Projet unique et évaluation environnementale : le Conseil d’Etat précise le contrôle des juges du fond

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2021

Temps de lecture

6 minutes

CE 1er février 2021 Société Le Castellet-Faremberts, req. n° 429790 : Rec. CE T.

Dans une décision du 1er février 2021, le Conseil d’Etat a précisé la nature du contrôle incombant aux juges du fond lorsqu’ils apprécient l’existence d’un « projet unique » pour des travaux pouvant être soumis à examen au cas par cas au titre de l’évaluation environnementale.

S’inscrivant dans la lignée de la jurisprudence Commune de la Turballe (CE 28 novembre 2018 req. n° 419315 : Rec. CE T.), ce nouvel arrêt est à notre sens favorable aux porteurs de projets car il semble retenir une acception rigoureuse de la notion de projet.

Par un permis tacite délivré le 21 septembre 2016 par le préfet du Var, la société Le Castellet-Faremberts a été autorisée à construire 120 logements sociaux pour une surface de plancher totale de 8 849,76 m² sur quatre parcelles d’une superficie totale de près de 3,3 hectares sur la commune du Castellet. Un permis de construire modificatif lui a ensuite été délivré par un arrêté du 23 janvier 2018.

Par un jugement du 14 février 2019 n° 170864-182274, le tribunal administratif de Toulon a annulé ces deux autorisations aux motifs que l’opération relevait d’un projet global et que les aménagements de voirie nécessaires à assurer sa conformité au PLU en vigueur ne présentaient pas de caractère certain (ce second volet de la décision sera commenté dans un autre article sur notre blog).

Saisi d’un pourvoi de la société Le Castellet-Faremberts, le Conseil d’Etat censure le jugement et renvoie l’affaire devant les juges du fond.

Après avoir rappelé le contexte législatif et réglementaire (1) ainsi que les critères permettant d’apprécier l’existence d’un projet unique (2), nous exposerons l’interprétation restrictive retenue par le Conseil d’Etat dans cet arrêt (3).

  • Rappel du contexte législatif et réglementaire

Lorsqu’un projet est soumis à examen au cas par cas au titre de l’évaluation environnementale, le dossier de demande de permis de construire doit comprendre l’étude d’impact réalisée ou la décision de dispense d’une telle étude après examen au cas par cas effectué par l’autorité environnementale (article R. 431-16 du code de l’urbanisme). Précisons toutefois que depuis la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 et le décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020, l’examen au cas par cas n’est plus effectué par l’autorité environnementale mais par l’autorité chargée de l’examen au cas par cas.

La soumission d’un projet à examen au cas par cas est appréciée en fonction des seuils et critères fixés par le tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. Dans sa rédaction applicable au cas d’espèce, la rubrique 39 de ce tableau soumettait notamment à examen au cas par cas les travaux, constructions et opérations d’aménagement constitués ou en création qui créent « une surface de plancher supérieure ou égale à 10 000 m² et inférieure à 40 000 m² et dont le terrain d’assiette ne couvre pas une superficie supérieure ou égale à 10 hectares ».

A cet égard, l’article L. 122-1 du code de l’environnement précise au dernier alinéa de son III que « lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage ». L’objectif est d’évaluer les incidences du projet « dans leur globalité ».

En présence d’un tel projet, celui-ci doit donc être appréhendé globalement, d’une part, pour déterminer, au regard des seuils et critères du tableau, s’il doit être soumis à examen au cas par cas ou à évaluation environnementale et, d’autre part, et en cas de soumission à évaluation environnementale (directement ou après examen au cas par cas), pour en apprécier l’ensemble des incidences sur l’environnement et la santé humaine.

Selon le Guide d’interprétation de la réforme du 3 août 2016 publié en août 2017 par le Commissariat général au développement durable (CGDD) du ministère de l’écologie (p. 19-21), l’objet de cette mention est uniquement de rappeler et de retranscrire la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle les règles relatives à l’évaluation environnementale des projets ne sauraient être contournées par un fractionnement illicite et artificiel des projets.

Cette formulation, issue de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016, est par ailleurs venue remplacer l’obligation d’évaluer « globalement les incidences des projets concourant à la réalisation d’un même programme de travaux, d’aménagement ou d’ouvrages ». Bien que les deux formulations entendaient poursuivre le même objectif, celle antérieure à 2016 trouvait sa portée réduite par la définition du programme comme « constituant une unité fonctionnelle » (se reporter sur ce point aux conclusions de G. Odinet sous CE 28 novembre 2018 Commune de la Turballe, req. n° 419315 : Rec. CE T.). La notion de programme de travaux n’était en outre pas expressément prévue par le droit de l’Union.

Des travaux qui, pris individuellement, ne relèveraient pas de l’évaluation environnementale pourraient donc s’y trouver soumis s’ils devaient être considérés comme relevant d’un ensemble constituant un projet unique.

Si la notion de « projet » est définie par le code de l’environnement (article L. 122-1, I, 1°), la difficulté est toutefois de déterminer si plusieurs travaux, ouvrage ou interventions dans le milieu naturel doivent ou non être considérés comme se rapportant à un « projet unique » ou « projet global ».

  • Comment déterminer si l’on est en présence d’un projet unique ?

Plusieurs critères sont a priori mobilisables par les maîtres d’ouvrage souhaitant identifier si d’autres travaux, installations, ouvrages ou interventions doivent être incorporés dans leur projet pour l’appréciation des seuils du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement.

