Protection des abords et article R. 111-27 du code de l’urbanisme : ces deux régimes ne se neutralisent pas

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 22 septembre 2022 Ministre de la transition écologique c/ Sté Ferme de Seigny, req. n° 455658 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par un arrêté en date du 28 octobre 2016, le préfet de la Côte d’Or a refusé, au visa de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, de délivrer à la société Ferme éolienne de Seigny une autorisation d’exploiter un parc de cinq aérogénérateurs sur le territoire de la commune éponyme (01170) en raison de la co-visibilité de ce projet avec les châteaux de Lantilly et d’Orain, inscrits au titre des monuments historiques.

La société pétitionnaire a demandé au tribunal administratif de Dijon d’annuler cet arrêté et d’enjoindre au préfet de reprendre l’instruction de sa demande.

Cette requête a été rejetée par un jugement du 28 août 2018 1)TA Dijon 28 août 2018, req. n° 1603509.

Sur appel de la requérante, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté du 28 octobre 2016 et a enjoint au préfet de la Côte d’Or de reprendre, dans un délai de trente jours, l’instruction de la demande de la société Ferme éolienne de Seigny 2)CAA Lyon 17 juin 2021, req. n° 18LY03943.

Par un pourvoi enregistré le 17 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la ministre de la transition écologique a demandé au Conseil d’Etat d’annuler cet arrêt.

Dans l’arrêt attaqué, la CAA de Lyon avait rappelé la règle dégagée par le Conseil d’Etat dans l’affaire Engoulevent 3)CE 13 juillet 2012 Association Engoulevent, req. n° 345970 selon laquelle il appartient à l’autorité administrative compétente de raisonner en deux temps dans le cadre de l’application de l’article R. 111-21, devenu l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme, en appréciant, premièrement, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et en évaluant, deuxièmement, l’impact de construction, compte tenu de sa nature et de ses effets.

La CAA de Lyon avait alors censuré les motifs de la décision attaquée en jugeant que la co-visibilité avec les Châteaux de Lantilly et d’Orain, respectivement distants de six et de quatre kilomètres, « ne pouva[it] être utilement invoqué[e] pour caractériser une atteinte contraire à l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme » sauf à prolonger « hors du périmètre de protection de ces monuments, la servitude d’utilité publique instituée par l’article L. 621-31 du code du patrimoine ».

Une telle solution aurait donc impliqué que l’atteinte portée à un monument historique par l’effet de la co-visibilité ne puisse être contestée que sur le fondement du régime des abords défini au code du patrimoine et donc avec les limites spatiales que ce régime de protection comprend 4)L’article L. 621-30 du code du patrimoine étend la portée de cette protection, en l’absence de périmètre spécifiquement délimité par l’autorité administrative, à tout immeuble situé à moins de 500 mètres et visible du monument historique ou visible en même temps que lui.

Or, comme expliqué par le rapporteur public dans ses conclusions sur l’affaire ici commentée, trois raisons permettent de considérer que ces deux régimes « ne sauraient se confondre, ni l’un avoir pour effet d’absorber ou de neutraliser le second ».

D’abord, les textes ne confirment pas l’analyse faite par la CAA et ce d’autant plus qu’a contrario le législateur a ponctuellement pris le soin de faire prévaloir certains régimes sur d’autres, notamment celui des immeubles protégés au titre des monuments historiques sur celui des abords 5)L. 621-30 du code du patrimoine .

Ensuite, la genèse des textes ne va pas davantage dans le sens de l’analyse faite par la CAA. Le législateur ayant dès 1911 fait de la « conservation des perspectives monumentales » un motif permettant de refuser un permis de construire 6)V. CE 4 avril 1914, req. n° 55125, il serait paradoxal d’analyser la protection liée aux abords comme ayant eu pour effet de retirer une protection existante au-delà de ce périmètre.

Enfin, la thèse soutenue par la CAA est implicitement contredite par la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, en présence d’une construction située dans le champ de visibilité d’un monument historique et soumise aux prescriptions afférentes du code du patrimoine, considère que la légalité de l’autorisation peut également être contestée sur le fondement de l’article R. 111-27, les deux corps de règles s’appliquant alors de manière concurrente 7)CE 7 novembre 1980 Ministre de l’environnement et du cadre de vie et SCI Alvarado, req. n° 15459, 15482.

Suivant ces conclusions, le Conseil d’Etat, après avoir rappelé la teneur de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme 8)« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des (…) ouvrages à édifier (…), sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales » et les principes dégagés par sa jurisprudence Engoulevent précitée, énonce qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la co-visibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d’autres législations.

En jugeant que le critère de co-visibilité avec des monuments historiques ne pouvait être utilement invoqué pour caractériser une atteinte prévue à l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme en raison de l’implantation du projet en dehors du périmètre de protection résultant des articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine, la CAA a commis une erreur de droit.

L’application éventuelle du régime des abords prévu par le code du patrimoine n’efface pas celle des dispositions générales du code de l’urbanisme et la co-visibilité d’un projet avec un monument historique peut, tant dans le périmètre de protection qu’en dehors de celui-ci, justifier un refus de permis de construire sur le fondement de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme.

L’arrêt rendu par la CAA de Lyon le 17 juin 2021 est donc annulé et l’affaire lui est renvoyée.

 

 

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References   [ + ]

1. TA Dijon 28 août 2018, req. n° 1603509
2. CAA Lyon 17 juin 2021, req. n° 18LY03943
3. CE 13 juillet 2012 Association Engoulevent, req. n° 345970
4. L’article L. 621-30 du code du patrimoine étend la portée de cette protection, en l’absence de périmètre spécifiquement délimité par l’autorité administrative, à tout immeuble situé à moins de 500 mètres et visible du monument historique ou visible en même temps que lui
5. L. 621-30 du code du patrimoine
6. V. CE 4 avril 1914, req. n° 55125
7. CE 7 novembre 1980 Ministre de l’environnement et du cadre de vie et SCI Alvarado, req. n° 15459, 15482
8. « Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des (…) ouvrages à édifier (…), sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales »

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