Reprise des délais applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, indépendamment de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et pérennisation de certaines règles particulières relatives à l’organisation et au fonctionnement de ces juridictions

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

May 2020

Temps de lecture

6 minutes

Ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 modifiant l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif

Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 modifiant l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif

La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, parue au Journal officiel du 12 mai 2020, a prolongé la durée de l’état d’urgence sanitaire, initialement déclaré jusqu’au 23 mai 2020 inclus par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de covid-19, jusqu’au 10 juillet inclus 1)Voir notre commentaire.

Saisi du projet de loi relatif à cet allongement du délai du régime de l’état d’urgence sanitaire 2)Voir notre commentaire de l’avis de la Commission permanente du Conseil d’Etat relatif au projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, en date du 1er mai 2020., le Conseil d’Etat avait attiré l’attention du Gouvernement sur les conséquences d’une telle prorogation sur la durée des mesures apportant des dérogations aux dispositions légales de droit commun, notamment en matière de délais puisque dans de nombreux cas, ces dérogations ont comme terme la durée de l’état d’urgence augmentée d’un mois. En définitive, dès lors que le gel des délais était justifié par « la situation d’arrêt massif de l’activité du pays provoquée par la mesure générale de confinement de la population à partir du 17 mars », l’avis du Conseil d’Etat suggérait au Gouvernement de déconnecter la période de report des délais de la fin de l’état d’urgence sanitaire compte-tenu de la levée du confinement le 11 mai dernier.

Dans cette optique, après l’adoption d’une ordonnance consacrée spécifiquement aux délais applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction 3)Voir notre commentaire de l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 fixant des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire., le législateur délégué a adopté plusieurs ordonnances, parues au Journal officiel du 14 mai 2020, afin de réexaminer le terme des reports des délais et d’échéances prévus dans différents domaines, qui étaient jusqu’alors définis de manière glissante par référence à la date de cessation de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

C’est l’objet de l’ordonnance n° 2020-558 du 13 mai 2020 qui procède à diverses modifications de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif 4)Voir notre commentaire de cette précédente ordonnance.

1) En premier lieu, les nouvelles ordonnances parues au Journal officiel du 14 mai et notamment l’ordonnance commentée emportent des modifications des dispositions particulières relatives aux délais de procédure et de jugement (délais de recours, délais d’instruction, etc.) 

  • S’agissant des délais de recours

Parmi les ordonnances, parues au Journal officiel du 14 mai 2020 aux fins de réexamen du terme de la période de gel des délais pendant l’état d’urgence sanitaire, l’ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 5)Voir notre commentaire a notamment modifié l’article 2 ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire, en prévoyant une modification du terme de la « période juridiquement protégée », c’est-à-dire la période dans le cadre de laquelle les délais qui naissent ou arrivent à échéance bénéficient du mécanisme de report des délais.

Désormais, cette période court du 12 mars 2020 jusqu’au 23 juin 2020 à minuit inclus, et non plus jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Dans la mesure où les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 susvisée sont rendues applicables aux procédures devant les juridictions de l’ordre administratif 6)Par l’effet des dispositions du I. de l’article 15 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020., il en résulte que si un délai pour agir devant une juridiction administrative devait expirer entre le 12 mars et désormais de manière fixe le 23 juin 2020 à minuit inclus, il se trouve prorogé et sera considéré comme « fait à temps » s’il est effectué dans le délai qui lui est légalement imparti à compter du 24 juin 2020 et dans la limite d’une période de deux mois, soit jusqu’au 24 août 2020.

Etant précisé que ces principes ne s’appliquent pas pour les délais de recours contre les autorisations d’urbanisme, qui lorsqu’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, simplement suspendus et recommencent à courir à la date du 24 mai 2020 pour une période qui ne peut être inférieure à 7 jours, tandis que le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et le 23 mai à minuit inclus est reporté au 24 mai 2020 7)Cf. Voir notre commentaire de l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 fixant des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire.

En outre, des exceptions étaient prévues s’agissant des délais de recours et demandes en matière de droit des étrangers et de contentieux électoral 8)Conformément aux dispositions du II. de l’article 15 de l’ordonnance n° 2020-305. A ce titre, l’ordonnance commentée fixe d’ailleurs le point de départ de certains délais de recours prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique au 24 mai 2020, et non plus au lendemain de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

  • S’agissant des mesures d’instruction et des mesures de clôture d’instruction

L’ordonnance commentée modifie l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-305 relative à la juridiction administrative en prévoyant, d’une part, le report des mesures d’instruction dont le terme vient à échéance entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus au 24 août 2020 inclus, et d’autre part, le report des clôtures d’instruction dont le terme vient à échéance entre la même période au 23 juin 2020 inclus (à moins que ce terme soit reporté par le juge).

