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Le décret n°2024-638 du 27 juin 2024 marque une avancée significative dans la gestion des risques côtiers en France. Face à l’accélération du recul du trait de côte causée par les changements climatiques, le législateur a jugé nécessaire de renforcer les outils juridiques permettant aux collectivités territoriales de mieux anticiper et gérer les conséquences de ce phénomène. Le droit de préemption, un instrument essentiel en matière d’aménagement du territoire, voit ainsi son champ d’application étendu dans les zones menacées par l’érosion côtière.
Le présent décret définit ainsi les conditions d’application du nouveau droit de préemption propre à l’adaptation des territoires exposés au recul du trait de côte (DPRTC) institué pour la première fois par l’article 244 de Loi Climat et Résilience (articles L.219-1 et suivants du code de l’urbanisme).
1. Contexte et objectifs du droit de préemption spécifique au risque de recul du trait de côte :
Le phénomène de recul du trait de côte, c’est-à-dire le déplacement progressif du littoral vers l’intérieur des terres sous l’effet de l’érosion, constitue un enjeu majeur pour de nombreuses communes littorales.
Dicté par l’impératif de résilience de nos territoires, l’objectif principal de ce texte est de permettre aux collectivités territoriales d’intervenir de manière proactive pour acquérir des biens situés dans les zones à risque, en usant de leur droit de préemption. Les biens préemptés feront l’objet de mesures de renaturation avant leur disparition le cas échéant. Les collectivités peuvent éventuellement en confier la gestion à une personne publique ou privée y ayant vocation. Toutefois, il sera possible d’y autoriser à titre temporaire un usage ou une activité compatible avec son niveau d’exposition (article L.219-11 du code de l’urbanisme).
Si les communes sont en principe compétentes pour préempter au titre du DPRTC, ce droit de préemption revient de plein droit aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière d’urbanisme (article L.219-1, al. 2ème du code de l’urbanisme).
Le DPRTC pourra aussi être délégué par délibération spéciale à d’autres établissements publics (nationaux comme locaux) à l’instar des établissements publics fonciers (EPF) ou des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) dont le champ d’action géographique est susceptible d’interférer avec les zones exposées au recul du trait de côte. Ce sera notamment le cas des espaces agricoles exposés au recul du trait de côte. Le mécanisme de délégation renvoie aux dispositions déjà applicables et relatives aux droits de préemption classiques (articles L.213-3 et R.213-1 à R.213-3 du code de l’urbanisme).
2. Un régime juridique précisé
a) Champ d’application du DPRTC
Le décret définit des critères précis pour déterminer les zones dans lesquelles le droit de préemption peut être exercé, en s’appuyant sur des études scientifiques et techniques réalisées par des organismes spécialisés.
- Si la commune est identifiée comme exposée à l’érosion du littoral au sens de l’article L.321-15 du code de l’environnement et répertoriée en annexe du décret 29 avril 2022, les zones devront alors être identifiées par le plan de prévention des risques littoraux ;
- A défaut, ces zones doivent être répertoriées dans un document graphique lui-même annexé au règlement du PLU.
Aux termes de l’article L.121-22-2 du code de l’urbanisme, le document graphique devra distinguer deux types de zones :
- Celles exposées au recul du trait de côte à un horizon de trente ans (0-30)
- Celles exposées à un risque à un horizon compris ente trente et cent ans (30-100).
La dichotomie est fondamentale puisqu’en l’absence de délibération expresse en ce sens, le DPRTC ne sera opposable de plein droit que dans les zones exposées à l’horizon trente ans (notice du décret n°2024-638 du 27 juin 2024).
Pour être opposable dans les zones 30-100, le DPRTC devra donc faire l’objet d’une délibération spéciale de l’organe délibérant compétent et faire l’objet de mesures de publicité élargies (article R.219-1 du code de l’urbanisme).
b) Conditions d’exercice du DPRTC
Comme pour le droit de préemption classique, la procédure reste inchangée dans ses grandes lignes et a été définie par renvois aux dispositions préexistantes (v. notamment l’article R.219-7 du code de l’urbanisme).
En effet, une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) devra être déposée par le propriétaire cédant (article R.219-2 du même code) et la collectivité disposera alors d’un délai de deux mois pour manifester son intention d’acheter le bien en priorité. Le silence du titulaire du droit de préemption gardé pendant deux mois à compter de la réception de la DIA vaut renonciation à l’exercice de ce droit (article L.219-6 du code de l’urbanisme).
Le titulaire du DPRTC pourra exiger la communication de tout ou partie des documents mentionnés au II° de l’article R.213-7 du code de l’urbanisme (dossier de diagnostic technique, ERP…) ainsi que des documents d’expertise, devis ou diagnostics, établis à l’occasion ou en prévention d’un sinistre lié à l’exposition du bien au recul du trait de côte (article R.219-3 du code de l’urbanisme).
En cas d’accord sur le prix, qui doit tenir compte du niveau d’exposition au recul du trait de côte (article L.219-7 du code de l’urbanisme), le décret prévoit un droit de visite au bénéfice du titulaire du DPRTC. La demande de visite doit être adressée par écrit au propriétaire ou à son représentant qui aura alors huit jours calendaires pour répondre. Un refus tacite naîtra au terme de ce délai.