Mise en compatibilité des PLU : une modification de l’aspect analytique du rapport de présentation après l’examen conjoint mais avant l’enquête publique ne nécessite pas la tenue d’une nouvelle réunion

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

March 2021

Temps de lecture

7 minutes

CE 24 février 2021 Commune de Cestas, req. n° 433084 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Par l’arrêt Commune de Cestas du 24 février 2021 mentionné aux tables du Recueil Lebon, le Conseil d’Etat a complété son édifice jurisprudentiel sur les irrégularités de procédure susceptibles d’entacher la légalité des documents d’urbanisme en distinguant comme l’y a invité sa rapporteure publique Marie Sirinelli, les aspects normatifs du projet des aspects analytiques des documents. Ceci à l’occasion de l’examen de la requête dirigée contre la délibération du 12 juillet 2016 par laquelle le conseil municipal de Cestas avait déclaré d’intérêt général un projet comprenant la construction de logements, et approuvé la mise en compatibilité du plan d’occupation des sols de la commune avec ce projet.

Dans le cas de la procédure de mise en compatibilité, les dispositions proposées pour assurer la mise en compatibilité du plan doivent faire l’objet d’un examen conjoint de l’Etat, de l’établissement public de coopération intercommunale compétent ou de la commune et des personnes publiques associées (PPA), conformément aux dispositions du 2° de l’article L. 153-54 du code de l’urbanisme citées par le Conseil d’Etat 1)La phase d’examen conjoint se tient également dans le cadre de la procédure de révision (article L. 153-34 du code de l’urbanisme)..

L’examen conjoint a lieu avant l’ouverture de l’enquête publique, à l’initiative de l’autorité chargée de la procédure, et le procès-verbal de la réunion d’examen conjoint est joint au dossier de l’enquête publique 2)Article R. 154-13 du code de l’urbanisme..

La question posée est celle de savoir si les modifications apportées au projet après l’examen conjoint mais avant l’enquête publique, nécessitent un nouvel examen conjoint avant l’ouverture de l’enquête publique.

Selon la grille de lecture posée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté, cela dépend de la teneur des modifications :

« (…) il appartient à une commune souhaitant modifier son projet de document d’urbanisme avant l’ouverture de l’enquête publique, dans l’hypothèse où le code de l’urbanisme prévoit un examen conjoint de l’Etat, de la commune et des personnes publiques associées à l’élaboration du document d’urbanisme, de prendre l’initiative d’une nouvelle réunion d’examen conjoint lorsque celle-ci est nécessaire pour que le procès-verbal de réunion figurant au dossier soumis à l’enquête publique corresponde toujours au projet modifié. Ainsi, une nouvelle réunion d’examen conjoint n’a, en principe, pas à être organisée en cas de compléments apportés au rapport de présentation du document d’urbanisme pour satisfaire aux exigences de l’évaluation environnementale en ce qui concerne la description et l’évaluation, prévue au 1° de l’article L. 104-4 du code de l’urbanisme cité au point 2, des incidences notables que peut avoir le document sur l’environnement ou l’exposé, prévu au 3° du même article, des raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l’environnement, parmi les partis d’aménagement envisagés, le projet a été retenu. ».

Au cas d’espèce, pour tenir compte des remarques formulées au cours de la réunion d’examen conjoint par les personnes publiques associées et des observations émises par l’autorité environnementale dans son avis du 21 mars 2016, la commune de Cestas avait fait établir un document intitulé ” addenda au rapport de présentation et évaluation environnementale “, comportant une série de réponses aux observations et complétant sur des éléments de fond le dossier de présentation de la mise en compatibilité du plan d’occupation des sols (lequel comprend notamment l’évaluation environnementale des dispositions nécessaires pour mettre en compatibilité le PLU reportées dans le rapport de présentation du document d’urbanisme qui, dans ce cas, comprend 1° une description et une évaluation des incidences notables que peut avoir le document sur l’environnement, 2° une présentation des mesures envisagées pour éviter, réduire et, dans la mesure du possible, compenser ces incidences négatives et enfin, 3° un exposé des raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l’environnement, parmi les partis d’aménagement envisagés, le projet a été retenu 3)Cf. dispositions combinées des articles L. 300-6, L. 104-4, L. 104-6 et R. 104-25 du code de l’urbanisme citées par le Conseil d’Etat., ainsi que le projet de document).

