Résiliation pour motif d’intérêt général d’une concession : l’indemnité due au concessionnaire correspond à la valeur nette comptable des biens de retour

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2020

Temps de lecture

6 minutes

CE 27 janvier 2020 Toulouse Métropole, req n° 422104 : mentionné aux Tables du Rec. CE

La commune de Saint-Orens a conclu le 19 septembre 1991 une convention de délégation de service public (DSP) de distribution d’eau et d’assainissement avec la société Orennaise de services, pour une durée de 29 ans s’achevant le 30 septembre 2020.

La société Lyonnaise des Eaux France a succédé à la société Orennaise de services à la suite du rachat de la concession, approuvé par un avenant conclu le 16 novembre 2000, et la communauté urbaine du Grand Toulouse a succédé, par transfert de compétences, à la commune de Saint-Orens.

Par une délibération du 16 décembre 2010, la communauté urbaine a approuvé la résiliation anticipée du contrat de concession à compter du 1er janvier 2013 et la reprise en gestion directe des services de l’eau et de l’assainissement.

La société Lyonnaise des Eaux France a formé une requête devant le tribunal administratif de Toulouse afin que la communauté urbaine du Grand Toulouse, devenue Toulouse Métropole, soit condamnée à l’indemniser du préjudice causé par cette résiliation de la DSP.

Par un jugement du 16 juin 2015 1)TA Toulouse 16 juin 2015, req. n° 1100327, 1101372, 1302203, le tribunal administratif de Toulouse a condamné Toulouse Métropole à verser à la société Lyonnaise des Eaux France la somme de 1 493 000 euros au titre des investissements non amortis à la date de résiliation. Toulouse Métropole a fait appel de ce jugement, mais par un arrêt du 9 mai 2018 2)CAA Bordeaux 9 mai 2018, req. n° 15BX02770, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté son appel et porté le montant de sa condamnation à la somme de 2 015 000 euros.

C’est à l’encontre de cet arrêt que Toulouse Métropole a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

1

Les juges du Palais Royal devaient répondre à la question suivante, qui est loin d’être nouvelle : lorsqu’une collectivité publique résilie une concession de service public, comment se calcule l’indemnité due au concessionnaire du fait du préjudice résultant pour lui du retour gratuit des biens de retour dans le patrimoine de la collectivité publique ?

Les biens de retour sont ceux qui, parce qu’ils sont nécessaires au fonctionnement du service public et afin de garantir la continuité de son exécution, appartiennent, dans le silence de la convention, dès leur acquisition ou leur réalisation à la personne publique.

Par sa décision d’Assemblée du 21 décembre 2012 Commune de Douai 3)CE 21 décembre 2012 Commune de Douai, req. 342788 : Publié au Rec. CE, le Conseil d’Etat a rappelé que ces biens, ayant toujours été la propriété de la personne publique, font nécessairement retour à celle-ci gratuitement au terme normal de la convention.

La Haute Juridiction a également précisé, par sa décision Syndicat mixte de chauffage urbain de la Défense 4)CE 26 février 2016 Syndicat mixte de chauffage urbain de la Défense, req n° 384424 : Mentionné dans les Tables du Rec. CE ; voir également le commentaire de cet arrêt publié sur le blog Adden du 26 février 2016 que la qualification de bien de retour ne se perdait pas au fil du temps. Dès lors qu’un bien a été nécessaire au fonctionnement du service concédé à un moment quelconque de l’exécution de la convention, il est un bien de retour devant réintégrer le patrimoine de la personne publique à l’expiration de la concession, alors même qu’il ne serait plus nécessaire au service public concédé à ce moment-là.

Plus récemment encore, par sa décision de Section Ministre de l’intérieur c/ Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye du 29 juin 2018 5)CE Sect. 29 juin 2018 Ministre de l’intérieur c/ Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye, req. n° 402251 : Publié au Rec. CE ; voir également le commentaire de cet arrêt publié sur le blog Adden, le Conseil d’Etat a étendu le régime des biens de retour aux biens dont le concessionnaire était propriétaire avant la conclusion de la concession. Ainsi, les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont des biens de retour même s’ils ont été acquis par le concessionnaire avant la signature du contrat de concession.

2

Le retour gratuit de tels biens dans le patrimoine de l’autorité concédante dimensionne l’équilibre des offres économiques proposées par les concessionnaires, qui déterminent les conditions de financement de ces investissements en tenant compte de la durée contractuelle de leur exploitation et de leur amortissement possible.

