Refus de permis de construire et substitution de motifs : une commune peut invoquer devant le juge de nouveaux motifs pour justifier son refus de permis sans avoir à formuler une demande expresse de substitution de motifs

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2021

Temps de lecture

3 minutes

CE 19 mai 2021 Commune de Rémire-Montjoly, req. n° 435109 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Cette décision illustre, en contentieux de l’urbanisme, la possibilité offerte à l’administration d’invoquer devant le juge de nouveaux motifs pour justifier une décision administrative qui était initialement fondée sur d’autres considérations.

Alors qu’initialement, le Conseil d’Etat refusait que l’administration procède, en cours d’instance, à une substitution de motif pour justifier de la légalité de sa décision 1)Voir par exemple : CE 22 juillet 1976 Ministre du travail c/ Union de recouvrement des cotisations sociales et d’allocations familiales, req. n°96526 : publié au Rec. CE., il a opéré, en 2004, un revirement de jurisprudence, en jugeant que :

« l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu’il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif ; que dans l’affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué » 2)CE 6 février 2004 Mme Fatima X, req. n° 240560, Rec. CE : dans cette affaire, était en cause une décision refusant de délivrer un visa de long séjour..

Par la décision commentée, le Conseil d’Etat applique, en contentieux de l’urbanisme, le principe posé dans sa décision de 2004, en permettant à une commune de procéder, en cours d’instance, à une substitution de motif pour justifier de la légalité d’un refus de permis de construire opposé à un pétitionnaire.

En l’espèce, le maire de la commune de Rémire-Montjoly a refusé de délivrer un permis de construire une maison d’habitation en zone NC du plan d’occupation des sols (POS) au motif qu’elle ne constituait pas une simple construction à vocation de gardiennage et qu’en référence à la vocation actuelle du terrain d’assiette et de l’état d’aménagement des voies d’accès le demandeur ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article NC 1 III du POS.

Sans formuler une demande expresse de substitution de motifs, la commune invoquait dans ses écritures un nouveau motif pour refuser la demande de permis de construire, à savoir que le projet de construction ne s’accompagnait pas de la mise en valeur ou de l’aménagement de l’ensemble de la parcelle comme l’exige le III de l’article NC 1 du POS.

La cour administrative d’appel de Paris avait considéré que cette simple mention dans les écritures ne suffisait pas et que la commune aurait dû formuler en outre une demande expresse de substitution de motifs.

Le Conseil d’Etat censure, pour erreur de droit, ce raisonnement au motif suivant :

« Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel a estimé que la commune de Rémire-Montjoly avait fait valoir en défense devant elle que le refus de permis de construire était légalement justifié par le motif, autre que celui qu’elle avait opposé à M. A…, résultant de la circonstance que le projet de construction litigieux ne s’accompagnait pas de la mise en valeur ou de l’aménagement de l’ensemble de la parcelle lui servant d’assise comme l’exige le III de l’article NC 1 du règlement du plan local d’urbanisme. Dès lors que la cour avait ainsi apprécié la portée des écritures de la commune, comme il lui revenait de le faire pour déterminer si celle-ci pouvait être regardée comme faisant valoir un autre motif que celui ayant initialement fondé la décision en litige, de telle sorte que l’auteur du recours soit, par la seule communication de ces écritures, mis à même de présenter ses observations sur la substitution de cet autre motif au motif initial, elle ne pouvait sans erreur de droit exiger de la commune qu’elle formule en outre une demande expresse de substitution de motifs. Il suit de là que la commune de Rémire-Montjoly est fondée à demander pour ce motif, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ».

La Haute juridiction s’assure néanmoins que le requérant n’a pas été privé d’une garantie procédurale liée au motif substitué et relève, à cet égard, que l’auteur du recours a été, par la seule communication des écritures de la commune, mis à même de présenter ses observations sur le nouveau motif invoqué.

Ainsi, le Conseil d’Etat vient affirmer pour la première fois dans le contentieux de l’urbanisme qu’une commune peut invoquer devant le juge de nouveaux motifs pour justifier une décision de refus de permis de construire sans avoir à formuler une demande expresse de substitution des motifs.

Une question reste en suspens : comment l’administration peut-elle invoquer, en cours d’instance, un nouveau motif pour justifier de la légalité de sa décision de refus de permis de construire alors qu’en vertu de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme cette décision doit indiquer l’ensemble des motifs qui l’ont justifiée ?

 

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References   [ + ]

1. Voir par exemple : CE 22 juillet 1976 Ministre du travail c/ Union de recouvrement des cotisations sociales et d’allocations familiales, req. n°96526 : publié au Rec. CE.
2. CE 6 février 2004 Mme Fatima X, req. n° 240560, Rec. CE : dans cette affaire, était en cause une décision refusant de délivrer un visa de long séjour.

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