Point de départ du déféré préfectoral en cas de permis de construire tacite délivré postérieurement au retrait d’une décision de refus

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2020

Temps de lecture

7 minutes

CE 5 février 2020 SCI de l’Aire et du Cros, req. n°426160 : mentionné aux tables du Rec. CE.

Par une décision du 5 février 2020, mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat précise le point de départ du délai du déféré préfectoral dans l’hypothèse où un permis de construire est tacitement délivré à la suite du retrait d’une précédente décision refusant le permis de construire sollicité.

1           Contexte du pourvoi

Par une décision du 29 décembre 2014, le maire de la commune de Cazevieille, commune de l’Hérault, a refusé de délivrer à la SCI de l’Aire et du Cros le permis de construire qu’elle sollicitait, afin de régulariser la construction d’une maison d’habitation réalisée en méconnaissance d’un précédent permis de construire délivré en 2006.

Le 7 avril 2015, le maire de la commune a retiré cette décision de refus.

Le 13 avril 2015, la SCI de l’Aire et du Cros a renouvelé sa demande de permis de construire et a obtenu, le 14 juin 2015, un permis de construire tacite, pour lequel le maire lui a délivré un certificat le 30 juillet 2015.

Le 18 septembre 2015, le préfet de l’Hérault a formé un recours gracieux contre cette décision tacite du 14 janvier 2015.

Par une décision en date du 16 novembre 2015, le maire de la commune a rejeté ce recours gracieux.

Le 7 janvier 2016, le préfet de l’Hérault a alors déféré au tribunal administratif de Montpellier la décision du 14 juin 2015 par laquelle le maire de Cazevieille a tacitement délivré le permis de construire à la SCI de l’Aire et du Cros.

Par un jugement en date du 21 septembre 2016, le tribunal administratif de Montpellier a fait droit au déféré préfectoral et a annulé le permis de construire.

Par un arrêt en date du 9 octobre 2018, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par la SCI de l’Aire et du Cros contre ce jugement.

C’est dans ce contexte que la SCI de l’Aire et du Cros a formé un pourvoi tendant à l’annulation de cet arrêt.

2          Décision du Conseil d’Etat

Après avoir rappelé les modalités de détermination du point de départ du déféré préfectoral en cas de permis de construite tacite (2.1), le Conseil d’Etat précise le point de départ de ce délai dans l’hypothèse où le permis de construire est tacitement délivré à la suite du retrait d’une première décision de refus (2.2).

2.1        Rappel des modalités de détermination du point de départ du déféré en cas de permis de construire tacite

S’agissant des autorisations d’urbanisme explicites, le délai de deux mois dont dispose le représentant de l’Etat pour exercer un déféré commence logiquement à courir à la date à laquelle l’acte soumis au contrôle de légalité est reçu en préfecture. Ce principe jurisprudence clairement établi est régulièrement rappelé par le Conseil d’Etat 1)Voir par exemple : CE 11 mai 1987 Commune de Boran-sur-Oise, req. n°70763 : Mentionné aux tables du Rec. CE et CE 6 juillet 2007 Commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, req. n°298744..

En revanche, la détermination du point de départ de ce délai est moins évidente lorsque l’autorisation d’urbanisme est délivrée de manière implicite, du seul fait de l’expiration du délai dont dispose l’autorité compétente pour statuer sur la demande 2)En application de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme..

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat rappelle, dans un premier considérant, les principes applicables en la matière :

« En premier lieu, dans le cas de la délivrance tacite d’un permis de construire, la commune est réputée avoir effectué la transmission prévue par l’article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales si le maire a, conformément aux dispositions de l’article R. 423-7 du code de l’urbanisme, transmis au préfet l’entier dossier de demande. Le délai dans lequel doit s’exercer le déféré prévu par l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l’hypothèse où la commune ne satisfait à l’obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la réception de cette transmission par le préfet. »

Le Conseil d’Etat retranscrit ici les grandes lignes de sa décision du 17 décembre 2014 Ministre de l’Egalité des territoires et du logement, dans le cadre de laquelle, il a pour la première fois eu l’occasion de s’interroger sur le point de départ du déféré en cas de permis de construire délivré de manière tacite 3)CE 17 décembre 2014 Ministre de l’Egalité des territoires et du logement, req. n°373681 : Mentionné aux tables du Rec. CE..

Dans une décision en date du 22 octobre 2018, le Conseil d’Etat a rappelé la nécessité que l’entier dossier de demande soit transmis au préfet pour que le délai du déféré commence à courir et a précisé que si la commune invite le pétitionnaire à compléter son dossier, la transmission au préfet de l’entier dossier implique que la commune lui transmette les pièces complémentaires éventuellement reçues en réponse à cette invitation 4)CE 22 octobre 2018 Commune de Sierra-di-Ferro, req. n°400779 : Mentionné aux tables du Rec. CE ayant fait l’objet d’un article sur notre blog..

2.2       Le point de départ du déféré préfectoral contre un permis de construire tacitement délivré après le retrait d’une première décision de refus

Dans un deuxième considérant, le Conseil d’Etat précise les modalités de détermination du point de départ du délai de déféré préfectoral dans l’hypothèse où le pétitionnaire obtient un permis de construire tacite postérieurement à une décision de retrait d’un refus.

