Prescription et garanties : le Conseil d’Etat met les pendules à l’heure !

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2025

Temps de lecture

5 minutes

CE 20 décembre 2024 Centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, req. n° 488339

CE 20 décembre 2024 Société JSA Technology, req. n° 475416  mentionné aux T. du Rec. CE

CE 20 décembre 2024 Commune de Puget-Ville, req. n° 489720 : mentionné aux T du Rec. CE

Dans trois arrêts du 20 décembre 2024, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser le point de départ de la durée des délais de prescription applicables aux différentes actions ouvertes au maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs, en particulier en matière de responsabilité contractuelle, de garantie de parfait achèvement et de garantie décennale.

Dans la première affaire (n° 488339), la maison de retraite publique du Châtelet-en-Brie a lancé un programme d’agrandissement et de rénovation de ses locaux et a confié la maîtrise d’œuvre du projet à un groupement d’entreprises dont le mandataire était la société Bical-Courcier-Martinelli. Par une décision du 2 février 2007, la maison de retraite publique a prononcé l’ajournement des travaux puis, le 30 avril 2009, a prononcé la résiliation du marché de maîtrise d’œuvre aux frais et risques de son titulaire. Le centre hospitalier de Montereau, venu aux droits de la maison de retraite publique a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner solidairement le groupement de maîtrise d’œuvre et l’Etat ainsi que leurs assureurs à lui verser la somme de 6 545 589,32 EUR. Le tribunal administratif a condamné solidairement les sociétés à verser au centre hospitalier la somme de 6 000 EUR ainsi qu’aux frais d’expertise. La cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel interjeté par le centre hospitalier au motif que son action était prescrite et a mis à sa charge les frais d’expertise 1)CAA Paris 17 juillet 2023 centre hospitalier du Sud Seine-et-Marne, req. n° 21PA03046. Le centre hospitalier a alors formé un pourvoi en cassation pour contester la prescription de son action.

Dans la deuxième affaire (n° 489720), la commune de Puget-Ville a confié à la société Idex Energies les trois lots d’un marché public de travaux ayant pour objet la construction d’un réseau de chaleur. Les trois lots ont fait l’objet, le 12 juillet 2013, de décisions de réception « sous » réserve de l’exécution de certaines prestations et « avec » réserves. La commune a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon afin d’obtenir la condamnation de la société Idex à lui verser une provision de 517 565,10 EUR au titre de travaux de reprise et de pénalités de retard. Le juge des référés a, par une ordonnance du 13 novembre 2023, déclaré irrecevable sa demande. Sur appel de la commune, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé cette ordonnance en tant qu’elle était irrecevable mais a, sur le fond, a rejeté sa demande 2)CAA Marseille 13 novembre 2023 commune de Puget-Ville, req. n° 23MA02332. La commune a formé un pourvoi en cassation.

Dans la troisième affaire (n° 475416), le centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau avait confié à la société JSA Technology un marché de construction d’une centrale photovoltaïque dans le cadre de la construction d’un nouvel hôpital. La société JSA Technology avait demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 167 137,08 EUR au titre d’une facture impayée ; par des conclusions reconventionnelles, le centre hospitalier a demandé l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 1 273 361,60 EUR lié à l’absence de raccordement de la centrale construite au réseau électrique. Par un jugement du 23 mars 2021, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à verser la somme de 80 790,04 EUR à la société requérante au titre de la facture impayée et a rejeté ses conclusions reconventionnelles. Le centre hospitalier a interjeté appel auprès de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui a jugé que la société JSA Technology était en droit d’obtenir le paiement de l’intégralité de sa facture, soit 167 137,08 EUR, mais qu’elle devait indemniser le centre hospitalier à hauteur de 318 340,40 EUR 3)CAA Bordeaux 2 mai 2023 centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, req. n° 21BX02100. La société JSA Technology a alors formé un pourvoi en cassation en estimant que la créance du centre hospitalier était prescrite.

C’est ainsi qu’à l’occasion de ces trois affaires, le Conseil d’Etat a été amené à rappeler différentes actions ouvertes au maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs et les règles de prescriptions de ces dernières.

(i)

En premier lieu, jusqu’à la réception de l’ouvrage ou en absence de réception, le maître d’ouvrage peut rechercher la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs. Le Conseil d’Etat va distinguer deux situations :

Ainsi, dans la première affaire (n° 488339), le Conseil d’Etat a jugé que l’arrêt de la cour administrative de Paris devait être annulé en tant qu’il a jugé que la créance que prétend soutenir le centre hospitalier sur l’Etat était soumise à la prescription quinquennale de droit commun et non pas à la prescription quadriennale. A l’inverse, le Conseil d’Etat a confirmé la prescription de l’action à l’encontre des constructeurs de droit privé dès lors que les faits étaient connus du centre hospitalier le 2 février 2007 et qu’il n’a engagé son action que le 21 juin 2015 soit bien après le délai de prescription quinquennale.

Le Conseil d’Etat a donc partiellement annulé l’arrêt de la cour et l’a renvoyé, sur ce point seulement, à la même cour.

(ii)

En deuxième lieu, le maître d’ouvrage peut engager à l’encontre des constructeurs une action sur le fondement de la garantie de parfait achèvement. Celle-ci est prévue, en droit administratif 4)en droit privé cette garantie est prévue à l’article 1792-6 du code civil , par le CCAG-Travaux et permet une action du maître d’ouvrage s’agissant des désordres ayant fait l’objet de réserves à la réception et ceux signalés dans l’année suivant celle-ci : il s’agit donc d’une garantie contractuelle et non pas légale en matière de marchés publics. S’agissant du point de départ de cette garantie, le Conseil d’Etat a jugé que celui était toujours la date d’effet de la réception, peu importe que celle-ci ait été prononcée « avec » ou « sous » réserves.

Ainsi, dans la deuxième affaire (n° 489720), le Conseil d’Etat a jugé que la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur en jugeant que le délai de la garantie de parfait achèvement avait commencé à courir à la date d’effet de la réception quand bien même celle-ci était assortie de réserves et prononcée sous réserve de l’exécution concluante d’épreuves.

Le Conseil d’Etat a donc rejeté le pourvoi de la commune.

(iii)

En troisième lieu, à compter de la réception de l’ouvrage, le maître d’ouvrage peut également intenter une action à l’encontre des constructeurs sur le fondement de responsabilité contractuelle de droit commun. Cependant, dès lors que la réception est intervenue, le délai de prescription n’est pas de 4 ou 5 ans comme précédemment exposé mais de 10 ans à compter de la réception comme le prévoit l’article 1792-4-3 du code civil. Attention toutefois, comme le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions, bien que cette action partage le délai de 10 ans de la garantie décennale des constructeurs prévue à l’article 1792 du code civil, il s’agit bien ici d’une action distincte en responsabilité contractuelle.

Ainsi, dans la troisième affaire (n° 475416), le Conseil d’Etat a jugé que, contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative de Bordeaux, seule la prescription décennale de l’article 1792-4-3 du code civil était applicable dès lors que la réception était intervenue (la cour avait fait une application de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil). Cependant, dès lors l’action du centre hospitalier n’était de toute façon pas prescrite, le Conseil d’Etat a simplement procédé à une substitution de motif.

Le Conseil d’Etat a donc rejeté le pourvoi de la société JSA Technology.

 

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