Selon la Cour administrative d’appel de Bordeaux, l’addenda comportait une série de réponses à ces observations s’appuyant sur des données réparties dans huit annexes que le commissaire-enquêteur a qualifiées de substantielles dans son rapport. Par conséquent, elle avait jugé que compte tenu de leur importance, ces éléments rendaient nécessaire une nouvelle consultation des personnes publiques associées, laquelle n’avait pourtant pas été organisée, privant ainsi le public de la garantie que constitue l’avis éclairé des PPA 4)Voir CE 23 décembre 2011 Danthony, req. n° 335033 : Publié au Rec. Lebon : énonçant le « principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; »..

Ce faisant, pour annuler la délibération litigieuse, la Cour avait fait application de la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle, d’une part, une commune qui souhaite modifier son projet de PLU en cours de révision avant l’ouverture de l’enquête publique pour tenir compte de l’avis rendu par une PPA doit de nouveau consulter l’ensemble des PPA afin que le dossier soumis à enquête comporte des avis correspondant au projet modifié et, d’autre part, l’omission de cette nouvelle consultation n’est toutefois de nature à vicier la procédure et à entacher d’illégalité la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information du public ou si elle a été de nature à exercer une influence sur cette décision 5)CE 26 février 2014 Société Gestion Camping Caravaning, req. n° 351202 : Mentionné aux T. Rec. Lebon. Dans cette espèce, il est jugé que l’absence d’une nouvelle consultation des PPA sur le projet de PLU modifié afin de tenir compte de l’avis d’une PPA émis lors d’une première consultation constitue une irrégularité de procédure entachant d’illégalité la décision prise à l’issue de l’enquête publique si cette omission a nui à l’information du public ou a été de nature à exercer une influence sur la décision ; toutefois, en l’espèce, le Conseil d’Etat n’annule pas la délibération attaquée dans la mesure où les modifications apportées à la suite de la consultation des PPA n’affectaient ni le projet de PLU dans son ensemble, ni la création de l’emplacement réservé n° 142, seule contestée par les requérants, ni des dispositions du plan qui en auraient été indivisibles..

Au vu de ce précédent, elle avait jugé, au cas d’espèce, qu’en l’absence de nouvelle consultation des PPA par la commune de Cestas, le public avait été privé d’une garantie.

C’est ce que censure le Conseil d’Etat en posant que, par principe, les modifications du rapport de présentation pour compléter, d’une part, la description et l’évaluation des incidences notables que le document pouvait avoir sur l’environnement et, d’autre part, les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de la protection de l’environnement, parmi les partis d’aménagement envisagés, le projet a été retenu, afin de satisfaire aux 1° et 3° de l’article L. 104-4 du code de l’urbanisme, n’imposent pas de procéder à un nouvel examen conjoint et ne sont donc pas constitutives d’une irrégularité de procédure.

Ainsi, le Conseil d’Etat a suivi les conclusions de sa rapporteure publique distinguant :

– les modifications du projet qui sont suivant la jurisprudence Société Camping Caravaning précitée dans la lignée de la jurisprudence Danthony 6)CE 23 décembre 2011 Danthony, req. n° 335033 : Publié au Rec. Lebon.  pour les modifications des aspects normatifs du projet

– et les modifications de l’aspect analytique portant sur le dossier soumis à l’enquête qui, sauf « hiatus manifeste » n’appellent pas une nouvelle consultation :

