Quand le dévoiement des réseaux installés sous le domaine public pour permettre la construction d’une ligne de tramway déraille : retour sur la décision SNC Sarcelles Investissements

Catégorie

Droit administratif général

Date

April 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 31 mars 2022 SNC Sarcelles Investissements, req. n° 453904 : publié au Rec. CE

Dans cette affaire jugée le 31 mars 2022, le Conseil d’Etat était saisi par le département de l’Oise d’un contentieux relatif à l’émission par ce dernier d’un titre exécutoire sollicitant de la SNC Sarcelles Investissements le recouvrement des sommes exposées par le département au titre des opérations de dévoiement des réseaux installés sous le domaine public par la société, afin de permettre la construction d’une ligne de tramway.

Elle a été l’occasion de rappeler le régime contentieux des titres exécutoires qui ne comporteraient pas mention des voies et délais de recours (1) ainsi que d’étendre au bénéficiaire d’une servitude de droit privé constituée sur le domaine public le principe selon lequel il doit supporter les frais de déplacement des ouvrages qui y sont implantés pour permettre l’exécution de travaux dans l’intérêt du domaine public et conformes à sa destination (2).

1             La stricte application de la jurisprudence Czabaj aux titres exécutoires

1.1.

Par la décision dite « Czabaj » (CE Ass. 13 juillet 2016, req. n° 387763 : publié au Rec. CE), le Conseil d’Etat jugeait – contre la lettre même de l’article R. 421-5 du code de justice administrative – qu’en dépit de l’absence d’opposabilité des délais de recours aux destinataires de décisions administratives qui n’en auraient pas été dument informés, aucun recours en annulation de cette décision ne pourrait être jugé recevable au-delà d’un délai raisonnable, lequel doit être en général d’une année sauf circonstances particulières.

Cette décision était fondée sur le principe de sécurité juridique, lequel implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps.

Alors que cette décision concernait un contentieux de pension des retraites, elle a depuis été très largement étendue en contentieux administratif.

Celui des titres exécutoires n’y a pas échappé (CE 9 mars 2018 Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n° 401386 : mentionné dans les Tab. Rec. CE).

Compte tenu du partage de la compétence juridictionnelle entre l’ordre l’administratif, face à une créance de nature administrative, et l’ordre judiciaire, face à une créance de nature privée, le Conseil d’Etat avait dès 2018 prévu un régime propre aux titres exécutoires s’agissant de l’appréciation du délai raisonnable.

En effet, en cas de saisine de la juridiction judiciaire alors que le contentieux relevait du juge administratif, le requérant conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu’il a introduit cette instance (devant un juge incompétent donc) avant son expiration.

En ce cas, un nouveau de délai de deux mois lui est offert pour saisir le juge administratif compétent, à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle le juge judiciaire s’est déclaré incompétent.

La décision SNC Sarcelles Investissements réaffirme ce principe en précisant que ce délai supplémentaire de deux mois court à compter de la décision par laquelle le juge s’est déclaré incompétent « de manière irrévocable ».

En d’autres termes, il ne sera susceptible de courir qu’en cas de décision définitive.

1.2.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat applique strictement cette solution en jugeant que la saisine du juge administratif près de 5 années après l’émission du titre exécutoire était recevable dès lors que :

  • Le juge judiciaire avait été saisi dans le délai raisonnable d’un an ;
  • La Cour de cassation a confirmé l’incompétence de l’ordre judiciaire le 29 mars 2017 (de sorte que le délai supplémentaire de deux mois aurait dû débuter à compter de la notification/signification de cet arrêt) ;
  • Mais en tout état de cause, la SNC Sarcelles Investissements avait saisi le juge administratif le 7 mars 2016, c’est-à-dire avant même cette décision d’incompétence définitive du juge judiciaire.

Cette recevabilité l’a donc conduit à analyser l’affaire au fond.

2             Assimilation de l’occupation du domaine public et de la servitude de droit privé grevant le domaine public

2.1.

Comme précédemment, l’affaire jugée par les 8ème et 3ème chambres-réunies du Conseil d’Etat appelait à l’application d’un principe constant en droit public.

Il est en effet est considéré que :

« le bénéficiaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public doit supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l’intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d’aménagement conforme à la destination de ce domaine » (CE 6 décembre 1985 Gaz de France, req. n° 50795 : publié au Rec. CE).

Cela révèle le régime dérogatoire conféré aux travaux réalisés sur le domaine public, d’un point de vue des conséquences causées aux tiers lors de leur exécution.

La portée de cette jurisprudence a été au surplus élargie dans le cas particulier de l’existence de servitudes de droit privé constituées sur le domaine public.

Pour rappel, en application de l’article L. 2122-4 du CG3P, des servitudes de droit privé peuvent être constituées sur le domaine public sous réserve de leur compatibilité avec l’affectation du domaine.

Le maintien des servitudes de droit privé constituées avant l’entrée en vigueur du CG3P, le 1er juillet 2006, est soumis à ce même principe de compatibilité et au fait qu’elles aient été constituées avant l’incorporation du bien dans le domaine public (CE 26 février 2016 Syndicat des copropriétaires de l’immeuble « Le Mercure », req. n° 383935 : mentionné dans les Tab. Rec. CE).

Quand bien même le régime de la servitude de droit privé ne saurait se rapporter à celui de l’occupation du domaine public, qui exige notamment l’existence d’une décision administrative ou d’un contrat administrative autorisant l’occupation et le versement d’une redevance par l’occupant, le Conseil d’Etat juge dans l’affaire commentée que :

« Le titulaire d’une servitude de droit privé permettant l’implantation d’ouvrages sur le terrain d’une personne publique, maintenue après son incorporation dans le domaine public, doit être regardé comme titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine à raison de ces ouvrages, quand bien même il n’acquitterait pas de redevance à ce titre. Par suite, il doit supporter les frais de déplacement des ouvrages implantés à raison de cette servitude, pour permettre l’exécution de travaux dans l’intérêt du domaine public et conformes à sa destination ».

Il en résulte donc que le propriétaire du fonds dominant au profit duquel a été conclu une servitude conventionnelle de droit privé sur le domaine public (fonds servant) est assimilé, pour ce régime, à l’occupant du domaine public.

2.2.

La SNC Sarcelles Investissements contestait précisément le fait que le coût des travaux de dévoiement des réseaux de chauffage qu’elle avait installé sous la voirie, et pour lesquels elle était bénéficiaire d’une servitude de droit privé, ne pouvaient lui être imputés à défaut d’avoir la qualité d’occupant du domaine public, et alors même que la société exploitant le réseau avait cette qualité et versait une redevance à ce titre.

Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel (CAA Versailles 11 mai 2021 Département du Val-d’Oise, req. n° 18VE03060) ayant fait droit à la demande de la SNC Sarcelles investissement, l’arrêt est cassé par le Conseil d’Etat qui renvoie l’affaire devant la même cour.

 

 

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