Précisions sur l’appel en garantie du constructeur dans le cadre d’un référé provision résultant de dommages de travaux publics à un tiers

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 27 avril 2021 Eurométropole de Strasbourg et Sté SMACL Assurances, req. n° 436820 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par son arrêt Eurométropole de Strasbourg rendu le 27 avril 2021, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la responsabilité du maître d’ouvrage et de l’entrepreneur chargé de travaux publics lors de dommages causés un tiers. Les juges de cassation se sont ensuite intéressés à la garantie du maître d’ouvrage après la réception des travaux.

Dans cette affaire, l’Eurométropole de Strasbourg avait confié les travaux relatifs à l’extension du réseau de chauffage urbain à un groupement solidaire dont la société auxiliaire des distributions d’eau (ci-après « SADE ») était le mandataire.

Durant l’exécution des travaux, alors que des opérations de pompage dus à la présence d’une grande quantité d’eau au fond d’une tranchée étaient en cours, une artère bétonnée enterrée en sous-sol s’est effondré. Cette artère abritait une liaison haute-tension exploitée par la société électricité de Strasbourg.

La société Strasbourg électricité réseau, venant aux droits de la société électricité de Strasbourg, a introduit un référé provision sur le fondement de l’article R.541-1 du code de justice administrative (ci-après : « CJA »). La société requérante demandait la condamnation solidaire de la SADE et de l’Eurométropole de Strasbourg à lui verser la somme de 498 527,13 EUR à titre de provision du dommage subi. Le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a condamné la SADE à verser une provision de 430 547,66 EUR à la requérante et l’Eurométropole de Strasbourg à garantir intégralement la SADE des provisions accordées.

La cour administrative d’appel de Nancy, dans un arrêt du 3 décembre 2019 a porté le montant de la provision à 497 801,82 EUR et a maintenu la position du tribunal administratif s’agissant de la garantie. L’Eurométropole de Strasbourg et son assureur, la société mutuelle d’assurance des collectivités locales (ci-après : « SMACL Assurances ») ont formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat contre cet arrêt.

Le Conseil d’Etat, après avoir examiné l’existence d’une obligation non sérieusement contestable (1), a examiné les conditions de la garantie du maître d’ouvrage en matière de dommage de travaux publics (2).

1.          L’existence d’une obligation non sérieusement contestable

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord le régime juridique du référé provision, à savoir l’article R.541-1 du CJA :

« Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. […] »

Il rappelle également que le maître de l’ouvrage est responsable des dommages causés par des travaux publics sauf à ce que ce dernier démontre l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute de la victime. De plus, les juges de cassation précisent que les tiers victimes ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Cette position est une adaptation aux dommages de travaux publics de sa jurisprudence sur les dommages causés par les ouvrages publics au sens large 1)CE 10 avril 2019, Compagnie nationale du Rhône, req. n° 411961.

Et, la Haute Juridiction juge que lorsqu’il n’est pas contestable que le dommage accidentel causé à un tiers est imputable à l’exécution de travaux publics, les tiers peuvent se prévaloir d’une obligation non sérieusement contestable pour obtenir une provision dans le cadre d’un référé provision.

Ainsi, les juges ont validé la position de la cour administrative de Nancy en ce qu’elle a rejeté les demandes de l’Eurométropole de Strasbourg qui n’a pas établi l’existence d’une faute de gravité suffisante de la société requérante. Dès lors, le Conseil d’Etat confirme l’existence d’une obligation non sérieusement contestable ouvrant droit à l’octroi d’une provision pour la société Strasbourg électricité réseaux.

2.          La garantie du maître d’ouvrage en matière de dommage de travaux publics

Premièrement, le Conseil d’Etat rappelle sa jurisprudence selon laquelle le constructeur, mis en cause par un tiers victime d’un dommage dû à l’exécution de travaux publics, peut appeler en garantie le maître d’ouvrage dès lors que la réception des travaux à l’origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ni de la garantie décennale 2)CE 6 février 2019, Fives Solios, req. n° 414064. Cet appel en garantie est néanmoins subordonné à l’absence de clause contractuelle contraire et à l’absence de manœuvre frauduleuses ou dolosives lors de la réception des travaux.

Les juges de cassation précisent ensuite que cet appel en garantie est possible quand bien même le constructeur n’a pas fait de réserve concernant ce litige au décompte général du marché devenu définitif.

En l’espèce, les travaux d’extension du réseau de chauffage urbain ont été réceptionnés et les réserves levées. De plus, la SADE avait accepté le décompte général du marché de travaux. Ainsi, le Conseil d’Etat confirme la position de la cour administrative d’appel de Nancy qui avait jugé que ce décompte définitif ne fait pas obstacle à l’appel en garantie de la société SADE dès lors que le dommage est lié aux travaux publics qu’elle a réalisé.

Deuxièmement, le Conseil d’Etat valide la position de la cour administrative d’appel en ce qu’elle a considéré que la mention au procès-verbal de réception des travaux stipulant que le constructeur était toujours responsable des dommages survenant pendant ou après la réception des travaux n’était pas applicable aux dommages antérieurement à la réception.

Enfin, dans un troisième temps, le Conseil d’Etat rappelle que l’article L.2131-10 du code général des collectivités territoriales n’a pas pour conséquence de limiter les effets de l’acte de réception des travaux. Ainsi, la cour administrative d’appel de Nancy a eu raison d’affirmer que c’est à bon droit que la SADE pouvait être intégralement garantie par l’Eurométropole de Strasbourg.

Estimant qu’aucun des moyens de l’Eurométropole de Strasbourg et de son assureur n’était fondé, le Conseil d’Etat rejette donc le pourvoi.

 

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