Pratiques anticoncurrentielles dans une procédure de mise en concurrence : la CJUE précise la date à laquelle l’infraction prend fin

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2021

Temps de lecture

5 minutes

CJUE 14 janvier 2021 Kilpailu- ja kuluttajavirasto, affaire C-450/19

Par un arrêt C-450/19 du 14 janvier 2021, en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour administrative suprême de Finlande, la Cour de justice de l’Union européenne a été conduite à préciser la portée du premier paragraphe de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), plus particulièrement au regard de la date à laquelle prend fin la participation supposée d’une entreprise à une infraction à cet article, consistant à candidater à un appel d’offres après s’être concertée avec ses concurrents. La détermination de cette date revêt une importance particulière, dès lors qu’elle conditionne la computation du délai de prescription applicable aux sanctions destinées à réprimer une telle infraction.

1           Une pratique d’entente dans le cadre d’un appel d’offres

En avril 2007, l’entreprise Fingrid Oyj, propriétaire du réseau de transport d’électricité à haute tension en Finlande, a publié un appel d’offres en vue de la construction d’une ligne de transport d’électricité. L’appel d’offres précisait que les offres devaient être déposées au plus tard le 5 juin 2007, et que l’entreprise qui serait retenue devrait avoir achevé les travaux le 12 novembre 2009. L’entreprise Eltel a soumissionné le 4 juin 2007 et a été retenue, le contrat étant signé deux semaines plus tard. Comme l’appel d’offres le prévoyait, les travaux ont été achevés le 12 novembre 2009 et Fingrid a versé à Eltel le 7 janvier 2010 le solde de la rémunération qui était prévue au titre des travaux en cause. Il est apparu par la suite que la procédure de passation avait été entachée de pratiques anticoncurrentielles, Eltel et l’un de ses concurrents, la société Empower, s’étant concertés sur le prix de leurs offres respectives. Si les deux sociétés avaient présenté des offres distinctes, le prix afférent à chacun de ces offres avait fait l’objet de concertations entre les deux entreprises.

Alertée sur cette entente, l’Autorité de la concurrence finlandaise avait recommandé au tribunal des affaires économiques de prononcer une amende contre Eltel. Cette demande a été toutefois rejetée au motif que la prescription était acquise, le droit finlandais prévoyant qu’il ne peut s’écouler plus de cinq ans entre la date à laquelle l’infraction a pris fin et la demande de sanction formée par l’Autorité de la concurrence auprès du tribunal des affaires économiques.  Le refus opposé par ce tribunal ayant été frappé d’un pourvoi devant la Cour administrative suprême de Finlande, celle-ci a décidé avant dire droit de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.

2         La question préjudicielle soulevée devant la CJUE

Cette question préjudicielle était destinée à ce que les juges de Luxembourg interprètent l’article 101 du TFUE en spécifiant la durée pendant laquelle l’infraction à cette stipulation était constituée, et en précisant en particulier la date à laquelle l’infraction avait cessé, cette date conditionnant la computation du délai de prescription dans l’hypothèse où – comme c’est le cas en Finlande – le droit national prévoit qu’au terme d’un certain nombre d’années  la prescription est acquise, en l’absence de poursuites.

Plusieurs dates étaient à cet égard envisageables :

  • la date à laquelle l’entreprise dépose son offre ;
  • la date de signature du contrat par le pouvoir adjudicateur ;
  • celle du complet achèvement de l’objet du contrat ;
  • celle du règlement définitif des sommes dues par le pouvoir adjudicateur.

A cet égard, l’Autorité de la concurrence finlandaise ainsi que les gouvernements d’Etats membres de l’Union ayant formulé des observations à l’instance (Finlande, Allemagne et Lettonie) invitaient la Cour à retenir une date aussi tardive que possible, en faisant valoir que la restriction de concurrence, en tant qu’elle met à la charge du pouvoir adjudicateur un prix plus élevé que celui qui aurait résulté du libre jeu du marché, induit des conséquences négatives au détriment du pouvoir adjudicateur ainsi que des clients ou usagers sur lesquels il répercute ses coûts.