La faculté pour le juge de fixer un délai plus bref ou une date d’échéance plus rapprochée, après information des parties, est cependant conservée. Dans tous les cas, son ordonnance mentionne alors que le report ne s’applique pas à la date ainsi fixée.

  • S’agissant des délais impartis au juge pour statuer

L’ordonnance cristallise également le report au 1er juillet 2020 du point de départ des délais de jugement qui courent ou ont couru en tout ou partie du 12 mars au 23 mai 2020, qui était fixé à la même date par les dispositions de l’article 17 de l’ordonnance n° 2020-305 relative à la juridiction administrative.

Les exceptions prévues par le même article s’agissant de certains délais relatifs au contentieux des étrangers et au contentieux électoral sont conservées.

2) Par ailleurs, l’ordonnance commentée pérennise diverses règles dérogatoires relatives à l’organisation et au fonctionnement des juridictions administratives et en instaure de nouvelles « pour leur permettre de s’adapter à l’allègement progressif du confinement ».

En effet, d’une part, l’ordonnance commentée ne modifie pas la période pendant laquelle les dérogations aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux juridictions administratives s’appliquent.

Ainsi, les dérogations prévues par le titre I de l’ordonnance n° 2020-305 spécifique à la juridiction administrative continuent de s’appliquer entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020.

Est donc notamment maintenue la possibilité pour le rapporteur public d’être dispensé de prononcer ses conclusions en toute matière 9)Article 8 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 – Pour le reste des mesures dérogatoires, nous nous renvoyons à notre présentation de l’ordonnance..

D’autre part, outre les modifications affectant les règles applicables à la tenue des audiences devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) tendant à favoriser la tenue d’audiences de juge unique et celles applicables au contentieux du droit au logement opposable (DALO), le Gouvernement a souhaité approfondir la possibilité offerte aux magistrats de siéger sans être présents dans la salle d’audience.

Avec l’autorisation du président de la formation de jugement, les membres de la juridiction (assesseurs et rapporteur public) peuvent ainsi participer à l’audience depuis un lieu distinct de la salle d’audience en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle, lequel doit permettre de s’assurer de leur identité et garantir la qualité de la transmission ainsi que le secret du délibéré.

De plus, le président de la juridiction peut autoriser les magistrats statuant seul à tenir leurs audiences à distance selon ces modalités.

La justice administrative « déconfinée » continuera donc de prévoir différents mécanismes dérogatoires au droit commun.

Au-delà des interrogations techniques et pratiques que posent ces mécanismes, le Syndicat de la juridiction administrative s’est inquiété de la création d’un « risque réel de pérennisation et de déshumanisation de la justice » 10)Voir le compte-rendu du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel du 13 mai 2020 par le SJA., alors que l’Union syndicale des magistrats administratifs s’est félicitée que « dans ce contexte de crise singulier », la possibilité de tenir une audience virtuelle « ne soit pas fermée si et seulement si elle constitue le seul moyen pour certains de nos collègues de poursuivre leur mission » 11)Voir le compte-rendu du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel du 13 mai 2020 par l’USMA..

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References   [ + ]

1. Voir notre commentaire
2. Voir notre commentaire de l’avis de la Commission permanente du Conseil d’Etat relatif au projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, en date du 1er mai 2020.
3. Voir notre commentaire de l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 fixant des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire.
4. Voir notre commentaire de cette précédente ordonnance
5. Voir notre commentaire
6. Par l’effet des dispositions du I. de l’article 15 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020.
7. Cf. Voir notre commentaire de l’ordonnance n° 2020-539 du 7 mai 2020 fixant des délais particuliers applicables en matière d’urbanisme, d’aménagement et de construction pendant la période d’urgence sanitaire
8. Conformément aux dispositions du II. de l’article 15 de l’ordonnance n° 2020-305
9. Article 8 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 – Pour le reste des mesures dérogatoires, nous nous renvoyons à notre présentation de l’ordonnance.
10. Voir le compte-rendu du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel du 13 mai 2020 par le SJA.
11. Voir le compte-rendu du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel du 13 mai 2020 par l’USMA.

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