Le juge considère depuis longtemps que le terme anticipé d’un contrat de concession, y compris si ce terme intervient de manière anticipée en raison d’une faute du concessionnaire 6)CE 27 février 1935 Sté des eaux Courtenay : Rec. CE. p. 256., implique que l’autorité concédante verse au concessionnaire une indemnité calculée « d’après l’importance des capitaux investis dans l’entreprise et non encore amortis » qui font retour gratuit à la personne publique 7)CE 5 juillet 1967 commune de Donville-les-Bains Manche, req. n° 60931 : publié au Rec. CE..

Le Conseil d’Etat rappelle ainsi clairement cette règle :

« le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit en raison du retour des biens nécessaires au fonctionnement du service public à titre gratuit dans le patrimoine de cette collectivité, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement » 8)Conclusions de Gilles Pélissier, rapporteur public, dans CE 27 janvier 2020 Toulouse Métropole, req. n° 422104 : Mentionné aux Tables du Rec. CE

L’intérêt de cet arrêt réside dans les réponses claires et précises que les juges du Palais Royal ont apportées aux deux questions posées par Toulouse Métropole sur les conditions de calcul de ce préjudice :

  • D’une part, l’amortissement qu’il convient de prendre en compte pour le calcul de l’indemnisation des biens de retour est-il économique ou comptable ?
  • D’autre part, en cas de durée excessive irrégulière du contrat, le terme du contrat est-il celui fixé par les parties ou celui qui aurait dû résulter de l’application de dispositions législatives ou réglementaires ?

Toulouse Métropole soutenait à l’appui de son pourvoi que, dans le cas de la concession de Saint-Orens, les biens nécessaires au fonctionnement du service public étaient économiquement – et non comptablement – amortis à la date de résiliation de la convention, de sorte que ce retour gratuit, bien qu’anticipé, ne pourrait causer aucun préjudice au concessionnaire.

Sur ce point, la cour administrative d’appel de Bordeaux a écarté cet argumentaire, en fixant le montant de l’indemnisation de la société Suez Eau France en contrepartie des investissements réalisés à leur valeur nette comptable en jugeant que « seule doit être recherchée, pour justifier le montant de l’indemnité de résiliation, la valeur nette comptable des immobilisations non amorties à l’échéance du contrat, à l’exclusion de toute tentative d’appréciation économique du financement des investissements (amortissement de la dette) ou des résultats de l’exploitation ».

Le Conseil d’Etat valide ce raisonnement en jugeant que l’indemnité doit être égale à la valeur nette comptable inscrite au bilan des biens non encore amortis, « lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat ». Dans le cas où la durée d’utilisation des biens est supérieure à la durée du contrat, « l’indemnité est égale à leur valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ».

Ainsi, la circonstance que ces biens de retour aient été économiquement amortis avant la résiliation du contrat grâce aux résultats de l’exploitation de la concession n’a pas d’incidence sur le calcul de l’indemnisation.

La deuxième question posée tenait à la durée du contrat à prendre en compte dans le calcul.

En effet, le contrat conclu en 1991 entre la commune de Saint-Orens et la société Orennaise de services pour une durée de 29 ans devait s’achever en 2020.

Or, par l’effet de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publique – dite loi Sapin-, de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement – dite loi Barnier – et de la jurisprudence du Conseil d’Etat Commune d’Olivet du 8 avril 2009 9)CE 8 avril 2009 Compagnie générale des eaux et commune d’Olivet, req. n° 271737 : Publié au Rec. CE, l’autorité concédante aurait dû, si elle n’avait résilié le contrat à compter du 1er janvier 2013, constater l’impossibilité d’en poursuivre l’exécution au-delà de février 2015.

Le Conseil d’Etat, confirmant encore sur ce point le raisonnement de la cour administrative d’appel de Bordeaux, juge que la durée à prendre en compte pour déterminer la valeur non amortie des biens de retour doit être celle du contrat initial, indépendamment du fait que cette durée ne serait pas régulière : c’est bien la durée qui a été prise en considération pour construire l’équilibre économique du contrat.

Cet arrêt, clair et pragmatique, offre une notable lisibilité aux concessionnaires sur les indemnisations auxquelles ils peuvent prétendre en contrepartie des investissements qu’ils ont assurés au bénéfice de l’autorité concédante.

Partager cet article

References   [ + ]

3 articles susceptibles de vous intéresser