3         La solution retenue par la CJUE

A titre liminaire, la Cour a rappelé que la notion de « pratique concertée » proscrite par l’article 101 paragraphe 1er du CFUE « vise une forme de concertation entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence » 1)CJUE 26 janvier 2017 Duravit e.a. / Commission, affaire C-609/13, point 70. La Cour a rappelé en outre que l’article 101 du TFUE s’oppose « à toute prise de contact, directe ou indirecte, entre les opérateurs économiques de nature soit à influer sur le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à tenir soi-même sur le marché ou que l’on envisage d’adopter sur celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet une restriction de la concurrence » 2)CJUE 26 janvier 2017 Duravit e.a. / Commission, affaire C-609/13, point 72. Les juges de Luxembourg ont également souligné que les atteintes à la concurrence les plus graves sont celles qui portent sur la répartition de la clientèle ou sur les accords relatifs aux prix 3)CJUE 16 juillet 2015 ING Pensii, affaire C-172/14, point 32.

La CJUE a estimé que les faits retenus à l’encontre d’Eltel étaient bien de nature à constituer une restriction de concurrence apte à être sanctionnée sur le fondement de l’article 101 du TFUE. Elle a également jugé que l’infraction « couvre toute la période pendant laquelle cette entreprise a mis à exécution l’accord anticoncurrentiel qu’elle avait conclu avec ses concurrents, ce qui inclut la période pendant laquelle l’offre à prix fixe que ladite entreprise a soumise était en vigueur ou était susceptible d’être transformée » 4)CJUE 14 janvier 2021 Kilpailu- ja kuluttajavirasto, affaire C-450/19, Point 32 en contrat définitif entre Eltel et le pouvoir adjudicateur.  La cour a donc considéré que les effets restrictifs de concurrence « disparaissent, en principe, au plus tard au moment où les caractéristiques essentielles du marché, et notamment le prix global à payer en contrepartie des biens, des travaux ou des services faisant l’objet du marché ont été définitivement déterminées, le cas échéant, par la conclusion du contrat » 5)CJUE 14 janvier 2021 Kilpailu- ja kuluttajavirasto, affaire C-450/19, Point 35. La Cour a relevé à ce titre que c’est en principe à la date de la signature du contrat que le pouvoir adjudicateur est « définitivement privé de la possibilité d’obtenir les biens, les travaux ou les services en cause aux conditions normales du marché » 6)CJUE 14 janvier 2021 Kilpailu- ja kuluttajavirasto, affaire C-450/19, Point 35.

La CJUE a donc suivi les conclusions de l’avocat général Giovanni Pitruzzella 7)Conclusions de l’avocat général en jugeant que l’infraction à l’article 101 du TFUE devait être regardée comme ayant pris fin à la date de dépôt de l’offre illicite ou, si l’offre est retenue, à la date à laquelle est signé le contrat entre l’entreprise et le pouvoir adjudicateur. La date du contrat ne vaut toutefois que pour autant que celui-ci ait fixé les caractéristiques essentielles du marché en cause, et notamment le prix global devant être payé par le pouvoir adjudicateur. Il en résulte que, faute pour le contrat d’avoir précisé les caractéristiques essentielles du marché, l’infraction sera réputée se poursuivre aussi longtemps que le prix global n’aura pas lui-même été définitivement fixé.

La Cour a pris soin de préciser que la solution ainsi retenue ne vaut que pour les sanctions propres aux atteintes à la concurrence, prises au titre de la méconnaissance de l’article 101 du TFUE, mais qu’elle ne fait pas obstacle à ce que les autres opérateurs économiques ayant subi un préjudice – notamment par l’application de tarifs plus élevés – en demandent réparation devant le juge national.

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