Réclamation en marché public : la procédure de réclamation préalable prévue par le CCAG Travaux n’est pas applicable en cas d’un DGD tacite

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2024

Temps de lecture

3 minutes

CE 7 juin 2024 Société ECB, req. n° 490468

Après que la réception des travaux confiés par la commune de Chessy a été prononcée, la société Entreprise Construction Bâtiment (ci-après « société ECB ») a, par un courrier du 14 janvier 2021, adressé à la commune et au maître d’œuvre un projet de décompte final. Par des courriers datés du 18 février 2021, elle leur a ensuite adressé un projet de décompte général. Par un courrier du 5 mars 2021, en l’absence de notification par le maitre d’ouvrage du décompte général, la société ECB a sollicité en vain le règlement des sommes dues en exécution du marché. Elle a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun d’une demande fondée sur l’article R. 541-1 du code de justice administrative afin que la commune de Chessy soit condamnée à lui verser une provision de 317 635,83 EUR TTC. Par une ordonnance du 14 avril 2023, le juge des référés a condamné la commune au versement d’une provision de 371 886,50 EUR TTC et a condamné le maître d’œuvre à garantir la commune à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à son encontre. Par une ordonnance du 11 décembre 2023, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Paris a annulé l’ordonnance du 14 avril 2023 et rejeté la demande présentée par la société ECB.

Saisi d’un pourvoi en cassation par la société ECB, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les conséquences de la naissance d’un décompte général et définitif (ci-après « DGD ») tacite à l’initiative du titulaire conformément la procédure de l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux publics (ci-après « CCAG Travaux »1)dans sa version applicable au litige, issue de l’arrêté du 8 septembre 2009 et modifiée par l’arrêté du 3 mars 2014) sur la procédure de réclamation préalable prévue à l’article 50 du même cahier.

Pour rappel, l’article 13.4.4 prévoit que si le maître d’ouvrage n’a pas notifié de décompte général au titulaire dans un délai de 10 jours à compter de la réception du projet de décompte général, ce dernier devient alors le DGD. Les stipulations de l’article 50 organisent quant à elles un mécanisme de réclamation préalable puisque les recours contentieux doivent, à peine d’irrecevabilité, être précédé d’un mémoire en réclamation adressé au pouvoir adjudicateur.

En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que le titulaire d’un marché public peut se prévaloir d’un DGD tacite sans avoir à se conformer à la procédure de réclamation préalable, dès lors que le montant inscrit dans le décompte ne peut être contesté :

« en l’absence de contestation possible du montant inscrit au solde du projet de décompte général après que celui-ci est devenu le décompte général et définitif tacite dans les conditions de l’article 13.4.4 du CCAG, la procédure de réclamation prévue à l’article 50 du même cahier ne saurait être applicable au titulaire se prévalant devant le juge d’un décompte général et définitif tacite »

Partant, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés de la cour administrative d’appel au motif qu’il a dénaturé les faits en rejetant les conclusions de la société ECB comme irrecevables faute d’avoir présenté un mémoire en réclamation. Et, réglant l’affaire au titre de la procédure de référé, il précise que le moyen tiré de ce que le titulaire n’a pas adressé de mémoire en réclamation au pouvoir adjudicateur est inopérant.

Le Conseil d’Etat fait ici preuve de pragmatisme puisque la procédure de réclamation préalable n’est plus pertinente lorsque le différend porte sur un DGD tacite à l’initiative du titulaire. En effet, dans la mesure où le DGD est tacitement né du projet de décompte qu’il a lui-même élaboré et qu’il n’est plus possible de contester le montant du solde lorsque le décompte devient définitif, la procédure de réclamation n’a pas lieu de s’appliquer.

En revanche, le Conseil d’Etat limite le montant de la provision accordée par le juge des référés du tribunal administratif à la somme demandée dans ses conclusions par la société ECB, jugeant qu’il a statué ultra petita en accordant une provision d’un montant plus élevé.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat apporte deux autres précisions intéressantes :

  • sur la naissance du décompte général et définitif : seule la notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, fait obstacle à l’établissement du DGD tacite. En revanche, le simple rejet des projets de décompte établis par le titulaire ne peut être assimilé à une telle notification et n’empêche donc pas la naissance d’un DGD tacite
  • sur l’appel en garantie : le préjudice dont le maître d’ouvrage peut demander réparation auprès du maître d’œuvre au motif qu’il n’a pas accompli les diligences qui lui incombaient pour faire obstacle à l’établissement du DGD tacite ne peut consister qu’en l’éventuel surcoût induit par ce décompte par rapport à la somme qu’un DGD établi contradictoirement aurait mise à sa charge

 

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References   [ + ]

1. dans sa version applicable au litige, issue de l’arrêté du 8 septembre 2009 et modifiée par l’arrêté du 3 mars 2014

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