Point pratique maître d’ouvrage : la prescription de l’action en responsabilité des constructeurs en l’absence de réception

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2025

Temps de lecture

3 minutes

CE 30 décembre 2024 CCI de l’Orne, req. n° 491818 : mentionné aux T. du Rec. CE

Le vent siffle aux oreilles de la chambre d’agriculture de l’Orne, maître d’ouvrage d’une opération de travaux.

En 2009, celle-ci a conclu un marché public de travaux pour remplacer ses fenêtres. Les travaux n’ont jamais pu être réceptionnés, les occupants des immeubles concernés ayant fait état de violentes nuisances sonores provoquées par l’infiltration du vent.

Une expertise judiciaire a été ordonnée et la chambre d’agriculture de l’Orne a finalement demandé au juge administratif la condamnation solidaire de son entreprise de travaux et du prestataire de celle-ci , sur le fondement de leurs responsabilités contractuelle pour la première et quasi-délictuelle pour la seconde. Les juges du fond ont rejeté ses conclusions, en jugeant notamment que l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage contre son titulaire était prescrite. La chambre d’agriculture de l’Orne et la nouvelle chambre d’agriculture de rattachement région Normandie créée entre temps se sont pourvues en cassation.

Par une décision mentionnée au Tables du 30 décembre 2024, le Conseil d’Etat complète sa jurisprudence sur l’articulation entre les différentes actions en responsabilité ouvertes au maître d’ouvrage contre les constructeurs et leur délai de prescription.

Il rappelle d’abord que la prescription civile quinquennale 1)article 2224 du code civil s’applique à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Ce délai court en principe à compter de la réception ou, lorsqu’elle n’a pas été prononcée (ce qui est le cas ici), à compter de la manifestation du dommage, c’est-à-dire à compter de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, quand bien même le responsable ne serait pas encore déterminé à cette date 2)CE 20 novembre 2020 société Suez Eau France, req. n° 427450 : mentionné aux T. du Rec. CE.

Le Conseil d’Etat rappelle ensuite que, conformément à la jurisprudence établie 3)CE 7 décembre 2015 commune de Bihorel, req. n° 380419 : au Rec. CE, le maître d’ouvrage peut dans le cas où la responsabilité du ou de ses cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n’a pas conclu de contrat de louage d’ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d’un contrat conclu avec l’un des constructeurs.

Cependant, il précise que lorsque la prescription quinquennale applicable à l’action en responsabilité contractuelle qu’il pouvait exercer contre son constructeur est acquise, le maître d’ouvrage ne peut plus mettre en cause la responsabilité quasi-délictuelle du sous-traitant.

Autrement dit, le régime de prescription de la responsabilité quasi-délictuelle du sous-traitant dépend du sort de la prescription (acquise ou pas) de la responsabilité contractuelle du cocontractant : pour se prémunir de ce risque, il faut donc que les maîtres d’ouvrage engagent une action sur le fondement de la responsabilité délictuelle à l’égard des sous-traitants avant le délai de 5 ans applicable à l’action contractuelle qui pourrait être engagée à l’égard des constructeurs.

Dans ses conclusions (suivies) sous la décision, le rapporteur public explique le motif de cette solution :

« Il faut, à cet égard, vous rappeler que, si vous avez ouvert cette voie d’action subsidiaire au maître d’ouvrage, c’est pour corriger un effet collatéral négatif pour ce dernier de l’unification de la compétence juridictionnelle pour connaître des litiges nés de l’exécution d’un marché de travaux publics. (…)

L’action directe du maître d’ouvrage contre le sous-traitant, ouverte par la jurisprudence Commune de Bihorel, est donc une action subsidiaire, conçue pour ne pas concurrencer la voie d’action normale, dirigée contre le cocontractant du maître d’ouvrage. Et, en conditionnant l’ouverture de cette action à ce que la responsabilité du cocontractant ne puisse pas être utilement recherchée, vous avez entendu viser les cas où le cocontractant, par exemple, aurait disparu ou serait insolvable, c’est-à-dire les cas où l’inutilité de l’action contractuelle du maître d’ouvrage résulte d’une cause qui lui est extérieure. Mais vous n’avez certainement pas entendu que le maître d’ouvrage qui, par choix ou par négligence, s’est fermé l’action dont il disposait contre le titulaire du marché, puisse alors bénéficier d’une « session de rattrapage » contre le sous-traitant. » (soulignements ajoutés)

Cette solution confirme en l’espèce le raisonnement des juges du fond.

Le Conseil d’Etat considère que la chambre d’agriculture a eu connaissance de l’étendue de son dommage de manière suffisamment certaine depuis le 22 février 2010, date à laquelle elle a disposé d’un PV de constat d’huissier précis, en dépit des opérations d’expertise réalisées ultérieurement. C’est donc le point de départ de la prescription quinquennale applicable à l’action en responsabilité contractuelle contre son titulaire de marché et, par voie de conséquence, à l’action en responsabilité quasi-délictuelle contre le sous-traitant.

Les pourvois sont rejetés en l’espèce, car la prescription était acquise.

 

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