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CE 13 décembre 2024 M.B et SCI Le Château de Balanzac, req. n° 470383 : mentionné aux tables du Rec. CE.
A l’occasion du recours contre un projet de réhabilitation d’une ancienne dépendance d’un château charentais, classé monument historique, le Conseil d’Etat a précisé les contours de la notion d’intérêt personnel permettant de se prononcer sur le point de savoir si un maire doit être considéré comme « intéressé » à un projet faisant l’objet d’une demande d’autorisation d’urbanisme ; ce qui le rend incompétent pour délivrer l’autorisation.
Il faut rappeler qu’aux termes de l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme, le maire au nom de la commune est l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire dans les communes qui se sont dotées d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu.
Par exception, en application de l’article L. 422-7 du code de l’urbanisme :
« Si le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale est intéressé au projet faisant l’objet de la demande de permis ou de la déclaration préalable, soit en son nom personnel, soit comme mandataire, le conseil municipal de la commune ou l’organe délibérant de l’établissement public désigne un autre de ses membres pour prendre la décision. »
Au cas présent, les requérants soutenaient que le maire était incompétent pour délivrer le permis en raison (i) d’un lien de parenté avec un cogérant de la société pétitionnaire (le maire étant prétendument son oncle), (ii) d’un lien avec l’autre cogérant colistière lors des précédentes élections municipales et (iii) du fait qu’il soit gérant d’une société propriétaire d’un bâtiment voisin et d’une partie du chemin d’accès aux deux propriétés. A leur sens, ces éléments étaient suffisants pour démontrer un « doute légitime » sur l’intérêt du maire.
Toutefois, le Conseil d’Etat a refusé cette invitation du pourvoi, sur le fondement de la jurisprudence Association Nartecs 1)CE 6 avril 2018 Association Nature, aménagement réfléchi, territoire, environnement, culture sauvegardés (NARTECS), req. n° 402714 : mentionné dans les tables du Rec. CE.
Voir sur ce point : La régularisation lors d’une instance en cours d’un permis de construire délivré par un maire intéressé et la révision d’un document d’urbanisme pour prendre en compte le projet, qui jugeait que le déport du maire peut être légal en cas d’un doute légitime sur son intérêt au projet. Comme le souligne la rapporteure publique, la solution contraire aurait étendu le droit commun des conflits d’intérêt au droit des conflits d’intérêt en matière de délivrance des autorisations individuelles d’urbanisme, ce qui ne constitue pas la portée conférée à cet arrêt 2)Maïylis Lange, rapporteure publique, conclusions sous CE 13 décembre 2024 M.B et SCI Le Château de Balanzac, req. n° 470383: mentionné aux tables du Rec. CE..
Ainsi, les juges du Palais-Royal ont préféré repréciser la portée de la jurisprudence Association Nartecs et considéré que :
« Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme que le maire est l’autorité compétente pour délivrer les autorisation d’urbanisme, au nom de la commune, dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu. Il appartient ainsi en principe au maire, sans préjudice de la mise en œuvre des délégations qu’il peut accorder dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales ou de l’application des règles de suppléance, de prendre les décisions correspondantes, sauf à ce qu’il soit intéressé, à titre personnel ou comme mandataire, au projet faisant l’objet de la demande d’autorisation ou qu’il estime pouvoir être légitimement regardé comme étant intéressé à ce projet, ces circonstances conduisant alors le conseil municipal, conformément à l’article L. 422-7 du code de l’urbanisme, à désigner un autre de ses membres pour prendre la décision. » (point n° 8)
A cet égard, la rapporteure publique concluait que, pour juger de la responsabilité du conseil municipal de désigner un signataire en lieu et place du maire intéressé, en application de l’article L. 422-7 du code de l’urbanisme, « l’analyse du conflit d’intérêt doit être objective » 3)Maïylis Lange, rapporteure publique, conclusions sous CE 13 décembre 2024 M.B et SCI Le Château de Balanzac, req. n° 470383: mentionné aux tables du Rec. CE. : le doute légitime est insuffisant.
En définitive, certes, le doute légitime peut fonder le déport d’un maire intéressé à un projet d’urbanisme. Mais, pour soutenir la méconnaissance de l’article L. 422-7 du code de l’urbanisme, et partant l’incompétence du maire, c’est bien l’intérêt direct et personnel du maire au projet qui doit être établi, en dépit des circonstances de l’espèce de nature à créer un doute légitime.
En l’occurrence, le Conseil d’Etat, considérant que les juges d’appel avaient souverainement apprécié les faits, n’ont pas retenu d’erreur sur leur qualification juridique.
En s’inscrivant dans la jurisprudence classique, cette solution ne peut que rassurer les édiles des petites collectivités. En effet, comme le souligne la rapporteure publique, une évolution tendant à reconnaitre un intérêt personnel du maire dès la présence de soupçons, et non d’un conflit d’intérêt avéré, n’aurait fait que contraindre la bonne administration de près de la moitié des communes françaises.
References
1. | ↑ | CE 6 avril 2018 Association Nature, aménagement réfléchi, territoire, environnement, culture sauvegardés (NARTECS), req. n° 402714 : mentionné dans les tables du Rec. CE.
Voir sur ce point : La régularisation lors d’une instance en cours d’un permis de construire délivré par un maire intéressé et la révision d’un document d’urbanisme pour prendre en compte le projet |
2, 3. | ↑ | Maïylis Lange, rapporteure publique, conclusions sous CE 13 décembre 2024 M.B et SCI Le Château de Balanzac, req. n° 470383: mentionné aux tables du Rec. CE. |