVAL, en procédant à cette simulation, a eu recours à des sous-critères qu’il ne pouvait, sans méconnaître le principe de transparence des procédures, omettre de mentionner dans les documents de la consultation » (CE 2 août 2011 syndicat mixte de la Vallée de l’Orge Aval, req. n° 348711).
3. Notamment la part de hasard qui aurait été introduite par le fait que les simulations étaient tirées au sort par le pouvoir adjudicateur, invoquant in fine la méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.

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