Précisions sur le champ d’application des marchés publics de défense ou de sécurité

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2021

Temps de lecture

5 minutes

CE 4 février 2021 Ministre des Armées c/ Société OSR, req. n° 445396 : mentionné aux Tables du Rec. CE

Par sa décision Ministre des Armées rendue le 4 février 2021, les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont apporté des précisions utiles sur la définition des marchés publics de défense ou de sécurité.

Pour mémoire, les prestations constituant des marchés de défense ou de sécurité sont strictement définies à l’article L. 1113-1 du code de la commande publique. Ces marchés ont notamment pour objet la fourniture d’équipements destinés à être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre, qu’ils aient été spécifiquement conçus à des fins militaires ou adaptés à des fins militaires, ou bien la fourniture d’équipements destinés à la sécurité et qui font intervenir des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale.

La qualification de certains contrats en marchés publics de défense ou de sécurité peut toutefois dans certains cas poser question. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs été conduit à plusieurs reprises au cours des dernières années à préciser le champ d’application de l’article L. 1113-1 du code de la commande publique. Il a par exemple jugé qu’en l’absence d’équipements conçus ou adaptés à des fins spécifiquement militaires, l’achat par le ministère de la transition écologique de pistolets semi-automatiques afin de répondre aux besoins du dispositif de contrôle et de surveillance des affaires maritimes ne constituait pas un marché de défense ou de sécurité 1)CE 18 décembre 2019 Ministre de la transition écologique et solidaire c/ Société Sunrock, req. n° 431696 : mentionné aux Tables du Rec. CE.. En revanche, le Conseil d’Etat a retenu cette qualification pour la fourniture de prestations de bourrellerie sur des aéronefs militaires 2)CE 24 mai 2017 Ministre de la défense c/ Société Techno Logistique, req. n° 405787 : mentionné aux Tables du Rec. CE, tout comme la fourniture et l’application de peintures sur des navires de la Marine nationale 3)CE 12 juin 2019 Société Sonocar Industries, req. n° 427397.

L’affaire ayant donné lieu à la décision Ministre de Armées c/ Société OSR constituait donc une nouvelle occasion pour le Conseil d’Etat de préciser le champ d’application des marchés publics de défense ou de sécurité.

1          Le maniement par des salariés d’informations « à diffusion restreinte » ne conduit pas à qualifier un contrat de marché public de défense ou de sécurité

Par un avis publié le 8 avril 2020, la direction du commissariat d’outre-mer des forces armées dans la zone sud de l’Océan indien (FAZSOI) a lancé une procédure d’appel d’offres restreint en vue de la passation d’un marché sans allotissement, d’une durée d’un an tacitement renouvelable trois fois, pour des prestations de gardiennage, d’accueil et de filtrage de trois sites militaires situés sur l’île de la Réunion.

La société Osiris Sécurité Run (OSR) a été informée le 4 septembre 2020 que son offre, classée troisième, avait été rejetée et que le marché avait été attribué à la société Réunion Air Sûreté. La société OSR a alors introduit un référé précontractuel devant le tribunal administratif de la Réunion.

Par une ordonnance du 2 octobre 2020 4)TA La Réunion 2 octobre 2020 Société OSR, req. n° 2000755, le juge des référés du tribunal administratif de la Réunion a annulé la décision d’attribution ainsi que la procédure de passation du marché, au motif que celui-ci aurait dû faire l’objet d’un allotissement et que les intérêts de la société OSR avaient en conséquence été lésés. La ministre des Armées a alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

La ministre des Armées soutenait tout d’abord devant le Conseil d’Etat que la qualification du contrat en marché public de défense ou de sécurité se justifiait par le fait que les salariés chargés de l’exécution du marché en litige auraient accès à des informations classées « Diffusion restreinte ». Le juge de cassation a toutefois relevé que ces informations dites « à diffusion restreinte » n’étaient pas des informations « protégées dans l’intérêt de la sécurité nationale » au sens du 4° de l’article L. 1113-1 du code de la commande publique. Les 7ème et 2ème chambres réunies ont suivi en ce sens la rapporteure publique Mireille Le Corre qui appelait à une acception stricte de la notion de « Diffusion restreinte » :

« Faire preuve de discrétion et ne pas divulguer une information ne suffit pas à en faire une information protégée au sens des dispositions applicables et il convient, nous semble-t-il, d’éviter une acception trop indéfinie de la notion d’information protégée, comme le serait la notion de « Diffusion restreinte », sauf à élargir excessivement – et illégalement – le champ des marchés de défense et de sécurité » 5)Conclusions de la rapporteure publique Mireille Le Corre.