Son raisonnement se déroule en trois temps.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat indique que le retrait par l’autorité compétente d’une décision de refus d’un permis de construire ne rend pas le pétitionnaire titulaire d’un permis de construire tacite. Il précise que l’autorité compétente reste néanmoins saisie de la demande et qu’elle doit donc procéder à une nouvelle instruction. En revanche, afin de faire courir le délai à l’issue duquel le pétitionnaire est titulaire d’une décision implicite d’acceptation, ce dernier doit confirmer sa demande. Le délai d’instruction commencera alors à courir à compter de la date de sa confirmation.

A ce sujet, le Conseil d’Etat a, en effet, déjà eu l’occasion de juger que l’annulation par le juge de l’excès de pouvoir de la décision qui a refusé de délivrer un permis de construire, ou qui a sursis à statuer sur une demande de permis de construire, impose à l’administration, qui demeure saisie de la demande, de procéder à une nouvelle instruction de celle-ci, sans que le pétitionnaire ne soit tenu de la confirmer. En revanche, un nouveau délai de nature à faire naître une autorisation tacite ne commence à courir qu’à dater du jour de la confirmation de sa demande par l’intéressé 5)CE 23 février 2017 SARL Côte d’Opale, req. n°395274 : Mentionné aux tables du Rec. CE – CE 28 décembre 2018 Association VTMA, req. n°402321 : Mentionné aux tables du Rec. CE ayant fait l’objet d’un article sur notre blog. .

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat transpose cette solution dans le cas où la décision de refus du permis de construire est retirée par l’administration.

Ensuite, le Conseil d’Etat poursuit son raisonnement en indiquant que pour l’application de l’article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales, qui impose aux communes de transmettre au représentant de l’Etat les actes soumis au contrôle de légalité, la commune doit informer le préfet de la confirmation de sa demande par le pétitionnaire en lui indiquant sa date de réception.

Enfin, après avoir rappelé les obligations incombant au pétitionnaire et à la commune, le Conseil d’Etat vient préciser le point de départ du délai de deux mois dans lequel le représentant de l’Etat peut exercer un déféré préfectoral en indiquant que :

« Le délai de deux mois imparti au préfet par les dispositions de l’article L. 2131-6 du même code court alors, sous réserve que le préfet soit en possession de l’entier dossier de demande, à compter de la date du permis tacite si le préfet a eu connaissance de la confirmation de la demande avant la naissance du permis. Dans le cas contraire, sous la même réserve que le préfet soit en possession de l’entier dossier de demande, le délai court à compter de la date à laquelle le préfet est informé par la commune de l’existence du permis tacite, soit par la transmission du certificat délivré le cas échéant par le maire en application de l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme, soit par la transmission, postérieurement à la naissance du permis, de la confirmation de sa demande par le pétitionnaire. »

Ainsi, il résulte de la décision commentée que le délai de deux mois dont dispose le préfet pour exercer un déféré contre un permis de construire tacite, faisant suite à une décision de retrait d’un refus, court à compter de la date de sa délivrance, sous réserve que :

  • le préfet soit en possession de l’entier dossier de demande ;
  • le préfet ait eu connaissance de la confirmation de la demande du pétitionnaire avant la naissance du permis de construire.

Si le représentant de l’Etat n’a pas eu connaissance de la confirmation avant la naissance du permis de construire, mais qu’il est en possession de l’entier dossier de demande, le délai du déféré commence à courir à la date à laquelle le préfet est informé par la commune de l’existence de ce permis tacite, c’est-à-dire :

  • soit à la date de la transmission par la commune du certificat délivré au pétitionnaire sur le fondement de l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme, attestant qu’il est titulaire d’un permis de construire tacite ;
  • soit à la date de la transmission de la confirmation de la demande du pétitionnaire.

En l’espèce, le Conseil d’Etat constate que le préfet de l’Hérault n’a pas eu connaissance de l’existence de la confirmation de la pétitionnaire avant la délivrance tacite du permis de construire intervenue le 14 juin 2015.

Dans ces conditions, il estime que le juge d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que le délai du déféré préfectoral avait commencé à courir, non pas à la date de délivrance du permis de construire tacite mais à la date postérieure à laquelle le représentant de l’Etat a eu pour la première fois communication de la demande de la société pétitionnaire.

En revanche, la Haut juridiction administrative reproche aux juges du fond d’avoir considéré que la confirmation de la demande de la SCI de l’Aire et du Cros avait été communiquée au préfet le 24 août 2015. Elle constate que la commune a reconnu avoir transmis la confirmation au préfet à cette date mais que ces indications ne figuraient pas dans ses mémoires.

Le Conseil d’Etat juge ainsi que l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille est entaché de dénaturation et l’annule pour ce motif. L’affaire est renvoyée devant cette même cour.

 

 

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References   [ + ]

1. Voir par exemple : CE 11 mai 1987 Commune de Boran-sur-Oise, req. n°70763 : Mentionné aux tables du Rec. CE et CE 6 juillet 2007 Commune de Saint-Paul-Trois-Châteaux, req. n°298744.
2. En application de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme.
3. CE 17 décembre 2014 Ministre de l’Egalité des territoires et du logement, req. n°373681 : Mentionné aux tables du Rec. CE.
4. CE 22 octobre 2018 Commune de Sierra-di-Ferro, req. n°400779 : Mentionné aux tables du Rec. CE ayant fait l’objet d’un article sur notre blog.
5. CE 23 février 2017 SARL Côte d’Opale, req. n°395274 : Mentionné aux tables du Rec. CE – CE 28 décembre 2018 Association VTMA, req. n°402321 : Mentionné aux tables du Rec. CE ayant fait l’objet d’un article sur notre blog.

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