Précision sur l’évaluation du préjudice d’une personne publique victime d’une pratique anti-concurrentielle

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 27 avril 2021 Société Lacroix City Saint-Herblain c/ département de Loire-Atlantique, req. n° 440348 : mentionné aux tables

Par sa décision Société Lacroix City Saint-Herbain rendue le 27 avril 2021, le Conseil d’Etat identifie une nouvelle méthode d’évaluation du préjudice subi par une victime dans le cadre d’une pratique anti-concurrentielle, une entente en l’espèce.

Le département de Loire-Atlantique (« le département ») avait conclu avec la société Lacroix Signalisation (« la société ») 5 marchés portant sur la fourniture de panneaux de signalisation routière entre 1998 et 2005 pour un montant de 15 millions d’euros.

Or, postérieurement à ces marchés, l’Autorité de la concurrence a sanctionné certaines entreprises, dont la société, pour s’être entendues entre 1997 et 2006 sur la répartition et les prix des marchés dans le secteur de la signalisation routière verticale 1)Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale..

Le département a alors saisi la juridiction administrative afin d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de cette entente.

Après avoir désigné un expert pour évaluer le montant de ce préjudice 2)L’expert a évalué le préjudice à 5 millions d’euros environ., le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 19 juin 2019, condamné la société au paiement d’une somme de 3 746 476 EUR. Dans un arrêt du 6 mars 2020, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel de la société et a fait droit aux conclusions d’appel incident du département en portant la somme mise à la charge de la société à 4 121 124 EUR.

La société a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat se prononce principalement dans cette affaire sur la méthode d’évaluation du préjudice du département (1) et  apporte également d’utiles précisions sur le régime applicable à l’organisation de réunions/visites par l’expert judiciaire (2).

Sur la méthode d’evaluation du prejudice d’une personne publique victime d’une entente

S’agissant des marges de manœuvre ouvertes aux victimes de pratiques anticoncurrentielles, la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière s’est enrichie  ces dernières années : il s’est récemment prononcé notamment sur les conditions de l’indemnisation d’une personne publique victime de pratiques anti-concurrentielles de la part de son cocontractant 3)CE 10 juillet 2020 Société Lacroix Signalisation, req. n° 420045 : publié au recueil Lebon, commentée sur notre blog.– voir également sur l’action en responsabilité quasi-délictuelle de l’acheteur victime d’une pratique anti-concurrentielle lors de la passation d’un marché public : CE 27 mars 2020 société signalisation France, req. n°420491 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421758 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421833 – Et voir de manière plus ancienne : CE 19 déc. 2007 société Campenon Bernard, req. n° 268918 ou encore sur le point de départ du délai de prescription 4)CE 27 mars 2020 société Signalisation France, précitée – ou encore, CE 12 octobre 2020 SNCF Mobilités, req. n° 432981..

En l’espèce, le Conseil d’Etat reconnait une nouvelle méthode d’évaluation du préjudice de la victime d’une entente, laquelle consiste à « comparer les taux de marge de la requérante pendant la durée de l’entente et après la fin de celle-ci pour en déduire le surcoût supporté par le département de la Loire-Atlantique sur les marchés litigieux ». Il s’agissait d’ailleurs de la méthode utilisée par l’expert, lequel avait, en outre, pris soin de vérifier la cohérence des résultats obtenus « en recourant à une autre méthode consistant à comparer les prix d’un échantillon de produits représentatifs, comportant neuf produits correspondants à la catégorie de la signalisation plastique ». La société qui contestait également la pertinence de certains produits choisis dans l’échantillon n’a pas été suivi par le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat confirme également qu’il revenait bien à la cour, pour calculer le montant du préjudice, de déterminer le taux du chiffre d’affaires de la société dédié à l’activité en cause dans les marchés (la signalisation routière verticale) :

« Il ressort également des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour a retenu, pour calculer ce préjudice, une part de 40% du chiffre d’affaires total de la requérante dédiée à l’activité de signalisation routière verticale. En se fondant sur ce taux, qui avait été établi par l’Autorité de la concurrence au point 43 de sa décision du 22 décembre 2010 et qui concernait spécifiquement l’activité de la société Lacroix Signalisation en 2009, et en excluant en conséquence le taux de 78% proposé par la requérante au motif que celle-ci ne justifiait pas la différence entre les deux taux, la cour administrative d’appel de Nantes a souverainement apprécié les faits de l’espèce, sans les dénaturer, et n’a pas commis d’erreur de droit, alors même que le paiement des marchés litigieux s’est étalé entre 1999 et 2010 ».

Dans sa récente décision Signalisation France du 27 mars 2020, la Haute Juridiction avait également validé une autre méthode pour évaluer le préjudice subi par un département au titre du surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles, celle de la « comparaison entre les marchés passés pendant l’entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d’avoir eu une incidence sur celle-ci » 5)CE 27 mars 2020 société Signalisation France, précitée..

Autrement dit, le montant du préjudice du fait de l’entente peut également être déterminé en comparant le prix des marchés passés pendant l’entente et une estimation des prix tels qu’ils auraient dû être en l’absence d’entente.

L’absence d’obligation d’organiser des reunions par l’expert judiciaire

La société contestait, par ailleurs, les opérations d’expertise et soutenait, notamment, que l’article R. 621-7 du code de justice administrative qui prévoit que « Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l’expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l’avance, par lettre recommandée », imposait à l’expert d’organiser une réunion en présence des parties avant de remettre son rapport.

Là encore, le Conseil écarte la critique :

« Si ces dispositions fixent les modalités selon lesquelles un expert désigné par le tribunal doit avertir les parties des réunions ou visites qu’il organise, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de lui imposer d’en organiser ».

Estimant qu’aucun des moyens de la société n’était fondé, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi.

 

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References   [ + ]

1. Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale.
2. L’expert a évalué le préjudice à 5 millions d’euros environ.
3. CE 10 juillet 2020 Société Lacroix Signalisation, req. n° 420045 : publié au recueil Lebon, commentée sur notre blog.– voir également sur l’action en responsabilité quasi-délictuelle de l’acheteur victime d’une pratique anti-concurrentielle lors de la passation d’un marché public : CE 27 mars 2020 société signalisation France, req. n°420491 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421758 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421833 – Et voir de manière plus ancienne : CE 19 déc. 2007 société Campenon Bernard, req. n° 268918
4. CE 27 mars 2020 société Signalisation France, précitée – ou encore, CE 12 octobre 2020 SNCF Mobilités, req. n° 432981.
5. CE 27 mars 2020 société Signalisation France, précitée.

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