Précision sur les vices de nature à faire obstacle à la poursuite de l’exécution d’une concession

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

5 minutes

CE 12 avril 2021 Ile de Sein Energies, req. n° 436663 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par sa décision Ile de Sein Energies rendue le 12 avril 2021, le Conseil d’Etat s’est prononcée sur les conséquences de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence dans le cadre du recours d’un tiers en contestation du refus de mettre fin à l’exécution d’un contrat administratif.

Dans cette affaire, le Syndicat Départemental d’Energie et d’Equipement du Finistère (ci-après : « SDEF ») a conclu avec Electricité de France (ci-après : « EDF »), le 2 mars 1993, une convention de concession pour le service public de la distribution d’énergie électrique pour une durée de 30 ans. Par un avenant du 4 juin 1993, le champ d’application territorial de cette convention a été étendue à l’Ile de Sein.

Le 2 novembre 2016, la société Ile de Sein Energies (ci-après « IDSE ») a demandé au SDEF qu’il soit mis fin à l’exécution de la convention de concession conclue avec EDF en ce qui concerne le périmètre de l’Ile de Sein. Elle demandait en outre que lui soit « transféré » la convention de concession sur l’île.

Le 14 février 2017, le SDEF a rejeté cette demande au motif qu’EDF possède un droit d’exclusivité sur la gestion du réseau de distribution de l’île.

La société IDSE a demandé au tribunal administratif de Rennes de constater l’illégalité de la convention en ce qui concerne le périmètre de l’Ile de Sein et de mettre fin à son exécution. Le tribunal administratif a rejeté cette demande par un jugement du 5 novembre 2018. La société demandeuse a interjeté appel devant la cour administrative de Nantes. Dans un arrêt du 11 octobre 2019 1)CAA de Nantes 11 octobre 2019 Ile de Sein Energies, req. n° 19NT00073, la cour administrative d’appel a rejeté l’appel de la société. La société a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé le cadre juridique de l’affaire (1), a examiné si la poursuite de l’exécution de la convention était manifestement contraire à l’intérêt général (2) et si les règles de mise en concurrence avaient été violées (3).

  • Rappel du cadre juridique applicable au litige

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord le régime juridique des concessions de distribution d’électricité, tant au niveau européen avec l’article 24 de la directive 2009/72/CE 2)Directive 2009/72/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE que national avec l’article L. 111-52 du code de l’énergie.

Ensuite le Conseil d’Etat rappelle le cadre juridique du recours en résiliation du contrat ouvert aux tiers devant le juge du contrat, dégagé dans l’arrêt SMPAT du 30 juin 2017 3)  CE 30 juin 2017 SMPAT, req. n° 398445, publié au recueil Lebon :

« Un tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l’appui de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ou encore de ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général. A cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général. En revanche, ils ne peuvent se prévaloir d’aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu’ils le sont par le représentant de l’Etat dans le département ou par les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut. »

Cette jurisprudence, désormais classique, est le complément  du célèbre arrêt Tarn et Garonne 4)CE 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req n° 358994, Publié au recueil Lebon.

  • L’absence d’atteinte manifeste a l’interet géneral

Le Conseil d’Etat rappelle que la directive 2009/28/CE 5)Directive 2009/28/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE invite, à son article 16, les états membres à tenir compte des progrès dans le domaine de la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelable dans le développement de leurs réseaux électriques.

En l’espèce, la société IDSE affirmait, à la lecture combinée de l’article 16 de la directive et des motifs de celle-ci, que ces objectifs environnementaux imposaient qu’il soit mis fin à l’exécution de la convention « compte tenu de l’incidence environnementale de la production électrique sur l’île de Sein par Electricité de France ».

La Haute Juridiction répond que la directive ne fixait que des objectifs aux états membres et que les motifs d’une directive n’ont pas valeur contraignante. Les juges considèrent ensuite que ces objectifs ne constituent un motif d’intérêt général imposant la résiliation de la convention que si la poursuite de son exécution fait « évidemment et immédiatement obstacle à ce que l’Etat puisse se conformer aux obligations du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne ». Or, en l’espèce, la société requérante n’établit pas que cette convention constitue un obstacle à la réalisation de ces objectifs. Ainsi, IDSE ne pouvait pas demander la résiliation de la convention litigieuse.

La société requérante arguait par ailleurs que le défaut d’entretien convenable et la gestion « dispendieuse » du réseau de l’île par EDF étaient de nature à rendre manifestement contraire à l’intérêt général la poursuite de l’exécution de la convention. Mais, faute de preuves suffisantes, le Conseil d’Etat rejette aussi la demande de la société IDSE sur ce fondement

  • L’absence de violation des règles de mise en concurrence

La société requérante affirmait que la convention litigieuse avait été attribuée en violation des règles de de mise en concurrence. Elle arguait notamment du fait que les droits exclusifs dont bénéficient EDF, sans limitation de durée, pour la gestion du service public de distribution d’électricité dans les zones interconnectées au réseau urbain ne respectent pas le traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après : « TFUE ») et la directive 2009/72/CE 6)  Ibid..

Premièrement, le Conseil d’Etat rappelle que la directive précédemment cité n’était pas applicable lors de la conclusion de la concession pour le service public de la distribution d’énergie électrique en 1993.

Deuxièmement, les juges de cassation jugent que si la méconnaissance des règles de mise en concurrence peut effectivement être invoquée dans le cadre du recours d’un tiers contestant la validité d’un contrat, celle-ci ne peut pas, en l’absence de circonstances particulières, faire obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat :

« si la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence peut, le cas échéant, être utilement invoquée à l’appui d’un référé précontractuel d’un concurrent évincé ou du recours d’un tiers contestant devant le juge du contrat la validité d’un contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, cette méconnaissance n’est en revanche pas susceptible, en l’absence de circonstances particulières, d’entacher un contrat d’un vice d’une gravité de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office »

Le Conseil d’état ne donne, ici, pas plus d’éléments sur ce qu’il faut entendre par « circonstances particulières ». En l’espèce, la société requérante n’en ayant pas invoqué, sa demande est rejetée.

Cette solution semble être une conséquence directe de la jurisprudence Tarn-et-Garonne, précédemment citée 7) Note n° 4, qui a ouvert aux tiers un recours en contestation de validité du contrat dans un délai de deux mois et au soutien duquel il leur est possible d’invoquer des irrégularités commises lors de passation dudit contrat. Or, le recours des tiers devant le juge du contrat contre la décision de refus de l’administration de résilier le contrat, ouvert par la jurisprudence SMPAT précédemment citée 8)Note n° 3, ne doit pas être une « deuxième chance » ouverte au requérant d’exercer un recours en contestation de validité du contrat.

Estimant qu’aucun des moyens de la société IDSE n’était fondé, le Conseil d’Etat a donc rejeté le pourvoi.

 

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