La ministre des Armées soutenait par ailleurs qu’en raison de contraintes de confidentialité, le marché litigieux constituait un « contrat sensible » au sens de l’article 78 de l’instruction générale interministérielle (IGI) n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale. Toutefois, le Conseil d’Etat a jugé qu’il ne résultait pas davantage du caractère de « contrat sensible » du marché, à le supposer établi, que celui-ci constituait un marché public de défense ou de sécurité au sens de l’article L. 1113-1 du code de la commande publique.

Enfin, la ministre des Armées soutenait que le juge des référés avait commis une erreur de droit en relevant que le pouvoir adjudicateur n’avait pas exigé la production d’une habilitation sur le fondement des dispositions de l’article R. 2343-4 du code de la commande publique, et en omettant d’en déduire que le marché litigieux ne pouvait être regardé comme un marché de défense ou de sécurité. La Haute Juridiction a toutefois écarté ce moyen, dès lors que l’IGI n’exige la production d’une habilitation que dans le cas où un marché comporte des informations classifiées ou protégées, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Le Conseil d’Etat a donc considéré que le juge des référés avait à juste titre écarté la qualification de marché public de défense ou de sécurité.

2          La soumission à l’obligation d’allotissement

Pour mémoire, le régime applicable aux marchés publics de défense ou de sécurité est largement similaire au régime de droit commun de la commande publique, à quelques exceptions près. L’une de ces exceptions tient à ce qu’alors qu’un marché public doit être en principe obligatoirement alloti 6)C. com. pub., art. L. 2113-10, les marchés de défense ou de sécurité ne sont pas soumis à cette obligation. En vertu du régime dérogatoire propre à ces marchés, l’allotissement de ceux-ci n’est que facultatif 7)C. com. pub., art. L 2313-5.

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Ministre de Armées c/ Société OSR, la ministre des Armées contestait également devant le juge de cassation que le marché devait obligatoirement faire l’objet d’un allotissement, ce qui avait justifié l’annulation de la procédure de passation.

Le juge des référés du tribunal administratif de la Réunion avait toutefois relevé que les prestations faisant l’objet du marché impliquaient une présence physique sur des implantations distantes de plus de 10 kilomètres les unes des autres, et qu’en outre ces prestations différaient en fonction des sites concernés. Le juge des référés avait également relevé que le précédent marché ayant le même objet avait fait l’objet d’un allotissement géographique et que le pouvoir adjudicateur ne justifiait pas qu’il soit dérogé à cette obligation. Les 7ème et 2ème chambres réunies ont donc considéré que le juge des référés n’avait pas commis d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique en jugeant que le marché litigieux aurait dû faire l’objet d’un allotissement.

Enfin, le Conseil d’Etat a relevé que la société OSR faisait valoir que son siège se situait à proximité de l’aéroport Roland Garros et de la base aérienne n° 181, ce qui aurait facilité l’exécution des prestations de gardiennage, d’accueil et de filtrage de ce site militaire. La société OSR était donc bien susceptible de se voir attribuer un lot spécifique à ces prestations, et le Conseil d’Etat a donc considéré qu’elle était bien susceptible d’avoir été lésée par le défaut d’allotissement du marché litigieux.

Estimant par conséquent que le juge des référés était fondé à annuler la procédure de passation du marché passé par la direction du commissariat d’outre-mer des FAZSOI, la Haute Juridiction a rejeté le pourvoi de la ministre des Armées.

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