Une étude de cas ne doit pas porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats à une procédure de passation

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

5 minutes

CE 27 avril 2021 Ville de Paris, req. n° 447221 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Par sa décision Ville de Paris rendue le 27 avril 2021, les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont apporté des précisions utiles sur les règles d’appréciation de la lésion entre les candidats à une procédure de passation, dans l’hypothèse où l’acheteur sollicite la réalisation d’une étude de cas.

Résumons brièvement les faits. La ville de Paris a lancé une procédure d’appel d’offres ouvert pour la passation de plusieurs accords-cadres à bons de commande, ayant pour objet des prestations de diagnostics et « préconisations structures » pour la ville de Paris et l’établissement public Paris musées, réparties en trois lots. La société Sixense engineering a présenté une offre pour les lots n° 1 et 2, mais son offre n’a pas été retenue. Le lot n° 1 a été attribué à cinq candidats, dont la société Ginger CEBTP et le groupement constitué des sociétés 2 CPI France et Dekra industrial. Le courrier du 8 octobre 2020 de la ville de Paris informant Sixense engineering du rejet de son offre indiquait que son offre relative au lot n° 1 avait été classée en sixième position.

La société Sixense engineering a donc saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris, qui a annulé la procédure de passation du lot n° 1 par une ordonnance du 19 novembre 2020 1)TA Paris 19 novembre 2020 Société Sixense engineering, req. n° 2017074/4-1 . La ville de Paris a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

1      Une étude de cas ne doit pas avantager un des soumissionnaires

La ville de Paris avait soumis aux candidats à l’attribution du lot n° 1 une étude de cas portant sur un bâtiment municipal. Or, la société Ginger CEBTP, qui s’est finalement vue attribuer le lot, avait déjà réalisé cette étude en qualité d’attributaire d’un précédent marché de la ville de Paris. Cette société a logiquement obtenu la meilleure note au titre du sous-critère « méthodologie d’exécution » sur lequel portait l’étude de cas.

Le juge du référé précontractuel du tribunal administratif avait annulé la décision d’attribution du lot n° 1 au motif que la ville de Paris avait méconnu le principe d’égalité de traitement entre candidats et avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant l’offre des sociétés 2 CPI France et Dekra industrial en méconnaissance des dispositions de l’article L. 111-25 du code de la construction et de l’habitation. Le juge du référé précontractuel avait toutefois méconnu les règles issues de la jurisprudence Smirgeomes 2)CE 3 octobre 2008 Smirgeomes, req. n° 305420 : Publié au Rec. CE en ne recherchant pas si ce manquement avait été susceptible d’avoir lésé la requérante.

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont donc logiquement annulé l’ordonnance rendue par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris et réglé l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l’article L. 881-2 du code de justice administrative. Le Conseil d’Etat devait donc examiner en premier lieu si la rupture d’égalité de traitement entre les candidats était constituée puis, si tel était bien le cas, si ce manquement avait été de nature à léser la société requérante.

La rapporteure publique Mireille Le Corre a tout d’abord rappelé dans ses conclusions que le principe d’égalité de traitement entre candidats est un principe fondamental de la commande publique, donc l’article L. 3 du code de la commande publique impose son respect pour l’attribution de tout contrat de la commande publique. Le juge administratif vérifie qu’un candidat ne dispose pas d’un avantage concret ou effectif par rapport à ses concurrents 3)CE 29 juillet 1998 Société Genicorp, req. n° 177952 : Mentionné aux Tables du Rec. CE. A cet égard, et s’agissant du cas d’espèce, la rapporteure publique a fait preuve d’une certaine ironie dans ses conclusions :

« quelle ne fut pas la bonne surprise pour un candidat de découvrir que l’étude de cas notée dans le cadre du marché litigieux n’était rien de moins que la réplique d’un cas réel sur lequel il avait directement travaillé ! {…} Et si nous utilisons sciemment le terme de « bonne surprise » c’est parce que, contrairement à d’autres hypothèses que vous avez eu à juger, la faille ou la difficulté ne provient pas de l’entreprise elle-même – c’est le cas par exemple quand elle a conseillé antérieurement la personne publique sur le projet objet du marché – mais de l’acheteur public, qui a pris le risque de se servir d’un cas réel pour le soumettre aux candidats, alors que la candidature d’entreprises du secteur ayant eu à travailler était probable, du moins possible » 4)Conclusions de la rapporteure publique Mireille Le Corre

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont donc considéré que ce sous-critère avait avantagé la société Ginger CEBTP et rompu l’égalité de traitement entre les candidats. Le Conseil d’Etat a par ailleurs considéré que ce manquement avait bien été de nature à léser la société Sixense engineering et a donc annulé la procédure de passation sur ce motif.

2      Une limite à la participation des contrôleurs techniques à un marché

Par cette même décision Ville de Paris rendue le 27 avril 2021, les 7ème et 2ème chambres ont également tranché un point relatif aux incompatibilités applicables aux contrôleurs techniques agréées.

L’article L. 111-25 du code de la construction et de l’habitation dispose que l’activité de contrôle technique est « incompatible avec l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage ». L’article R. 111-31 de ce même code précise que « les personnes et organismes agréés, les administrateurs ou gérants et le personnel de direction de ces organismes, ainsi que le personnel auquel il est fait appel pour les contrôles, doivent agir avec impartialité et n’avoir aucun lien de nature à porter atteinte à leur indépendance avec les personnes, organismes, sociétés ou entreprises qui exercent une activité de conception, d’exécution ou d’expertise dans le domaine de la construction ».

Comme le soulignait la rapporteure publique Mireille le Corre dans ses conclusions, il résulte de ces dispositions qu’ « une étanchéité parfaite est exigée entre d’une part les missions de contrôle technique d’un ouvrage et d’autre part celles qui sont liées à la conception, à l’exécution ou à l’expertise » 5)Conclusions de la rapporteure publique Mireille Le Corre.

Rappelant que le Conseil d’Etat avait déjà confirmé l’incompatibilité absolue entre ces fonctions 6)CE 19 octobre 2012 Ecole nationale supérieure de sécurité sociale, req. n° 361459 : Mentionné aux Tables du Rec. CE, la rapporteure publique a invité la formation de jugement à interpréter les dispositions précitées du code de la construction et de l’habitation comme prohibant la participation d’un contrôleur technique à un groupement d’entreprises exerçant des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage.

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont suivi les conclusions de la rapporteure publique et ont considéré que la ville de Paris avait bien commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant l’offre des sociétés 2 CPI France et Dekra industrial en méconnaissance des dispositions du code de la construction et de l’habitation.

Estimant que ce manquement avait bien été susceptible de léser la société Sixense engineering, le Conseil d’Etat a également annulé la procédure de passation du lot n° 1 sur ce motif.

 

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