Nature administrative d’un contrat de cession de biens du domaine privé d’une personne publique en raison de clauses exorbitantes du droit commun

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

July 2016

Temps de lecture

5 minutes

TC 6 juin 2016 Commune d’Aragnouet c/ Commune de Vignec, req. n° C4051

Le Tribunal des conflits précise dans quelle mesure une convention amiable passée entre deux communes de montagne portant sur la cession d’une partie du domaine immobilier privé de l’une, en échange de divers avantages, revêt un caractère administratif ou de droit privé.

Le contexte de l’affaire

Plus précisément, et dans le cadre de la création de la station de sports d’hiver « Piau-Engaly » sur le territoire de la commune d’Aragnouet, l’arrêté de déclaration d’utilité publique avait dressé la liste des immeubles à acquérir. Figuraient sur cette liste des terrains appartenant en indivision aux communes de Cadheilhan Trachères et de Vignec.

Par convention du 25 août 1970, la commune de Vignec avait cédé l’ensemble de ses parts sur ces terrains à la commune d’Aragnouet. En échange, la commune de Vignec avait obtenu divers avantages en nature :

    – le versement annuel d’une « subvention de trois mille francs » représentant le montant des impôts fonciers dus par la commune de Vignec au titre des terrains dont elle restait propriétaire sur le territoire de sa voisine ;
    – des facilités offertes à ses habitants : pacage de leurs animaux en été, accès à certains emplois réservés, tarifs préférentiels pour l’usage des remontées mécaniques de la station ;
    – le versement par la commune d’Aragnouet d’une redevance annuelle représentant 3 % du montant des recettes brutes des remontées mécaniques 1) Selon les précisions apportées par le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire..

Saisi d’une demande d’indemnisation résultant de la résiliation de cette convention par la commune d’Aragnouet, le tribunal administratif de Pau a décidé que la résiliation de la convention obligeait la commune d’Aragnouet à racheter à la commune de Vignec la « rente foncière » que constituait pour elle le versement annuel d’une fraction du montant des recettes des remontées mécaniques et d’autres avantages en nature et ordonné avant-dire droit une expertise destinée à évaluer le montant précis de ce rachat. C’est de ce contentieux dont était saisie la cour administrative d’appel de Bordeaux lorsqu’elle s’est interrogée sur sa compétence et a souhaité s’assurer que la convention ne relevait pas du seul droit privé.

La solution de l’arrêt

Le Tribunal des conflits commence par rappeler « que si le contrat portant cession par une commune de biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est, en principe, un contrat de droit privé, y compris lorsque l’acheteur est une autre personne publique, l’existence d’une ou plusieurs clauses impliquant dans l’intérêt général qu’il relève d’un régime exorbitant de droit public confère cependant à ce contrat un caractère administratif ».

Ce faisant, il met en œuvre la nouvelle définition de la clause exorbitante de droit commun formulée dans sa décision du 13 octobre 2014 : constitue une clause exorbitante du droit commun celle « qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs » 2) TC 13 octobre 2014 SA AXA France IARD, req. n° C3963..

Le Tribunal des conflits examine alors les caractéristiques de la convention litigieuse et conclut que ses clauses impliquaient dans l’intérêt général que cette convention relève du « régime exorbitant des contrats administratifs » et, donc, ressortit à la compétence de la juridiction administrative :

    « Considérant que les clauses de la convention du 25 août 1970 prévoyant notamment, en contrepartie de la cession de parts sur des biens relevant du domaine privé de la commune de Vignec, cédante, une garantie accordée au vendeur de ne pas supporter le coût des impôts fonciers pour les biens conservés, des garanties accordées aux habitants de Vignec d’acheter ou de louer des biens immobiliers sur le territoire de la commune d’Aragnouet à des conditions privilégiées, ainsi que l’accès à des “emplois réservés” et le bénéfice de conditions préférentielles d’utilisation du service des remontées mécaniques, impliquaient dans l’intérêt général que cette convention relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; qu’il en résulte que le juge administratif, compétent pour connaître de la légalité d’un tel contrat et de ses clauses, est ainsi compétent pour connaître du litige né de sa résiliation ».

Dans ses conclusions, le rapporteur public apporte quelques précisions supplémentaires : il explique tout d’abord que « la commune d’Aragnouet ne pouvait ou ne voulait pas acquitter le prix de la cession et avait donc accepté deux conditions manifestement exorbitantes du droit commun pour parvenir au plus vite au résultat souhaité :

    à titre tout à fait dérogatoire, s’agissant de la cession de droits immobiliers, […] la convention du 25 août 1970 ne portait aucune indication du prix correspondant aux parts indivises des terrains cédés » ;
    de manière tout aussi dérogatoire la commune d’Aragnouet a consenti, sans limite de durée clairement indiquée, une liste d’avantages en nature pour les habitant de Vignec et concédé deux indemnités forfaitaires annuelles lourdes pour ses propres finances ».

