Référé précontractuel : une offre pourtant examinée et classée peut être irrégulière de sorte que son auteur ne saurait être lésé par les manquements invoqués

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2013

Temps de lecture

3 minutes

CE 2 octobre 2013 département du Lot-et-Garonne, req. n° 368900

Le département du Lot-et-Garonne a, le 8 février 2013, lancé une procédure adaptée « en vue de la passation d’un marché ayant pour objet la création d’une application numérique mobile de découverte du patrimoine naturel et bâti ».

Saisi par un des candidats, la société Camineo, dont l’offre avait été classée à la troisième place, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux va, le 13 mai 2013, annuler la procédure de dévolution.

Le Conseil d’Etat, à la suite d’un pourvoi déposé par le département, va toutefois annuler l’ordonnance du juge bordelais puis, au fond, rejeter la demande de la société Camineo.

En premier lieu et au visa de l’article 53 du CMP, le Conseil d’Etat rappelle que, quel que soit le type de procédure, procédure formalisée ou ici dite adaptée, le pouvoir adjutateur « est tenu de rejeter les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables ». On précisera sur ce point que si dans le cadre spécifique d’une procédure adaptée avec négociation, il est possible d’engager des négociations « avec les candidats ayant remis des offres inappropriées, irrégulières ou inacceptables », le pouvoir adjudicateur doit, « à l’issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui [le] sont demeurées »[1].

Il découle notamment de cette règle que, en principe, un candidat dont l’offre est entachée de tels vices ne peut avoir été lésé[2]. Or, précisément, le juge de première instance avait écarté ce moyen de défense invoqué par le département dans la mesure où l’offre de la société requérante n’avait pas été jugée irrégulière, mais au contraire avait été classée.

La Haute Juridiction va le censurer pour erreur de droit :

« en écartant ce moyen au seul motif que l’offre de la société Camineo avait été examinée et classée, alors qu’une telle circonstance ne peut faire obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur se prévale de l’irrégularité de cette offre devant le juge du référé précontractuel, le juge des référés a commis une erreur de droit »

Le Conseil d’Etat offre ainsi une sorte de séance de « rattrapage » au pouvoir adjudicateur en cas de contentieux : celui-ci peut invoquer le caractère notamment irrégulier d’une offre qu’il a pourtant analysée et classée.

En second lieu, jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat va rejeter la requête en s’attachant à vérifier que l’irrégularité de l’offre invoquée n’est pas « le résultat du manquement que [le requérant] dénonce », ce qui est somme toute logique.

A titre liminaire, on rappellera que les exigences de la consultation doivent être respectées non seulement par le pouvoir adjudicateur[3], mais également par les candidats, sauf pour ces derniers à voir leurs propositions rejetées comme irrégulières. Il n’en est autrement que si notamment lesdites exigences s’avèrent elles-mêmes irrégulières ou de nature à faire échec au principe d’égalité[4].

En l’espèce, la Haute Juridiction va, d’abord, constater que l’offre de la requérante est bien irrégulière en ce qu’elle « ne respecte pas les prescriptions des articles 5.1 et suivants du cahier des charges de la consultation qui imposent la cession [au pouvoir adjudicateur], à titre exclusif, des droits de propriété intellectuelle attachés à l’application objet du marché ».

Puis, le Conseil d’Etat va rejeter tous les griefs formulés par la société requérante et portant sur la régularité des exigences fixées par le département.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat considère que le département, au regard de « la nature de son besoin », pouvait choisir « de disposer, à titre exclusif, de l’ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés à l’application en cause ».

Plus précisément, il estime que ceci ne portait pas atteinte au principe de libre accès à la commande publique. A cet égard, si le Conseil d’Etat estime que, dans le cas d’espèce, la procédure ne faisait pas obstacle au dépôt d’offres proposant « des applications conçues à partir de logiciels libres », on observera que ce type de licence peut cependant engendrer quelques difficultés lorsque le pouvoir adjudicateur souhaite disposer, à titre exclusif, des droits de propriété intellectuelle sur le logiciel. En effet, le principe même de la licence libre est précisément d’empêcher celui qui l’a souscrit d’acquérir ces droits à titre exclusif.

Enfin, la Haute juridiction juge que « la méconnaissance de l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle[5], qui est relatif aux conditions de la transmission des droits de l’auteur, ne peut en tout état de cause être utilement alléguée pour contester la légalité des articles 5.1 et suivants du cahier des charges de la consultation », dès lors que ceux-ci « ne constituent pas l’acte de cession des droits de propriété intellectuelle ».


[1]           CE 30 novembre 2011 ministre de la défense et des anciens combattants, req. n° 353121.

[2]           Par exemple : CE 11 avril 2012 Syndicat Ody 1218 Newline du Lloyd’s de Londres, req. n° 354652.

[3]           CAA Lyon 4 avril 2013 Société Intracom, req. n° 12LY01253.

[4]           Concl B. Dacosta sur CE 22 décembre 2008 ville de Marseille, req. n° 314244 – voir également : CE 22 juin 30 juin 2004 ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer : Tables Rec CE, p. 859, req. n° 261919 – concl. N. Boulouis sur CE 5 janvier 2011 soc. des voyages Dupas Lébéda et autres, req. n° 342158.

[5]           « La cession globale des œuvres futures est nulle ».

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