« A dire vrai, avant même l’étape de l’éventuelle « danthonysation », il nous semble qu’il ne serait pas déraisonnable que demeure un petit interstice permettant d’admettre l’absence de seconde consultation, en cas de modification si minime qu’elle serait manifestement sans effet sur l’adhérence entre l’avis versé au dossier de l’enquête publique et le projet. Mais, dans notre affaire, la question est un peu distincte, et consiste à se demander si cette approche uniforme peut connaître une modulation lorsque sont modifiés, non les aspects normatifs du projet, mais ses aspects plus analytiques. Certes, le rapport de présentation, dans lequel s’insère l’évaluation environnementale, remplit un rôle essentiel, et fait lui-même partie du document d’urbanisme. Mais il revêt un caractère plus informatif que prescriptif, qui nous paraît appeler une approche distincte. Il peut, en effet, utilement se voir nourri au gré des consultations, une telle évolution devant même être encouragée dans l’intérêt de la transparence du projet ensuite soumis à enquête publique. Pour éviter de figer le document, ou de créer un processus de consultations en boucle au fil de ses évolutions, une approche moins systématique que celle posée par votre décision de 2014 nous semble donc pouvoir être envisagée, a fortiori dans le cadre de la procédure allégée de l’examen conjoint.

Si vous nous suivez pour apporter ce complément à votre décision de 2014, restera à se demander quelle exigence précise doit guider la reconsultation dans cette hypothèse. Vous pourriez revenir au cadre plus classique, faisant dépendre l’obligation de solliciter un nouvel avis de l’importance des modifications apportées – c’est, en substance, ainsi que la cour semble avoir raisonné. Mais vous pourriez être tentés de rester, par symétrie, dans une approche plus simple, et considérer qu’à l’inverse de la situation où les dispositions normatives du projet sont modifiées, une modification des seuls aspects analytiques de l’évaluation environnementale (liés aux incidences des modifications sur l’environnement, ou aux raisons pour lesquelles le projet a été retenu7) n’appelle pas une nouvelle consultation – sauf modification si importante qu’elle créerait un hiatus manifeste entre l’avis émis par les personnes publiques associées et le projet.

Cette grille, si vous admettez de la suivre, appelle enfin deux précisions. D’une part, les modifications apportées aux mesures de compensation que peut prévoir, le cas échéant, l’évaluation environnementale nous semblent, du fait de leur nature plus prescriptive, devoir se ranger plus naturellement du côté du principe de la reconsultation. D’autre part, et enfin, ce cadre quelque peu assoupli, en matière de consultation, serait bien évidemment sans incidence sur les obligations des collectivités liées au caractère suffisant de l’évaluation environnementale, que vous contrôlez par ailleurs8.

Nous pouvons, pour terminer, en revenir à notre espèce, où seuls avaient été modifiés les aspects analytiques de l’étude. Si elle a relevé l’importance des ajouts, la cour s’est abstenue d’appliquer la grille plus resserrée que nous vous proposons. Son approche nous paraît donc entachée d’erreur de droit. Vous pourrez, en conséquence, annuler son arrêt, sans examiner les autres moyens du pourvoi. » 7)Conclusions Marie Sirinelli sous l’arrêt commenté..

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1. La phase d’examen conjoint se tient également dans le cadre de la procédure de révision (article L. 153-34 du code de l’urbanisme).
2. Article R. 154-13 du code de l’urbanisme.
3. Cf. dispositions combinées des articles L. 300-6, L. 104-4, L. 104-6 et R. 104-25 du code de l’urbanisme citées par le Conseil d’Etat.
4. Voir CE 23 décembre 2011 Danthony, req. n° 335033 : Publié au Rec. Lebon : énonçant le « principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; ».
5. CE 26 février 2014 Société Gestion Camping Caravaning, req. n° 351202 : Mentionné aux T. Rec. Lebon. Dans cette espèce, il est jugé que l’absence d’une nouvelle consultation des PPA sur le projet de PLU modifié afin de tenir compte de l’avis d’une PPA émis lors d’une première consultation constitue une irrégularité de procédure entachant d’illégalité la décision prise à l’issue de l’enquête publique si cette omission a nui à l’information du public ou a été de nature à exercer une influence sur la décision ; toutefois, en l’espèce, le Conseil d’Etat n’annule pas la délibération attaquée dans la mesure où les modifications apportées à la suite de la consultation des PPA n’affectaient ni le projet de PLU dans son ensemble, ni la création de l’emplacement réservé n° 142, seule contestée par les requérants, ni des dispositions du plan qui en auraient été indivisibles.
6. CE 23 décembre 2011 Danthony, req. n° 335033 : Publié au Rec. Lebon. 
7. Conclusions Marie Sirinelli sous l’arrêt commenté.

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