Afin de démontrer que les critères de la décision « SA AXA France IARD » précitée sont remplis (clause qui implique, dans l’intérêt général, que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs), le rapporteur public relève que la notion d’intérêt général « colore déjà activement la convention » : les terrains cédés par la commune de Vignec sont affectés directement à l’usage du public de la station « Piau-Engaly » et sont, en période hivernale, dédiés à cet usage unique. En outre, les pistes constituant le domaine skiable directement issues des terrains cédés peuvent être considérées comme affectées à un service public sportif et de loisir.

Il considère que la commune est engagée sur « des termes incertains et lointains qui s’apparentent tous à des clauses exorbitantes de droit commun » (fiscalité locale mise à contribution sous la forme d’une quasi-exemption de taxe foncière, ressources tirées de l’exploitation des remontées mécaniques prélevées à la source au seul profit de la cédante qui ne participe pas à l’entretien ni au renouvellement des équipements, avantages personnels qui « pleuvent sur les citoyens de Vignec » etc.).

Le rapporteur public opère enfin une comparaison avec la décision « Commune de Bourisp c/ Commune de Saint-Lary-Soulan » 3) TC 15 novembre 1999, req. n° 03144. qui portait sur des faits quasiment identiques (la création de la station de sports d’hiver « Saint-Lary »), et dans laquelle les privilèges accordés à l’une des communes était bien plus modestes, ce qui n’a pas empêché le Tribunal des conflits de conclure à la compétence de la juridiction administrative.

Pour ces différentes raisons, il conclut que l’« on voit mal, dès lors, dans la logique de votre analyse de 1999, que ces clauses particulièrement exorbitantes des lois civile et commerciales ordinaires puissent être soumises à un autre juge que le juge administratif ».

La nécessité d’une analyse au cas par cas

Cette décision peut, enfin, être utilement rapprochée d’une autre décision du Tribunal des conflits, en date du 4 juillet 2016, portant sur la même problématique de qualification d’un contrat de cession de biens du domaine privé 4) TC 4 juillet 2016 Société Générim c/ Commune de Marseille, req. n° C4052.

Dans cette dernière affaire, qui portait sur un litige lié à une demande de remboursement d’une avance versée à l’occasion de l’engagement d’acquérir un terrain relevant du domaine privé communal sous la condition de construire un hôtel et de maintenir cette affectation pendant 10 ans, le tribunal des conflits n’a, en revanche, identifié aucune clause impliquant, dans l’intérêt général, que le contrat de vente y afférent relève du régime des contrats administratifs 5) « Considérant que le contrat par lequel une personne publique cède des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est en principe un contrat de droit privé, sauf si le contrat a pour objet l’exécution d’un service public ou s’il comporte des clauses qui impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; Considérant que la vente des terrains, fût-elle conditionnée à la réalisation d’un hôtel dans le cadre de l’aménagement du quartier du Vieux-Port de Marseille, n’a pas pour objet l’exécution d’un service public ; que ni les clauses par lesquelles celui-ci s’engage, sous une condition résolutoire, à construire un hôtel exploité sous l’enseigne Hilton, à maintenir la destination de l’immeuble pendant dix ans et à le revendre dans un délai de six mois à un sous acquéreur reprenant l’obligation d’affectation ni aucune autre clause n’impliquent, dans l’intérêt général, que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; qu’il s’ensuit que la demande de remboursement de l’avance versée en exécution du contrat du 30 mai 1994 ressortit à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire »..

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References   [ + ]

1. Selon les précisions apportées par le rapporteur public dans ses conclusions sur cette affaire.
2. TC 13 octobre 2014 SA AXA France IARD, req. n° C3963.
3. TC 15 novembre 1999, req. n° 03144.
4. TC 4 juillet 2016 Société Générim c/ Commune de Marseille, req. n° C4052
5. « Considérant que le contrat par lequel une personne publique cède des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est en principe un contrat de droit privé, sauf si le contrat a pour objet l’exécution d’un service public ou s’il comporte des clauses qui impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; Considérant que la vente des terrains, fût-elle conditionnée à la réalisation d’un hôtel dans le cadre de l’aménagement du quartier du Vieux-Port de Marseille, n’a pas pour objet l’exécution d’un service public ; que ni les clauses par lesquelles celui-ci s’engage, sous une condition résolutoire, à construire un hôtel exploité sous l’enseigne Hilton, à maintenir la destination de l’immeuble pendant dix ans et à le revendre dans un délai de six mois à un sous acquéreur reprenant l’obligation d’affectation ni aucune autre clause n’impliquent, dans l’intérêt général, que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; qu’il s’ensuit que la demande de remboursement de l’avance versée en exécution du contrat du 30 mai 1994 ressortit à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ».

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