Pollution de l’air : le Conseil d’Etat ordonne au Gouvernement d’agir, sous astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard

Catégorie

Droit administratif général, Environnement

Date

July 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 10 juillet 2020 Association les Amis de la Terre France et autres, req. n° 428409 : publié au recueil Lebon

Par un arrêt du 10 juillet 2020, faisant suite à une première décision du 12 juillet 2017 enjoignant à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour garantir la qualité de l’air dans treize zones du territoire, le Conseil d’Etat a décidé d’infliger à l’État une astreinte de 10 millions d’euros par semestre tant qu’il n’aura pas pris les mesures qui lui ont été ordonnées.

Dans son communiqué de presse du même jour 1)Conseil d’Etat, Communiqué de Presse, « Le Conseil d’État ordonne au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air, sous astreinte de 10 M€ par semestre de retard », 10 juillet 2010, la Haute juridiction souligne l’importance de cette décision en rappelant que :

  • L’arrêt a été rendu par la formation la plus solennelle du Conseil d’Etat, l’Assemblée du contentieux ;
  • Et que le montant de l’astreinte est le plus élevé jamais retenu par une juridiction administrative française à l’encontre de l’Etat.

1           Rappel du cadre juridique applicable à la pollution de l’air

La directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe prévoit que les Etats membres doivent établir des zones afin d’évaluer et de gérer la qualité de l’air ambiant.

Les Etats membres doivent en particulier veiller à ce que, dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations :

  • les niveaux de particules fines PM10 dans l’air ambiant ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile et 50 µg/m3 par jour plus de 35 fois par année civile ;
  • les niveaux de dioxyde d’azote ne dépassent pas 40 µg/m3 en moyenne par année civile, au plus tard à compter du 1er janvier 2010.

En cas de dépassement de ces valeurs limites, les Etats membres doivent établir des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant « des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible ».

Les dispositions de cette directive ont été transposées en droit interne aux articles L. 221-1 et suivants et R. 221-1 et suivants du code de l’environnement.

2          La carence de l’Etat dans la lutte contre la pollution de l’air

2.1        La multiplication des contentieux relatifs à la pollution de l’air    

La décision du Conseil d’Etat du 10 juillet 2020 s’inscrit dans un contexte de multiplication des contentieux climatiques et fait surtout suite à plusieurs jugements de tribunaux administratifs ayant rendu des décisions constatant la carence fautive de l’Etat en matière de pollution atmosphérique.

Ainsi par exemple, par un jugement du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a admis que la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée en raison de l’insuffisance des plans relatifs à la qualité de l’air en Ile-de-France 2)TA Paris 4 juillet 2019 Mme N, req. n° 1709333. Plus récemment, le tribunal administratif de Lille a reconnu la carence fautive de l’Etat en matière de pollution atmosphérique 3)TA Lille 9 janvier 2020 Mme Sandrine Rousseau, req. n° 1709919.

2.2       La constatation de la carence fautive de l’Etat par le Conseil d’Etat

2.2.1     Le Conseil d’Etat a été saisi le 26 octobre 2015 par une requête de l’association « Les Amis de la Terre » de la question de la responsabilité de l’Etat dans la mise en œuvre de moyens de lutte contre la pollution de l’air.

L’engagement de cette responsabilité par le Conseil d’Etat s’est effectué en deux temps : par un arrêt du 12 juillet 2017 puis, trois ans plus tard, par l’arrêt du 10 juillet 2020.

Tout d’abord, dans sa décision du 12 juillet 2017 4)CE 12 juillet 2017 Association les Amis de la Terre, req. n° 394254, le Conseil d’Etat a enjoint au Premier ministre et aux ministres concernés de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en œuvre, dans 13 zones du territoire, des plans relatifs à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de les transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

2.2.2    Ensuite, par une requête du 2 octobre 2018, 68 associations de défense de l’environnement ont demandé au Conseil d’État de constater que les mesures nécessaires n’avaient pas été mises en œuvre par le Gouvernement et de prononcer, en conséquence, une astreinte pour le contraindre à exécuter cette décision.

Dans son arrêt du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat constate :

  • que les valeurs limites de pollution demeurent supérieures aux valeurs limites dans 9 zones (Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le dioxyde d’azote, Fort-de-France pour les particules fines, et Paris pour le dioxyde d’azote et les particules fines) ;
  • que si, pour l’exécution de la décision du 12 juillet 2017, le Gouvernement a adopté quatorze feuilles de route, transmises à la Commission européenne le 19 avril 2018, ces documents ne comportent pas d’estimation de l’amélioration de la qualité de l’air résultant de ces feuilles de routes, ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation des objectifs qui y sont fixés ;
  • et que s’agissant en particulier du plan de l’atmosphère d’Ile de France, adopté le 31 janvier 2018, celui-ci retient l’année 2025 comme objectif pour revenir en deçà des valeurs limites de concentration en NO2 et en particules fines PM10. Or, il n’est pas démontré que cette date de 2025 peut être regardée comme permettant de respecter l’exigence que la période de dépassement de ces valeurs limites soit la plus courte possible.

Le Conseil d’Etat en conclut que « les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d’établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible ».

La Haute juridiction en déduit naturellement que « l’Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète de cette décision ».

2.3       Le prononcé de l’astreinte

2.3.1     En conséquence, le Conseil d’Etat décide d’infliger à l’État une astreinte de 10 millions d’euros par semestre tant qu’il n’aura pas pris les mesures qui lui ont été ordonnées. L’Etat dispose cependant d’un nouveau délai de six mois puisque cette astreinte commencera à courir à l’issu de ce délai si les mesures nécessaires n’ont pas été prises.

Dans son communiqué de presse du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat précise que cette somme est le montant le plus élevé jamais imposé pour contraindre l’Etat à exécuter une décision prise par le juge administratif.

Ce montant considérable est justifié au regard :

  • du temps écoulé depuis l’intervention de la décision du 12 juillet 2017 ;
  • de l’importance qui s’attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l’Union européenne ;
  • de la gravité des conséquences du défaut partiel d’exécution en termes de santé publique ;
  • et de l’urgence particulière qui en découle.

Cette astreinte pourra être révisée à la hausse si la décision du 12 juillet 2017 n’a pas été pleinement exécutée.

2.3.2    S’agissant des destinataires de l’astreinte, l’article L. 911-8 du code de justice administrative prévoit que la juridiction peut décider qu’une part de l’astreinte ne sera pas versée au requérant. Dans ce cas, cette part est affectée au budget de l’Etat.

En l’espèce, dans son arrêt du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat indique que ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer lorsque l’Etat est débiteur de l’astreinte en cause.

La Haute juridiction juge ainsi pour la première fois que cette somme pourra être versée aux associations requérantes mais également à des personnes publiques disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport avec la qualité de l’air ou à des personnes privées à but non lucratif menant des actions d’intérêt général dans ce domaine.

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References   [ + ]

1. Conseil d’Etat, Communiqué de Presse, « Le Conseil d’État ordonne au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air, sous astreinte de 10 M€ par semestre de retard », 10 juillet 2010
2. TA Paris 4 juillet 2019 Mme N, req. n° 1709333
3. TA Lille 9 janvier 2020 Mme Sandrine Rousseau, req. n° 1709919
4. CE 12 juillet 2017 Association les Amis de la Terre, req. n° 394254

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