Prise en compte des inconvénients pour la commodité du voisinage d’un projet éolien : la différence d’approche entre le code de l’urbanisme et le code de l’environnement

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

March 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 1er mars 2023 Société Energie Ménétréols, req. n° 455629: mentionné aux Tab. Rec. CE

CE 1er mars 2023 Société EDPR France Holding, req. n° 459716, : mentionné aux Tab. Rec. CE

Dans deux décisions du même jour relatives au contentieux éolien (il s’agissait de deux affaires distinctes), le Conseil d’Etat précise sous quelle législation, du code de l’urbanisme ou du code de l’environnement, l’atteinte portée par un projet à la commodité du voisinage, en l’occurrence caractérisée par un phénomène de saturation visuelle, est susceptible d’être prise en compte.

1          Au sens du droit de l’urbanisme

L’article R. 111-2 du code de l’urbanisme permet de refuser ou de n’accepter un projet « que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ».

Dans une décision du 1er mars 2023, le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions quant aux modalités d’appréciation de ces dispositions.

D’abord, il rappelle une jurisprudence désormais constante selon laquelle il appartient à l’autorité d’urbanisme compétente et au juge de l’excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d’atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement cet article, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s’ils se réalisent (cf. la première décision utilisant ce considérant : CE 16 juillet 2014, req. n° 356643 – répété à 5 reprises depuis par le Conseil d’Etat : 23 mars 2016, req. n° 390853 ; 28 décembre 2017, req. n° 399629 ; 10 décembre 2020, req. n° 432641 ; 27 mai 2021, req. n° 436391 ; 1er mars 2023, req. n° 455629).

Il s’agit néanmoins de la première fois que ce considérant est explicitement fiché.

Ensuite, il précise ce que recouvre la notion de salubrité publique au sens de l’article R. 111-2, qui est d’ordre public, ou à tout le moins dans quelle hypothèse elle n’est pas mobilisable pour justifier un refus.

Dans les faits de l’espèce, le Conseil d’Etat était saisi en cassation d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux 15 juin 2021, req. n° 19BX03309) qui avait jugé légal le refus de quatre demandes de permis de construire portant sur quatre éoliennes opposé par le préfet, qui s’était alors fondé sur l’article R. 111-2.

Plus précisément, celui-ci avait considéré que les territoire d’implantation de ces 4 éoliennes était déjà fortement marqué par la présence de ce type d’infrastructure, et que leur ajout était donc de nature à caractériser une situation de saturation visuelle.

Cette argumentation a été validée par la cour qui a jugé que le projet présentait ainsi des inconvénients importants pour la commodité des habitants de plusieurs villages, et était donc de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.

Pour le Conseil d’Etat néanmoins, les considérations relatives à la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique au sens de ces dispositions et ne peuvent donc être opposées pour justifier un refus d’autorisation d’urbanisme

2          Au sens du droit de l’environnement

En revanche, tel n’est pas le cas au sens du droit de l’environnement.

Cette notion de « commodité du voisinage » résulte explicitement de l’article L. 511-1 du code de l’environnement, premier article des dispositions législatives générales relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), qui peuvent présenter des inconvénients au titre de ladite commodité.

Ainsi, dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation environnementale, c’est-à-dire – lorsqu’il s’agit d’ICPE – de celles qui « présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 » (art. L. 512-1, c. env.), le Conseil d’Etat juge que le phénomène de saturation visuelle peut être pris en compte pour apprécier les inconvénients d’un projet pour la commodité du voisinage au sens de l’article L. 511-1.

C’est sur ce fondement que le Conseil d’Etat valide le refus d’autorisation environnementale opposé par le préfet au motif que le projet présentait des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage dans un secteur où étaient déjà construits ou autorisés 2 parcs éoliens comportant un total de 18 éoliennes à un kilomètre, 7 parcs éoliens comportant un total de 68 éoliennes à 5 kilomètres et 14 parcs éoliens comportant 126 éoliennes à 10 kilomètres.

Pour juger l’autorisation illégale, le Conseil d’Etat prend en compte les photomontages produits caractérisant une perte de lisibilité du paysage et une occupation continue de l’horizon, ainsi que – pour caractériser la saturation visuelle entrainée par le projet – que le projet augmentait les angles d’occupation de l’horizon, les faisant alors dépasser les seuils d’alerte.

 

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