Le Guide d’interprétation de la réforme du 3 août 2016 précité indique qu’il convient d’abord de tenir compte de l’objectif poursuivi par les travaux et activités pour déterminer s’ils relèvent d’un même projet.

Ce critère est également retenu par l’autorité environnementale du conseil général de l’environnement et du développement durable (AE-CGEDD) dans son rapport d’activité de 2017 (p. 29) et par les travaux parlementaires de la loi n° 2018-148 du 2 mars 2018 de ratification de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 (Rapport n° 8 (2017-2018) du sénateur Alain Fouché fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat).

Toutefois, le guide précité du CGDD ne se limite pas au critère de l’objectif poursuivi et suggère de prendre en considération la proximité géographique ou temporelle, la similitude et les interactions des composantes du projet entre elles, l’objet et la nature des opérations. Si l’on y ajoute le fait que le texte admet donc expressément qu’un même projet puisse être fractionné dans l’espace et le temps et, surtout, donner lieu à une multiplicité de maîtres d’ouvrage, il en résulte une réelle insécurité juridique pour les porteurs de projets lors de l’élaboration du dossier de demande de l’autorisation qui leur est nécessaire.

  • Solution du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat avait déjà été amené à se prononcer sur la notion de « projet » dans son arrêt Commune de la Turballe (CE 28 novembre 2018 req. n° 419315 : Rec. CE T.) relatif à un permis d’aménager un lotissement.

Dans cette affaire, où un lotissement était prévu dans le premier de trois sous-secteurs d’une zone dont le plan local d’urbanisme avait prévu l’ouverture à l’urbanisation, le Conseil d’Etat avait censuré le juge des référés qui avait estimé que le projet à prendre en compte était non pas ce seul projet de lotissement, mais l’ensemble du projet d’urbanisation de cette zone.

Dans l’arrêt rendu le 1er février 2021, la Haute Juridiction nous semble, d’une part, confirmer le fait que les prévisions du document d’urbanisme ne constituent en principe pas un critère pertinent ou suffisant pour identifier un projet et, d’autre part, retenir une lecture restrictive des dispositions de l’article L. 122-1 III du code de l’environnement.

Le tribunal avait en effet reproché à la société Le Castellet-Faremberts de n’avoir pas pris en compte un second projet de construction de logements sociaux situé sur une parcelle voisine du projet de construction litigieux, pour décider de ne pas soumettre ce dernier à examen au cas par cas. De fait, la somme des surfaces de plancher créées par ces deux opérations excédait le seuil de 10 000 m², ce qui aurait alors soumis le projet à un examen au cas par cas au titre de la rubrique 39 du tableau précité. Suivant cette interprétation, le dossier de demande de permis de construire aurait dû inclure l’étude d’impact réalisée ou la décision de dispense de l’autorité environnementale.

Pour retenir l’existence d’un « projet global commun », le tribunal administratif avait relevé les trois circonstances suivantes :

  • Les deux opérations avaient la même finalité de construction de logements sociaux ;
  • Le premier projet faisait apparaître dans son dossier de demande de permis de construire deux passages menant au terrain d’assiette du second projet ;
  • Les deux opérations s’inscrivaient dans un projet d’urbanisation de la zone tel que prévu par le PLU.

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement pour erreur de droit.

Tout d’abord, et dans la lignée de la solution de l’arrêt Commune de La Turballe, il confirme le fait que deux projets de construction ne peuvent être considérés comme relevant d’un même projet au seul motif qu’ils s’inscrivent dans le projet d’urbanisation de la zone tel qu’il ressort du plan local d’urbanisme. Le fichage de l’arrêt soulignant expressément ce point.

Incidemment, le Conseil d’Etat relève d’ailleurs que le projet de construction de logements sociaux sur la parcelle voisine n’était qu’hypothétique. Bien que l’arrêt ne le précise pas, il est également probable qu’il relevait d’un autre maître d’ouvrage.

Il ajoute ensuite, en allant à notre sens plus loin que dans sa décision Commune de la Turballe précitée, que les juges du fond doivent rechercher si « des liens de nature à caractériser le fractionnement d’un projet unique » existent entre les différents travaux et activités dont se prévalent les requérants.

En d’autres termes, la démonstration de l’existence d’un projet unique suppose de prouver qu’un fractionnement a été réalisé entre les différentes composantes d’une même opération. A notre sens, on en revient à la raison d’être de la règle énoncée au dernier alinéa du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, qui est uniquement d’éviter tout « saucissonnage » d’un même projet pour échapper à une éventuelle évaluation environnementale.

Si cet arrêt doit être salué, on relèvera néanmoins qu’un motif d’interrogation demeure. En effet, en vertu de son article 6, les dispositions de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 s’appliquent « aux projets relevant d’un examen au cas par cas pour lesquels la demande d’examen au cas par cas est déposée à compter du 1er janvier 2017 ». L’article L. 122-1 du code de l’environnement n’était donc a priori pas applicable, dans sa rédaction résultant de cette ordonnance, à un permis de construire délivré le 21 septembre 2016, notamment le dernier alinéa de son III.

Il est toutefois possible que le tribunal puis le Conseil d’Etat aient estimé pouvoir en faire application compte tenu de l’existence d’un permis de construire modificatif délivré en 2018 et également attaqué. Mais si c’est le cas, ce point aurait pu être davantage explicité.

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