Obligation pour le mandataire de maîtrise d’ouvrage de communiquer aux tiers les documents administratifs qui ont été produits ou reçus dans l’exercice de son mandat avant l’achèvement de sa mission

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2022

Temps de lecture

5 minutes

CE 25 mai 2022 Société Spie Batignolles Ile-de-France, req. n° 450003 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Une société a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande d’annulation de la décision implicite de refus issue du silence du mandataire de maîtrise d’ouvrage quant à la demande qu’elle avait formulée afin que lui soit communiqué « les rapports d’activité mensuels, les rapports aux différentes phases d’étude et les comptes rendus trimestriels relatifs à l’état d’avancement de l’opération qu’[le mandataire de maîtrise d’ouvrage] a adressés au maître d’ouvrage, l’ensemble des rapports ou comptes rendus de réunions entre [le mandataire de maîtrise d’ouvrage] et la maîtrise d’œuvre, l’ensemble des rapports ou comptes rendus de réunions en sa possession entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, l’ensemble des correspondances en lien avec les retards d’exécution du chantier entre [le mandataire de maîtrise d’ouvrage] et la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’œuvre, l’ensemble des correspondances en sa possession en lien avec les retards d’exécution du chantier entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, ainsi que l’ensemble des avenants conclus entre [le mandataire de maîtrise d’ouvrage] et le maître d’ouvrage et, s’ils étaient en sa possession, entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre ».

La demande a d’abord été rejetée par le juge du tribunal administratif de Strasbourg, qui avait estimé que la mission assurée par la société mandataire de la maîtrise d’ouvrage n’était pas une mission de service public et qu’en conséquence, celle-ci n’était pas concernée par l’obligation de communication des documents administratifs prescrite par les articles L. 300-2 et L. 311-1  du code des relations entre le public et l’administration.

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un pourvoi en cassation.

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Tout d’abord, le juge du Palais-Royal, fidèle à sa jurisprudence APREI de 2007 1)CE 22 février 2007 APREI, req. n° 264541, rappelle qu’une personne privée peut toujours être regardée comme assurant une mission de service public lorsque la loi est muette sur ce sujet, quand, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparait bien que l’administration avait voulu lui confier une mission de cette nature :

« Indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public. Même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission »

Sur ce point, la Haute Juridiction considère que le juge de première instance a commis une erreur de droit : il avait en effet écarté toute mission de service public et s’était borné à retenir que le département n’avait pas confié à la société mandataire de prérogatives de puissances publiques. Or, le juge aurait dû regarder si, dans le cas où la société mandataire était dépourvue de ces prérogatives, cette dernière ne devait pas pour autant être regardée comme assurant une mission de service public.

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Au fond, selon  le Conseil d’Etat, il résulte de l’article L. 2422-10 du code de la commande publique 2)L. 2422-10 du code de la commande publique qui prévoit que le mandataire représente le maitre d’ouvrage à l’égard des tiers dans l’exercice des attributions qui lui ont été confiées et que cette représentation s’exerce jusqu’à ce que le maître d’ouvrage ait constaté l’achèvement de la mission du mandataire dans les conditions définies par le contrat (jusqu’à réception du « quitus »), que le mandataire de la maitrise d’ouvrage d’une des personnes mentionnées à l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration 3)L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration , agissant en son nom et pour le compte de cette personne, doit communiquer aux tiers les documents administratifs qu’il aura produits ou reçus dans le cadre de l’exercice de son mandat, jusqu’à l’achèvement de sa mission de mandataire.

Le Conseil d’Etat estime en outre que les documents sollicités (et rappelés ci-dessus) par la société requérante « se rapportent tous à l’exécution de marchés publics et ont, par suite, le caractère de documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Ils sont donc communicables.

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En outre, le mandataire de la maîtrise d’ouvrage faisait valoir que les documents demandés n’étaient pas communicables au motif que la communication pourrait porter atteinte au déroulement d’une procédure d’expertise relative aux causes de retard dans l’opération de réhabilitation ainsi qu’au déroulement d’une procédure relative au séquestre des documents concernés ordonné par un juge judiciaire.

Sur ce point, le Conseil d’Etat revient sur la portée de l’exception au principe de communication prévue par l’article L. 311-5-2°-f) du CRPA s’agissant des documents dont la communication pourrait porter atteinte au déroulement d’une procédure engagée devant une juridiction et considère que :

« aux termes du f) du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ». Il résulte de ces dispositions, eu égard à l’exigence de transparence imposée aux personnes mentionnées par l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration, que la seule circonstance que la communication d’un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle, ou qu’un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d’une instance engagée devant elle, ne fait pas obstacle à la communication par les personnes précitées de ces documents ou des documents qui leur sont préparatoires. En revanche, pour assurer le respect tant du principe constitutionnel d’indépendance des juridictions, qui découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, résultant des articles 12, 15 et 16 de cette Déclaration, le législateur a entendu exclure la communication des documents administratifs, sauf autorisation donnée par l’autorité judiciaire ou par la juridiction administrative compétente dans l’hypothèse où cette communication risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives de cette autorité ou de cette juridiction ».

Toutefois, en l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la communication à la société requérante des documents demandés n’est pas, ici, de nature à empiéter sur les compétences et prérogatives d’un juge chargé du suivi de l’expertise. S’agissant de la procédure de séquestre, le juge du Palais-Royal considère que cette procédure porte sur d’autres documents que ceux relatifs à l’opération de réhabilitation dont la société a demandé la communication.

Par conséquent, le Conseil d’Etat conclut à l’annulation de la décision par laquelle la société mandataire qui agit au nom et pour le compte du département, a refusé que soient communiquées à la société requérante ces différents comptes rendus, rapport, correspondances et avenants cités ci-dessus. Par suite, le Conseil d’Etat annule le jugement du tribunal administratif de Strasbourg et enjoint à la société mandataire de communiquer sous astreinte ces documents à la requérante.

 

 

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